Tribune
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Publié le 3 Juin 2013

Émoi à La Rochelle pour une caricature de banquier juif

Par Nathalie Brafman

 

C'est une publicité dont Gérard Blanchard, le président de l'université de La Rochelle, se serait bien passé. En cause, une pièce de théâtre - jouée cinq fois début avril devant 420 personnes - jugée, par certains, antisémite. La pièce, intitulée Le Rôle de vos enfants dans la reprise économique mondiale, a été écrite et jouée par des étudiants de La Rochelle, encadrés par un écrivain québécois, Éric Noël, et Claudie Landy, directrice du théâtre.

L'objectif : dénoncer les dérives de la finance internationale. Avec humour. Dans le rôle principal : une multinationale baptisée la Goldberg and Co (allusion transparente à Goldman Sachs), incarnée par une femme juive sans scrupules. Pour faire face à la crise économique, celle-ci a la bonne idée de miser sur des nouveau-nés qui rapporteront une certaine somme d'argent à leurs parents et à leur investisseur une fois adultes.

 

Un peu plus loin dans la pièce apparaît un chasseur de nazis, Cohen 1, qui lâche finalement sa prise contre une liasse de billets. Et lui serre même la main. "Les juifs ne sont pas les seuls à être caricaturés : les pauvres ressemblent à la famille Groseille de "La vie est un long fleuve tranquille", la prostituée est vulgaire et une Chinoise se trimballe un balai à la main", fait valoir Claudie Landy. Sans compter un trader véreux et un Italien mafieux.

 

Pour la Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme (Licra), la pièce ne fait "qu'aligner et enfiler les préjugés les uns derrière les autres et cela sans aucune distance". Et est clairement antisémite. À l'issue de la représentation, un professeur de biochimie à l'université de La Rochelle, Michel Goldberg, dénonce un "dérapage malvenu" au président, qui, lui, n'a pas vu la pièce. Second degré, humour noir, satire, invoquent les étudiants, l'auteur, le metteur en scène et la vice-présidente chargée de la culture à l'université. " À aucun moment, pendant l'écriture, on ne s'est dit que nous étions limites. Et les gens ont bien ri dans la salle ", répond Romain Michalcak, étudiant en droit et l'un des auteurs de la pièce.

 

"Racisme banalisé"

 

Peiné, Michel Goldberg aurait souhaité, non pas la censure, mais à tout le moins une condamnation morale de la pièce de la part de son établissement. Le Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) aussi. "La pièce est antisémite, et (...) même grossièrement antisémite. Que ce soit de façon consciente ou inconsciente est sans intérêt ici", écrit l'ex-président du CRIF, Richard Prasquier, dans l'une de ses dernières lettres en ligne. "Mon rôle n'est pas de condamner, mais de m'assurer que les artistes et les étudiants qui ont travaillé sur ce texte sont au-dessus de tout soupçon et ils le sont", répond le président de l'université.

 

L'affaire commence à faire grand bruit. La section de la Ligue des droits de l'homme de La Rochelle a estimé que "dans un contexte social et politique marqué par une réelle et forte montée d'un racisme banalisé, qui fait le lit de l'extrême droite, utiliser le stéréotype du "banquier juif" n'est pas neutre et peut contribuer à alimenter, de manière involontaire, ce racisme et cet antisémitisme ambiants". Avec la Licra, elle aurait souhaité un avertissement permettant au public de voir la pièce avec le recul nécessaire.