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Depuis près de quarante ans, je passe mon temps auprès des victimes de la Shoah en France: à les identifier, à retrouver pour chacune d’elles son état civil, le lieu de son arrestation; à rassembler les membres d’une même famille malgré les homonymies; à récupérer les actes de naissance des 11 000 enfants déportés, à obtenir les photos de ces enfants et à en publier plus de 4300. Du sort des Juifs de France entre 1939 et 1945, j’ai une connaissance précise et s’il est deux ouvrages de référence en ce domaine, ce sont Vichy-Auschwitz (Fayard, 2001) et Le Calendrier de la persécution des Juifs de France 1940-1944 (Fayard, 2001, 4 tomes). Lorsque j’ai imprimé le premier Mémorial de la Déportation des Juifs de France en 1978, j’ai ramené le nombre de victimes de «100 000 à 120 000 déportés raciaux» selon le Ministère des Anciens Combattants et les dirigeants des organisations juives à 75 000. Ce nombre qui n’est plus discuté correspond à la réalité, donc à la vérité, et je ne peux qu’être soulagé qu’il y ait moins de pertes que ce que l’on se représentait jusqu’à l’aboutissement de ces recherches minutieuses.
Pour la Suisse, la mission d’une commission visant à cerner le comportement de ce pays pendant la guerre devait être en priorité d’établir combien de Juifs y avaient été accueillis et combien en avaient été refoulés et combien avaient perdu la vie à la suite de ce refoulement. Entre quelles dates? Le 2 septembre 1939 et le 8 mai 1945. Ce qui s’est déroulé auparavant est une autre histoire; ce n’était pas encore la guerre et l’Allemagne ne sévissait contre les Juifs qu’à l’intérieur des mouvantes frontières du IIIe Reich. La diplomatie était telle qu’en décembre 1938, Ribbentrop était encore accueilli à Paris avec le tapis rouge tandis qu’en juin 1939 les Juifs du navire le Saint-Louis ne pouvaient débarquer à Cuba et aux États unis. Le comportement des États et des hommes a moins de signification en temps de paix qu’en temps de guerre, quand la tournure des événements est plus dure et plus claire: les Juifs étaient devenus la cible prioritaire pour les nazis qui jusque-là voulaient avant tout les expulser de leur espace territorial. Ce qui comptait pour les Juifs c’était de sauver ce qu’ils avaient de plus précieux et d’irremplaçable, c’est-à-dire leurs vies et non des biens toujours récupérables, tels leurs tableaux, leurs comptes en banque ou leurs machines à coudre. Il n’est donc pas indifférent de savoir si 24 000 Juifs ont été refoulés ou 3000; il s’agit de 21 000 vies et peut-être de 23 000 si l’on tient compte que 127 des 884 refoulés de la frontière franco-genevoise ont perdu la vie et non 884. Je sais que pour de très hautes consciences il n’y a pas de différence entre une seule vie perdue et un million ; mais je ne fais pas partie de cette soi-disant élite…
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