- English
- Français
Le cas Hassan Al-Bannâ, fondateur des frères musulmans (1906-1949)
"Printemps arabe" ou "hiver islamique", peu importe. En réalité, les pays de langue arabe et majoritairement musulmans sont en train, depuis la chute de Ben Ali en Tunisie le 14 janvier 2010, de traverser l'une des périodes les plus critiques de leur histoire politique et intellectuelle. Ces mobilisations contestataires lancées par des jeunes révoltés contre la "corruption" et le règne "des hommes d'affaires" revendiquant "libertés, justice sociale et démocratie" sont reprises par la suite par les mouvements islamiques. Hizb An-Nahda (la Renaissance), version tunisienne des Frères musulmans, remporte les élections législatives en Tunisie avec 42% des votes. Hizb al-huriyya wa-al-'adâla (parti de liberté et de justice), branche politique des Frères musulmans égyptiens, réussit à obtenir 40% du scrutin. Ces deux partis puisent leurs idées politiques dans la pensée de Hassan al-Bannâ.
Véhiculé par un fort ressentiment contre l'occident dû à la vague d'occidentalisation régnant sur l'Égypte dans la première moitié du XXe siècle, Hassan al-Bannâ lutte durant toute sa vie contre le modèle, civilisatoire, politique, économique, sociétale et intellectuel venu de cet occident. Bannâ résume ce modèle par le terme "idée civile" ou laïque basé sur la séparation entre le religieux et le temporel. Pour lui, le seul modèle capable de résister à cette idée laïque c'est "l'idée islamique". Par sa plume et ses discours, Bannâ créé un "islam" modélisé et le propose comme "système global de vie" face au système occidental. Visant à teinter tous les secteurs de la vie humaine, politique, éducative, sociétale, militaire, culturelle, juridique, financière, économique et législative par cet islam, Bannâ souhaite l'édification d'un "califat bien dirigeant" dont le but suprême serait l'exercice du "magistère sur le monde".
Révolte contre le libéralisme occidental
Mythifié par certains qui voient en lui un "mystère" voire un "saint", et diabolisé par d'autres comme "père du terrorisme islamiste", le fondateur des Frères musulmans Hassan al-Bannâ reste sujet de débat, de colloques et d'études ainsi qu'instigateur d'action politique jusqu'à nos jours. Figure incontournable du mouvement salafiste en Égypte et dans les pays arabophones majoritairement musulmans, Bannâ est celui qui réussit à transformer l'"islamisme politique" contemporain fondé par Jamâl al-Dîn al-Afghânî d'une simple "théorie réformiste" en une "pratique politique". Né le 14 octobre 1906 dans le petit village d'al-Mahmûdiyya près d'Alexandrie au sein d'une famille pieuse dont le père était horloger et passionné de sciences religieuses, Bannâ fait ses études primaires dans l'école Al-Rachâd (La bonne voie), une école religieuse du village, avant de les compléter à l'école préparatoire.
En 1923, il est admis à la Maison des sciences au Caire, dont il sort avec le diplôme d'instituteur quatre ans plus tard. C'est là que Hassan al-Bannâ reçoit une éducation occidentale après sa maîtrise des principes de la culture musulmane à Mahmûdiyya et Damanhûr. Choqué d'une part par l'abolition du califat par Atatürk en 1924, et de l'autre par la vague d'occidentalisation qui teinte la société du Caire, Bannâ constitue avec quelques amis et azharistes un groupe de prédicateurs afin de les envoyer dans les mosquées et les cafés invitant les gens à retourner vers les "moeurs musulmanes". Bannâ exprime bien dans ses Mémoires la douleur qu'il a ressentie face à l'invasion de tous les aspects de la vie au Caire par le style de vie européen. Il critique la "libérté personnelle" , la "vague d'athéisme et de libertinage", l'orientation "laïque" et "matérialiste" de l'Université égyptienne "révoltée contre la religion", l'apparition des revues et des journaux dont la tâche est d'affaiblir l'impact de la religion dans la société, la multiplication des "salons" [culturels] prônant ces idées parmi les jeunes.
