Gweltaz Caouissin s’intéresse également à la un autre personnage, Roger Cougerot des Mousseaux (1805-1876). Ce catholique ultramontain consacra plusieurs ouvrages à l'histoire de la magie et de l'ésotérisme et à la dénonciation des sociétés secrètes et de la franc-maçonnerie. Il est considéré comme l'un des précurseurs de l'antisémitisme de plume (Le Juif, le judaïsme et la judaïsation des peuples chrétiens, 1869) tel que le pratiquait, par exemple, Édouard Drumont (qui reconnaissait par ailleurs l'influence de son prédécesseur). Un homme chez qui –écrit Caouissin- Rosenberg a pu trouver un écho plus profond que celui du simple antisémitisme chrétien.
Une étude historique qu’il faut lire.
Marc Knobel
Aujourd’hui, 5ème et dernière partie :
Contre le judaïsme universel
Paul de Tarse était né juif, et s’auto-définissait comme pharisien, sans que ce mot n’ait évidemment encore la charge négative qui lui attribuait Gougenot(1), et s’était converti à la religion du Christ sur le chemin qui devait le mener à Damas, avant de se faire connaître comme l’un de plus ardents promoteurs de la religion chrétienne, alors qu’il en fut d’abord le plus violent des persécuteurs.
Dans la tradition chrétienne, Paul est considéré comme le nouveau fondateur du christianisme(2), alors, pourquoi est-il considéré par les antisémites comme l’un de ses adversaires ? Dans l’ouvrage de Gougenot des Mousseaux, Paul est associé au pharisaïsme, dans son acception la plus péjorative, celle propagée par Jésus lui-même, c’est-à-dire comme «ceux qui disent et qui ne font pas»(3). Le pharisaïsme reprend cette forme chez Gougenot(4), en n’oubliant pas de décrire Paul comme l’un de ses plus vils tenants, et donc imprégné de ce qui formera le judaïsme d’après 70. Car, via Paul, c’est encore une fois le Talmud et son universalisme que Gougenot vise, et les pharisiens, à propos desquels il n’est pas avare d’attaques. Catholique fervent, Gougenot délaisse Paul pour n’en garder que les traits précédant sa «miraculeuse conversion»(5). C’est donc l’esprit du premier Paul contre qui lutte Gougenot, sans considérer pour autant sa conversion comme une raison suffisante pour occulter tout ce qu’il était avant cet événement, à savoir un ennemi du christianisme. Et cet ennemi existe encore, sous la forme du judaïsme talmudique. Dans l’oeuvre de Rosenberg, le traitement réservé à Paul est sans concession. Ceci a un impact déterminant sur la vision qu’a Rosenberg et les nationaux-socialistes des juifs, et sur la politique qui sera menée à leur encontre.
Dans Le Mythe du XXème Siècle, Paul est directement associé à la perversion du christianisme par le judaïsme. Il considère l’héritage de Paul comme un «fatras non chrétien» qu’il faut débarrasser «de la personnalité du Christ»(6). Il poursuit sa diatribe contre l’apôtre en l’accusant d’avoir «donné au mouvement juif une portée internationale» et d’avoir «ouvert la voie au chaos racial»(7) (Rassenchaos) car Paul possédait une spiritualité qui «ne dépendait pas [d’une] polarité de vie organique» mais était «une force sans race»(8). Universalisme, voire déni de toute race humaine, voici ce que Rosenberg reproche principalement à Paul, et malgré une légère divergence sur sa personne, Rosenberg comme Gougenot s’accordent pour faire de l’ennemi du christianisme le principe universaliste prôné par le pharisaïsme et le Talmud. La constatation faite du judaïsme comme antichrétien devait peser sur la politique à venir. Le Christ était donc aryen, et Paul, fondamentalement, bien que converti, était juif, alors que pour la tradition, Paul apparaissait plutôt comme celui qui avait séparé judaïsme et christianisme. La lutte contre l’élément juif au sein du christianisme trouvait une correspondance avec la lutte contre ce que Rosenberg nommait la Gegenrasse, car, de la même manière, c’était contre l’élément négatif, parasitique et dégénérateur qu’il fallait combattre. La différence entre le christianisme et le national-socialisme était pourtant manifeste, car, au lieu de valeurs prônés par l’Eglise telles que l’Amour ou la compassion, Rosenberg parlait d’Honneur ou de race(9). Les passages très critiques vis-à-vis du christianisme sont extrêmement nombreux tout au long de l’oeuvre de Rosenberg, mais ils ne doivent pas cacher une revendication d’un christianisme idéalisé d’où l’héritage juif serait absent, de la même manière que Rosenberg imaginait une Allemagne pangéenne(10) qu’il rêvait Judenrein. L’internationalisation du judaïsme, dont la présence dans le christianisme par le biais de l’héritage vétéro-testamentaire est indéniable, détourne la religion juive de la religion chrétienne. Internationale, universelle... cette vision des choses laisse la place à l’apparition du mythe de la conspiration juive et du caractère maléfique des juifs, dont le seul but est l’écrasement des autres nations. Ce mythe de la conspiration juive a évidemment contribué à faire du Juif un paria, un bouc-émissaire par excellence, un parasite à exterminer. Se purifier de sa mauvaise conscience, voilà l’obsession des nationaux socialistes.
