Tribune
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Publié le 30 Avril 2009

Allons enfants…

Comme il est difficile au cinéma de retranscrire l’impact d’une lecture !



Sauf peut être si le réalisateur ne s’inspire pas explicitement du dit ouvrage, mais puise à la même réalité plus sombre que jamais, et dresse un état des lieux similaire d’une certaine décrépitude de la nation France.
Ceux qui ont vu « La journée de la jupe » (1) ont reçu au plexus la même vérité coup de poing que les lecteurs des « Territoires perdus de la République » (2), lorsque cet ouvrage de référence dont les pouvoirs publics se sont littéralement emparés, a dit dans une formule poignante le sentiment qu’une partie des élites n’est pas parvenue à formuler, celui de la dépossession. Comment envisager alors la possibilité de reconquérir ces espaces ou l’on assène le « vivre ensemble » alors qu’on y perd son « vouloir vivre » à côtoyer chaque jour une sous-culture dont la plume d’Emmanuel Brenner nous a révélé le fondement aride : antisémitisme, racisme et sexisme ?
8h20 devant la porte de la salle polyvalente d’un lycée dans un vacarme quotidien devenu la norme ; bruit de fond permanent constitué d’ insultes, de menaces, de moqueries et de cris. De l’autre côté, voici vingt minutes que Molière et son bourgeois gentilhomme attendent que le cours débute et qu’on leur donne la parole. Histoire d’une leçon qui ne se fera pas…
Le professeur de français interprété magistralement par Isabelle Adjani, tout en tension, sur le fil du rasoir, entre en collision avec les barrières érigées par ses élèves, ces barricades identitaires qui rendent impossible, parce qu’elles la refusent, la transmission la plus élémentaire de la culture française : Molière de son vrai nom s’appelait Jean-Baptiste Poquelin et a changé son patronyme pour épargner à son père tapissier du Roi, la honte et l’opprobre qui retomberaient sur son nom tant, à son époque, la vocation de son fils était indicible.
Au nom du père.., déjà, au 17ème siècle. Voila qui aurait du parler aux jeunes gens massés derrière la porte de la salle des apprentissages. Pétris de fierté revancharde au souvenir de leurs parents immigrés, ces héritiers légitimes de ce qui parle à travers eux, sans que cette parole soit tout à fait la leur, disent en creux la crise profonde liée à la filiation qui déconstruit l’individu.
S’introduisent alors dans l’école non plus des innocences mais des fiertés, et des armes létales.
Car l’identité est au centre de l’école d’aujourd’hui, et charrie avec elle toutes les dérives conflictuelles liées au psychisme déchiré par la tension entre le particularisme et l’universel.
Or, comment définir la France ? Réfléchissons avec Mona Ozouf(3) aux définitions de l’identité nationale : la France est-elle la revanche de l’abstrait sur le concret comme le pensait le philosophe Julien Benda ou bien ce vieux pays différencié que définissait Albert Thibaudet, critique littéraire de l’entre deux guerres ?
Ces propositions qui sont opposées l’une à l’autre invitent à penser la France autrement. La vision de Benda, une et indivisible enterre la diversité ; celle de Thibaudet s’enrichit de l’identité ethnique et n’est ni civique ni politique. L’oscillation du mouvement qui va et vient d’une conception à l’autre décrit la lutte de l’une pour la « nation culturelle », et de l’autre pour la « nation politique ». Pour atténuer ce balancement, l’obsession républicaine a été de faire aimer aux enfants scolarisés, tout le patrimoine national, bien commun partageable en part égales. Raison et progrès contre passion et intérêt, la grande marche républicaine était irrésistible ; l’idée était noble et belle.
Jusqu’au jour ou le professeur jadis au centre de l’école, a été déplacé vers sa périphérie, évènement qui fut la révélation de la nouvelle donne : plus question de taire dans la sphère publique son identité pour s’émanciper, autre logique du tout ou rien...C’est à cet endroit que la fracture prend forme ; la part non choisie de l’existence cultivée au berceau devient une volonté affirmée qui rend sourd à l’apprentissage d’une autre leçon.
Le film de Lilienfeld tente d’approcher ces dérives qui mettent en péril la sauvegarde du bien commun. Au premier chef, l’exportation d’un antisémitisme endogène, caractérisé dans le long métrage par les propos d’un élève agacé par une chaise, devenue juive soudain, insulte suprême, qui s’applique aussi aux objets inanimés. Ou encore, la considération des femmes ; nulle lorsqu’elle est dévoyée en objet sexuel, un peu plus haute quand il s’agit de la sœur, et mythique pour la mère ; intouchable.
« Engluée dans une attitude victimaire » pour reprendre les mots de Brenner, la jeunesse d’origine maghrébine et africaine martèle dans le long métrage son identité musulmane, « fierté de substitution » écrit Lilienfeld qui donne naissance à des régressions qui alimentent les pires poncifs de l’antisémitisme lesquels laissent l’opinion publique relativement indifférente.
« La journée de la jupe » est un plaidoyer pour l’école, telle que Jules Ferry l’avait envisagée, celle qui oblige à l’instruction des ancêtres gaulois, même si cet enseignement d’une histoire commune n’est pas l’histoire de tous, ainsi que le souligne avec humour Mona Ozouf dont les ancêtres étaient celtes ! Une histoire commune et universelle contre des cultures spécifiques ; « l’école » écrit Mona Ozouf « et c’est là sa merveille, s’ingénie à nous rendre tous pareils ».
L’exception n’est jamais signe d’échec, mais l’école publique doit pour perdurer retrouver la récréation dans la cour destinée à cet effet, et remettre sur l’estrade le professeur, sentinelle contre la stigmatisation.
Avant que nous ne soyons tout à fait exilés en nous-mêmes.
Stéphanie Dassa
Photo : D.R.

(1)Les Territoires perdus de la République
Ss le direction d’Emmanuel Brenner
Edition augmentée
Mille et Une Nuits, mars 2004

(2)La Journée de la Jupe, réalisé par Jean-Paul Lilienfeld
Avec Isabelle Adjani

(3)Composition française
Retour sur une enfance bretonne
Mona Ozouf
Ed Gallimard, 2009