Agir comme "il plaît à Dieu et au service des hommes"
Bannâ trouve refuge dans la "Bibliothèque salafiste" où il rencontre le fameux savant islamique Muhyî ad-Dîn al-Khatîb. Il fréquente également les maîtres du courant salafiste en Egypte comme le sheikh Rachîd Rîdâ, Al-Sayyid Muhibb al-Dîn al-Khatîb, le cheikh Mustaphâ Sabrî, le cheikh Muhammad al-Khudr Hussein, le cheikh 'Abd al-Wahhâb an-Najjâr et le Cheikh Yûssif ad-Dajawî. À la fin l'année 1927 et après avoir obtenu son diplôme, il est envoyé comme instituteur à Ismâ'îliyya, ville "coloniale" sur le canal du Suez et "emportée par la tendance européenne". Décidé à prôner l'"idée islamique" face au "style de vie européen", Bannâ se lance dans un mouvement de prédication fixant un programme d'action consistant à "toucher les quatre sources d'influence dans la ville: les oulémas, les cheikhs des confréries, la classe supérieure et les clubs de notables", et il réussit à rassembler autour de lui un bon nombre d'ouvriers et d'artisans. En mars 1928 il reçoit chez lui la visite des six compagnons marqués par ces idées: Hâfiz Abd al-Hamîd, Ahmad al-Husrî, Fu'âd Ibrâhîm, 'Abd al-Rahmân Hasab-Allâh, Ismâ'îl 'Izz et Zakî al-Maghribî.
Ils se mettent d'accord pour agir comme "il plaît à Dieu et au service des hommes". Ils font le serment d'obédience à Dieu, selon lequel ils "seront des soldats du message de l'islam, lui qui contient la vie de la patrie et la fierté de l'umma musulmane". Bannâ alors propose de donner le nom de "Frère Musulman" (al-ikhwân al-muslimûn) à ce groupe. Quelques mois plus tard, ces Frères entament la construction d'une école et d'une mosquée à Ismâ'îliyya tout en oeuvrant à la propagation de leur message dans toutes les villes voisines, entre autres: Abû Srîr, Port-Saïd, Al-Bahr al-Saghîr et Suez. En octobre 1932, Hassan al-Bannâ est nommé instituteur au Caire. Trouvant en ce déplacement une occasion pour la propagation de la Société des Frères musulmans, Bannâ transfère le bureau général de cette société d'Ismâ'îliyya vers la capitale égyptienne. Les Frères deviennent un mouvement de masse, notamment avec la multiplication des déplacements de Bannâ en province, des conférences dans les mosquées et les écoles, des causeries (du mardi et du jeudi), des congrès annuels.
Soutenir politiquement et financièrement tous les mouvements salafistes
Ayant un sens aigu de la propagande Bannâ multiplie ses discours, ses épîtres et ses articles qui servent "de bible à tous les islamistes égyptiens et arabes". Le message des Frères musulmans ne tarde pas à trouver des échos dans les autres pays arabophones comme le Soudan, la Syrie, le Liban, la Palestine. Les rapports avec l'Arabie saoudite furent les plus forts. Une photo publiée récemment par le quotidien saoudien, Al-Sharq al-awsat, montre al-Bannâ prosternant devant le roi saoudien 'Abd al-'Azîz Âl-Sa'ûd en train d'embrasser la main de ce dernier. Ce roi ne manque pas à soutenir politiquement et financièrement tous les mouvements salafistes imprégnés par le wahabisme tout au long des années trente et quarante, dans le but de renforcer le pouvoir de l'Arabie Saoudite dans les sociétés majoritairement musulmanes. Quant aux rapports des Frères avec le gouvernement égyptien, les Mémoires de Bannâ témoignent de leur caractère positif, et le Conseil d'administration de la ville de Daqhaliyya leur accorde notamment en mai 1937 une aide gouvernementale annuelle de 150 livres égyptiennes.