L’eschatologie nationale-socialiste
Cette obsession fut évidemment manifeste, par le nombre de mesures antijuives prises à partir de 1935, mais elles sont plus que le résultat d’une seule obsession raciste. Elles sont le résultat d’un développement idéologique important, où le Volk est considéré comme le nouveau peuple élu, en lieu et place du peuple juif. Le Juif est le contraire de l’aryen, et il est coupable d’une «active négation du monde»(11), activité parasitaire, possédant aussi son mythe, celui de l’élection»(12).
La vision du Juif comme appartenant à une Gegenrasse traduit un rapport particulier entre juifs et aryens, puisqu’il est d’ordre spéculaire. Le racisme national-socialiste étant horizontal, il induit une confrontation avec l’ennemi à laquelle échappent les racismes antérieurs, puisqu’ils étaient basés sur la domination et sur l’idée d’une supériorité, pas d’une opposition. Bien qu’ils en contestent la dimension völkisch, plusieurs auteurs antisémites ou nationaux-socialistes, parmi lesquels Houston S. Chamberlain(13), Alfred Rosenberg(14) et même Adolf Hitler(15) admettent la relative pureté raciale du peuple juif, ce qui est une constante dans l’histoire de l’antisémitisme(16). Le rapport demeure ambivalent, et le peuple juif était vu comme un adversaire, «un peuple au dressage racial (...) qui menaçait l’Etat völkisch»(17). Le peuple juif est le seul peuple dans lequel les nazis pouvaient voir la même volonté de réaliser une communauté nationale, qu’elle prenne le nom d’Etat sioniste, ou de Volkgemeinschaft, avec une différence programmatique, évidemment. Le rabbin d’Ansbach, Elie Munk, allait dans ce sens en affirmant même que «sans l’antisémitisme, le socialisme national (sic) trouverait ses plus chauds partisans chez les juifs fidèles à leurs traditions»(18). Les nationaux-socialistes voyaient également dans le peuple le juif leur opposé, par le rapport qu’ils leur prêtaient à la religion et à l’art, par l’absence d’âme qu’ils leur diagnostiquaient. Dans le même temps revient l’accusation de misoxénie, qui fait combiner la pureté raciale au repli sur soi, au communautarisme, voire pour les conspirationnistes à l’idée d’un «Etat dans l’Etat». L’ambition des nationaux-socialistes est de se débarrasser de cette autre Volk.
Car, deux Völker, c’est au moins un de trop. C’est de cette vision spéculaire que naissent les accusations de parasitisme. Alfred Rosenberg élabora, dans la continuité de son principe de Gegenrasse, un retournement du mythe juif du peuple élu en un mythe national-socialiste basé sur un nouveau principe d’élection, à base artistique d’où émanerait le guide du peuple allemand, le nouveau peuple élu. L’opposition de Rosenberg au mythe du peuple élu est manifeste, et découle de son anti-universalisme. Ainsi, dit-il, «cette espérance universelle de rester le peuple élu consiste à s’agripper pour vivre en suçant toutes les nations (...) [et] cultive une nouvelle forme de parasitisme avec l’aide de la technique de notre temps et celle de la civilisation universelle d’un monde sans âme»(19). Le retournement des valeurs que Rosenberg entend opérer se situe au sein de ce mythe auquel il veut substituer le mythe d’un nouveau peuple élu, en donnant à l’art une nouvelle fonction religieuse. Les juifs, être non-artistiques et non-religieux, en seraient donc fatalement exclus.
