Tribune
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Publié le 3 Juillet 2013

Égypte: la rue a-t-elle les moyens de se faire entendre jusqu'au bout?

Par Gilles Kepel, professeur des universités en science politique à Sciences Po

 

Le mouvement Tamarud regroupe des composantes très larges de la société civile égyptienne, et ce de façon relativement informelle. C'est sa principale faiblesse face aux Frères musulmans qui sont un mouvement très structuré. 

Tamarud est une coalition dont le ciment est d'être dans la contestation vis-à-vis des Frères musulmans et de Mohamed Morsi, le président égyptien. Dès lors, il ne dispose pas d'un appareil ni d'une figure politique qui puisse faire l'unanimité et susciter une identification positive. Voilà sa principale déficience, mais ceci représente l'occasion, dans la conjoncture actuelle, de rassembler tous les mécontents, et en Égypte, le mécontentement a atteint des sommets jamais vus: la crise économique et sociale se double d'un sentiment général de mauvaise gouvernance et de l'accusation des frères musulmans d'accaparer les ressources de l'État. Mohamed Morsi est accusé de ne pas se comporter en président élu, mais d'obéir à l'agenda mystérieux déterminé dans le plus grand secret par la confrérie et son guide suprême Mohamed Badie.

 

Ce mouvement a déjà rencontré un écho gigantesque, car les manifestations qui se sont déroulées dimanche 30 juin dans tout le pays ont été les plus importantes de l'histoire de l'Égypte. L'état-major militaire avait été mis sur la touche, d'abord après l'éviction de Mubarrak, le chef suprême des forces armées, puis discrédité, car la transition après la chute de l'ancien raïs menée par l'armée au nom du slogan: « Le peuple et l'armée sont les doigts d'une seule main », s'était traduite par la violence et la répression contre les révolutionnaires de la place Tahrir, mais aussi contre les Coptes.

 

Lundi 1er juillet, en envoyant des hélicoptères militaires survoler la place avec des drapeaux égyptiens, comme si elle voulait montrer que l'agenda des Frères musulmans n'était pas vraiment égyptien, l'armée essaye de rejouer cette politique de « main dans la main » qui avait marqué les semaines suivant la chute de Moubarak. Mais il n'est pas sûr que cette union soit adoptée par une population qui a encore en tête les images de la répression très violente qui a eu lieu entre fin 2011 et début 2012.

 

Or, aujourd'hui, le mouvement Tamarud souffre des mêmes faiblesses que les manifestants de la place Tahrir pendant les 18 jours qui avaient mené au départ de Moubarak.

 

Son absence d'organisation représente pour Tamarud un immense défi s'il veut faire tomber Morsi, comme Moubarak était tombé et s'il ne veut pas se faire souffler ensuite ce succès éventuel par l'état-major militaire. En effet, les Frères musulmans et les salafistes, qui ont tout de même réussi à rassembler une majorité des suffrages même s'ils sont aujourd'hui discrédités politiquement, n'en gardent pas moins un appareil militant très structuré, qui s'appuie sur le réseau des mosquées et constitue face à l'armée la seule autre force organisée en Égypte.

 

Si aucun compromis n'est trouvé avec eux ou une partie d'entre eux, l'affrontement sera difficile à éviter: Tamarud a-t-il les moyens de le mener au-delà des manifestations de masse? C'est là toute la question.