Cependant, ces relations se détériorent. En fait, bouleversé par le "désastre de Palestine", Bannâ constitue les "phalanges des Frères" dont le but est de combattre aux côtés des Palestiniens et de libérer la Palestine des sionistes. Ces phalanges participent aux combats de 1948. Mais, à la suite de la défaite des armées des pays arabophones, Bannâ accuse le gouvernement égyptien de trahison. Le gouvernement égyptien dissout l'association des Frères musulmans. La tension s'aggrave entre les deux parties et la violence culmine le 28 décembre avec l'assassinat du Premier ministre al-Nuqrâshî par un étudiant appartenant au mouvement des Frères musulmans. Les membres importants des Frères sont arrêtés. Le 12 février 1949, Hassan al-Bannâ se rend au Caire entreprenant des efforts afin de trouver une issue à cette affaire. Il y est assassiné le jour même, à l'âge de 42 ans.
Contemporain de la période wafdiste libérale en Égypte inaugurée par la constitution de 1923, Hassan al-Bannâ représente une "réponse historique à la conquête de sa nation par l'Europe". Ce phénomène peut être résumé dans la réplique de Hassan al-Bannâ aux propos avancés par Taha Husayn dans son livre L'avenir de la culture en Égypte: "Beaucoup de laïcs sont persuadés que le gouvernement, la presse, et les promoteurs de l'idée civile (al-fikra al-madaniyya) sont capables d'annihiler l'idée islamique et d'affaiblir la umma. [...] Cependant, il leur échappe le fait que la situation en Égypte est différente de celle des autres pays, parce que l'islam vient se mêler avec le sang de tout Égyptien. Il a pénétré dans son coeur, dans son esprit, dans son sang, et dans ses veines. Il a eu foi [en l'islam], selon une croyance qui se perpétuera au-delà du temps qui subsiste. [...] Donc, tout essai visant à détruire cet islam dans les âmes des Égyptiens est une tentative vouée à l'échec".
Critique vis-à-vis du matérialisme communiste
Dans son introduction à l'interprétation de la sourate al-Fâtiha Bannâ critique le fait que les musulmans abandonnent l'islam comme "système sociétal de vie", adoptant les "aspects de vie occidentaux" et les considérant comme un "idéal" à suivre. Il considère que les deux "matérialismes" communiste d'une part, et démocratique d'autre part constituent le danger le plus imminent contre l'umma (la communauté) arabe et musulmane. Ces "matérialismes" armés par les théories dialectiques, et la stimulation des convoitises et de désirs humains ont réussi à envahir la "société musulmane" partout, rendant la "sharia de l'islam" une affaire archéologique, un sujet d'études théoriques et historiques. En réaction, Bannâ affirme: "Nous avons le devoir de déclarer l'islam [...] contre leur démocratie synonyme de l'anarchie et du libertinage, et contre leur communisme équivalent à l'athéisme et au despotisme international".
La critique vis-à-vis du matérialisme communiste disparaît progressivement dans les épîtres de Bannâ. C'est la "civilisation européenne" qui devient la cible principale de ses reproches. Son problème principal avec celle-ci c'est le fait qu'elle "écarte la religion de la vie sociétale notamment de l'État, de la justice et de l'école". Elle rend la "théorie matérialiste" critère de tout jugement. "L'athéisme, le doute, le libertinage, la précipitation vers les désirs, l'individualisme", divers aspects de cette civilisation européenne, contrarient absolument tous les principes admis par l'islam. Unissant le "spirituel" et le "matériel", ces fondements sont à la base de la civilisation musulmane. "La religion" révélée par les "prophètes et les messagers de Dieu comme Noé, Abraham, Moïse, Jésus et Mohammad", consiste à croire en Dieu le créateur et le parfait, en ses prophètes et dans les "livres célestes" contenant ses "lois". Les civilisations les plus anciennes et les plus éternelles distinguées par leurs moeurs et leurs actions dérivent des grandes "vérités" promues par "la religion".