L’opposition fondamentale, entre deux peuples, l’un représentant l’exact contraire de l’autre, eut des conséquences eschatologiques importantes, faisant de cette opposition un combat pour la suprématie finale, puisqu’il n’en resterait qu’un, et que ce serait le Volk allemand. La violence, la déshumanisation et la brutalité n’étaient sans doute pas étranger au degré particulier du racisme national-socialiste. Il ne s’agissait pas seulement de tuer, il fallait aussi purifier.
Conclusion
Pour Rosenberg comme pour Gougenot, le judaïsme représentait, ou devait représenter tout ce qu’ils répugnaient. Maçonnisme ou bolchevisme, selon les époques, étaient deux traductions de l’universalisme honni par les deux auteurs. Derrière les mots, c’était le Mal que Rosenberg comme Gougenot voyaient dans le judaïsme, et ce Mal devait être combattu. La polarisation d’une société, inégale, est un principe totalitaire. La société nationale-socialiste, avec ses rites et son guide, mais surtout avec sa prétention à l’absolu, à la fin de l’histoire et à la félicité éternelle est une religion politique, qui catégorise comme catégoriserait une religion dite traditionnelle, entre ce qui relève du Bien, et ce qui dépend du Mal. Les chrétiens, aryens, s’opposaient aux juifs, dans leur acception religieuse chez Gougenot, et à la fois religieuse et raciale chez Rosenberg. L’association du Juif au Mal permettait le développement du mythe conspirationniste, en entretenant l’idée d’un peuple ennemi, dont la seule ambition est la destruction du genre humain, genre dont les nazis l’avaient exclu.
(1) David Flusser, Les sources juives du christianisme, une introduction, Editions de l’Eclat, Paris/Tel-Aviv, 2003, pp. 43-44.
(2) Ibid., p. 99.
(3) Cité par David Flusser, Jésus, Editions de l’Eclat, Paris/Tel-Aviv, 2005, p. 64.
(4) Gougenot des Mousseaux, op. cit., p. 130.
(5) Ibid., p. 76 et p. 130. Gougenot emploie deux fois le même épithète pour qualifier la conversion de Paul sur le chemin de Damas.
(6) Alfred Rosenberg, op. cit., p. 20.
(7) Ibid., p. 75.
(8) Ibid., p. 77.
(9) Ibid., Livre I : «Le combat des valeurs».
(10) Sur la notion de «Pangée» dans le nationalisme. Cf. Ronan Calvez, La radio en langue bretonne. Roparz Hemon et Pierre-Jakez Hélias : deux rêves de la Bretagne, Presses Universitaires de Rennes, CRBC, Rennes, 2000, p. 33.
(11) Alfred Rosenberg, op. cit., p. 385
(12) Ibid., p. 462.
(13) Houston S. Chamberlain, op. cit., p. 345.
(14) Alfred Rosenberg, op. cit., p. 386.
(15) Adolf Hitler, Mon Combat, Nouvelles Editions Latines, Paris, 1934, p. 152.
(16) Cf Tacite et Flavius Josèphe, cités par Jean Juster, Les Juifs dans l’empire romain. Tome 2 : leur condition juridique, économique et sociale, Librairie Paul Geuthner, Paris, 1914, p. 166.
(17) Alfred Rosenberg, Die Protokolle der Weisen von Zion und die jüdische Weltpolitik, Deutsch-Volksverlag, München, 1923, p. 2.
(18) Elie Munk, Le judaïsme face à ce qui l’entoure, Francfort, 1933. Cité par François Fédier, «Préface», dans Martin Heidegger, Ecrits Politiques 1933-1966, NRF-Gallimard, Bibliothèque de Philosophie, Paris, 1995, p. 15.
(19) Alfred Rosenberg, op. cit., p. 388.