Tribune
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Publié le 10 Juillet 2014

«Une entorse au principe de justice»

Propos recueillis par Willy le Devin, publié dans Libération le 9 juillet 2014

Interview. Alain Jakubowicz est avocat et Président de la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra). Il pointe les failles juridiques du projet de loi antiterroriste présenté par le Ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve.

Peut-on interdire à quelqu’un de quitter le territoire français simplement parce qu’on le soupçonne de vouloir commettre un acte terroriste ?

Sans élément objectif d’un commencement d’exécution d’acte criminel ou sans preuve d’une volonté délibérée d’en commettre un, cela me semble extrêmement compliqué. Certes, le rôle de la loi dans un État de droit, dans une démocratie, est autant de prévenir que de punir : «La loi doit empêcher de…» Mais, pour cela, il faut s’appuyer sur des éléments tangibles. Comment peut-on envisager une seule seconde restreindre la liberté de circulation d’un individu en se basant sur des soupçons ? Honnêtement, c’est constitutionnellement impossible. Et je ne peux pas croire qu’une institution telle que le Conseil constitutionnel laissera passer une telle atteinte.

L’interdiction administrative de sortie du territoire se baserait sur «des raisons sérieuses de croire». Concrètement, qu’est-ce que cela veut dire ?

Absolument rien si vous n’avez pas des documents incontestables à l’appui de votre démonstration ! On se retrouverait dans la situation où les services de renseignement, le ministère de l’Intérieur, l’administration diraient aux juges : «Faites-moi confiance, je vous dis que cette personne est dangereuse.» C’est une entorse au principe même de justice.

En plus, les droits de la défense des personnes frappées par ces interdictions se trouveraient entravées, puisqu’il serait impossible pour elles d’accéder à certaines pièces classées «confidentielles». Là, c’est le Conseil d’État qui mettra son holà.

On ne peut pas interdire à quelqu’un de gagner un pays, même en guerre, s’il le souhaite ! De façon très provocatrice, on pourrait même se dire tant mieux ! Qu’il manifeste sa potentielle dangerosité ailleurs… En revanche, il faudrait songer à des mesures leur interdisant de revenir. C’est plus facile à motiver, mais très compliqué à mettre en œuvre… Lire la suite.