Face à l'"idée consistant à copier [le modèle occidental]" Bannâ dresse "l'idée islamique": "Nous voulons écrit-il, l'individu musulman, la maison musulmane, le peuple musulman, mais avant tout ça nous voulons que l'idée islamique règne et qu'elle reformule tous ces aspects de vie selon l'islam". Pour Bannâ, cette idée islamique a été isolée par la conquête occidentale. Celle-ci envahit les pays de l'islam par la science et l'argent, par la politique et le luxe. Elle teinte ces pays marginalisant le pouvoir de l'islam, et le séparant des affaires temporelles. De surcroît, les Européens adaptent tous les aspects, politique, législatif et culturel selon leurs normes dans tous les pays de l'islam. Ils y importent leurs "femmes dénudées", leurs "alcools", leurs "théâtres", leurs "romans", leurs "revues", leurs "histoires", leurs "fantasmes". Établissant leurs "écoles et leurs instituts scientifiques et culturels", ils diffusent parmi les jeunes musulmans les germes du "doute et de l'athéisme", les incitant à "mépriser leur religion, leur patrie et leurs traditions "tout en sacralisant tout ce qui est "occidental". Ainsi, Bannâ reconnaît le "triomphe" de la civilisation européenne sur la civilisation musulmane dans les domaines sociétal, politique et militaire.
Un islam qui organise les affaires du monde
Tout en reconnaissant ce triomphe, Bannâ ne s'y résigne pas. Il voit que l'islam est une bonne réponse à la crise de la "raison humaine". Pour lui, cette dernière a connu trois phases. La première est caractérisée par la prédominance de la "mentalité mythologique et simpliste", durant laquelle cette raison abdique aux forces "de l'invisible" (al-ghayb). La deuxième se définit par le "matérialisme" qui n'est qu'une réaction contre cet "invisible". Ici, la raison humaine explique tous les aspects de l'univers par le biais des méthodes expérimentales et selon un esprit matérialiste. Ne voyant de ce monde que la matière et ses lois, "l'homme matérialiste" rejette la "divinité, les "missions prophétiques" et le "monde spirituel". Bannâ propose l'islam comme solution médiane entre les deux mentalités. Unissant la foi et la raison, l'islam reconnaît les "deux mondes: le monde matériel et celui spirituel". Étant une nécessité pour l'homme, la foi, selon Bannâ, est la seule capable de réformer la société humaine redonnant à Dieu sa place dans la vie humaine comme observateur et consolateur de l'homme.
Ainsi, le message de Bannâ dérive d'une évidence selon laquelle l'islam vient pour sauver le monde et de la " mentalité résignée aux forces de l'invisible " et de la " mentalité matérialiste occidentale ". Unissant la " matière " et " l'esprit ", ouvrant pleinement la voie à Dieu, " l'islam orthodoxe " trouve avec Bannâ sa représentation la plus large : il est un système global de vie.
Cet islam ne se limite pas à aux questions relatives au culte et aux affaires spirituelles seulement, mais il les dépasse organisant les affaires de ce monde. Dans son épître Nos problèmes à la lumière du régime islamique Bannâ définit l'islam comme "religion et société, mosquée et État". Il le considère comme "une nationalité, un État, une spiritualité, une action, un Coran et un glaive. L'islam est une loi pour "tout temps et tout lieu". Ceci dit, Bannâ propose l'établissement d'un "État islamique" dont les origines reviennent aux premiers temps de l'islam où la communauté musulmane, unie par les califes, a combattu les juifs et les chrétiens, et a réussi à arriver en France, en Italie et en Espagne transformant la Méditerranée en une "mer islamique". Dans cet État islamique il n'y a pas de "séparation pratique entre la religion et la politique": "Le musulman n'achève pas son islam sinon en devenant un être politique". Le lien unissant les individus dans cet État est "celui de la doctrine" ou "la fraternité de la foi".
