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Atlantico : La manifestation de soutien aux Palestiniens organisée à Paris dimanche 13 juillet a tourné en mouvement de haine antisémite, aux cris notamment de "mort aux Juifs". Interrogé sur le sujet, le Président de la République a sobrement commenté : "Le conflit israélo-palestinien ne peut pas s'importer. Il ne peut pas y avoir d'intrusion dans les lieux de culte. Il n'y aura aucune indulgence pour cela." Ce commentaire est-il à la hauteur du phénomène ? Quels risques prend-on à ne pas condamner plus directement ce type de débordements ?
Guylain Chevrier : La manifestation pro-palestinienne de dimanche à Paris, à travers ses mots d’ordre et les heurts auxquels elle a donné lieu, a confirmé la tendance de la montée d’un antisémitisme ouvertement déclaré et même militant, prêt à s’attaquer directement à des lieux de culte juifs. Ce sont deux synagogues qui ont été prises pour cible en fin de manifestation. On a évité de peu le pire grâce à l’intervention de la police. Mais qu’en sera-t-il la prochaine fois ?
On s’est étonné du côté de l’Élysée du fait que, si les premiers slogans visaient Israël et une supposée complicité de la France, très vite ceux-ci ont été remplacés par "mort aux Juifs", mais aussi, et cela n’a pas été assez souligné, des "Allah Akbar" (Dieu est grand) donnant une tonalité religieuse au cortège. On pouvait aussi y voir de nombreuses femmes voilées. L’identification du combat en faveur de la Palestine se faisait naturellement avec le Hamas, organisation islamiste qui se revendique du terrorisme et de la suppression de l’État d’Israël.
L’inquiétude devrait encore gagner un peu plus les représentants de l’État lorsqu’on sait qu’en fin de manifestation des jeunes de banlieue faisaient des "quenelles" en référence à Dieudonné et des saluts nazis à qui mieux mieux.
Il est certain que l’on mesure mal ce qui est en train de s’opérer à travers cet antisémitisme débridé auquel on assiste dans des manifestations autorisées. On avait déjà vu cela avec la manifestation du "Jour de colère" en janvier dernier, et cela continue de plus belle.
Samuel Ghiles-Meilhac : Je pense que le Président de la République se dit qu'il faut envoyer un message ferme sans pour autant donner trop d'importance à ce genre d'actes afin de ne pas faire des émules. Par ailleurs, cette parole publique est délicate, car il ne faut pas amalgamer tous les manifestants aux violences qui ont eu lieu à la fin.
Le terme d'"importation", beaucoup utilisé par les hommes politiques, qu'ils soient de gauche ou de droite, est impropre. Des Français s'approprient le conflit et ce n'est pas automatiquement un problème. Le souci est le passage à l'acte, car des manifestants n'étaient pas là pour exprimer une opinion politique, mais plutôt leur haine contre les Juifs.
Les hommes politiques marchent sur des œufs parce que tous les manifestants ne sont bien évidemment pas des antisémites en puissance. Et il s'agit là d'un jeu délicat : rassurer la communauté juive quant au fait que leur sécurité est assurée sans pour autant entretenir de climat de psychose.
Les comportements tels que ceux qui se sont manifestés devant la synagogue de la rue de la Roquette sont-ils en progression au sein de la société française ? Quelle est la sociologie des groupes qui en sont les auteurs ? Comment a-t-elle changé au cours du temps ?
Guylain Chevrier : Il y a une radicalisation politique chez ceux qui défendaient déjà la cause palestinienne qui est à la hauteur des confusions autour de ce mélange des genres. Il n’y a souvent plus même de débat possible sur ce conflit avec ceux de ce parti pris : on est contre Israël ou on est dans le camp de ceux qui bombardent les civils palestiniens ! On sait quel marqueur de la gauche peut être historiquement le conflit israélo-palestinien et la très haute sensibilité qui y est attachée.
Existe-t-il un risque de voir le conflit israélo-palestinien dégénérer en France ? Une possibilité de réveiller des tensions communautaires ?
Guylain Chevrier : Bien évidemment, oui ! Il est un fait que se multiplient les agressions de jeunes Juifs. On a déjà oublié qu’il y a quelques semaines seulement, c’est un djihadiste français, Mehdi Nemmouche, qui après Merah s’en est pris mortellement à des personnes innocentes au Musée Juif de Belgique, et ce, pendant qu’en France deux jeunes Juifs près d’une synagogue se faisaient rouer de coups parce qu’ils portaient la kippa. Il devient réellement difficile pour les familles et les jeunes juifs particulièrement de se promener librement sans s’inquiéter d’une mauvaise rencontre, dans certains quartiers populaires de la capitale par exemple.
Il y a longtemps que ce conflit s’est invité dans les cours d’école avec une tension qui n’a cessé d’augmenter… Lire la suite.