Les Frères musulmans sont restés un mouvement intégraliste
Quant aux non-musulmans, ils sont traités de manière pacifique tant qu'ils acceptent de vivre en paix avec les musulmans. Dans ce cas, c'est le "lien de la prédication" qui gère les relations entre les deux parties, et selon lequel les musulmans ont l'obligation de les inviter à l'islam qui "porte le bien pour toute l'humanité. Les membres du gouvernement islamique, selon lui, ne peuvent être que des musulmans pratiquant les préceptes de l'islam. Le recours aux non-musulmans se fait seulement dans les cas de nécessité urgente à condition que leurs fonctions ne soient pas celles qui s'inscrivent dans le champ de "l'autorité publique". La Constitution de cet État est le Coran: "Dieu, annonce Bannâ, est notre but, le Coran est notre constitution, le prophète est notre modèle". Constitution de la religion et du monde le Coran est un "règlement mondain et un système sociétal". Il dessine, selon Bannâ, pour les hommes le "chemin du bonheur dans ce monde ainsi que les méthodes nécessaires pour gagner la vie de l'au-delà. Il est également un récipient dans lequel Dieu a enfermé les sciences et les connaissances religieuses et mondaines. Partant de là, toute forme de "loi positive" est totalement rejetée par Bannâ. Il n'y a pas de place dans l'État islamique sinon pour les "lois célestes" inspirées par la sharia'a islamique qui est tiré à son tour du Coran et qui s'accorde avec les principes de la jurisprudence islamique.
Après la mort du fondateur, les Frères musulmans se trouvent au tournant entre deux tendances de leur prédication. La première est représentée par Jamal al-Dîn al-Bannâ, frère cadet de Hassan al-Bannâ, qui oeuvre à réorienter les modalités de cette prédication. Déçu de la réaction des Frères vis-à-vis de ses propos, Jamâl al-Bannâ prend ses distances à leur égard et se lance seul dans une nouvelle aventure de prédication susceptible d'ouvrir une période "post-Frères Musulmans": "Appel à la Renaissance musulmane". Le but de cette aventure consiste à renouveler "le système du savoir musulman" en vigueur, savoir relatif au commentaire exégétique, à la tradition et à la jurisprudence; d'où sa trilogie "Vers une nouvelle jurisprudence musulmane". Quant à la deuxième, elle est développée par Sayyid Qutb (1906-1966). Influencé par la pensée radicale de Abû al-A'lâ al-Mawdûdî, Qutb développe une pensée et un discours qui vont dominer le parcours des Frères musulmans tout au long de leur lutte contre le pouvoir des généraux. Radicalisant les propos de Hassan al-Bannâ et insistant sur l'impossible séparation entre la religion et le monde séculier Qutb introduit la notion de la violence dans le combat des Frères afin de conquérir le pouvoir. Il devient le nouvel inspirateur des Frères musulmans tout au long des années soixante et même après sa condamnation à mort le 29 août 1966.
Refusant de réorienter les modalités de leur prédication, et de développer leur pensée politique, afin qu'elle soit compatible avec l'évolution des sociétés plurielles qui voient l'émergence de nouveaux rapports entre le religieux et le politique, les Frères musulmans, qui sont actuellement au pouvoir en Égypte, en Tunisie, au Soudan trouvent beaucoup de difficultés dans la gestion des affaires gouvernementales. Dans son article Les Frères musulmans et l'État civil démocratique à référence islamique, sur l'attitude des Frères musulmans après la chute du président Husnî Mubârak, Dominique Avon, constate qu'à l'épreuve des faits les Frères musulmans sont restés un mouvement intégraliste et bien loin d'être des "démocrates-musulmans". Avon montre comment "l'État civil démocratique à référence islamique", revendiqué par eux "tire sa substance d'une conception englobante de la tradition musulmane, une autorité placée au-dessus du peuple qui vient de ''Dieu'' pour verrouiller dans les champs de la vie publique (politique, juridique, scientifique, culturelle) un corpus par le commun". Cela explique bien leur discours ambigu et leur capacité d'affirmer une chose et son contraire. Ce constat explique en partie le phénomène qu'on observe actuellement en Égypte, en Tunisie et au Soudan, et qu'on appelle "une révolution sur la révolution", où la contestation contre les gouvernements islamistes s'accroît progressivement.
Cet essai fait partie d'une étude plus profonde qui va paraître dans l'ouvrage dirigé par Anaïs-Trissa Khatchadourian, Augustin Jomier et Amin Elias, Laïcité et musulmans. Débats et expériences XIXe-XXe siècles, Berne, Peter Lang, 2013.