Dans une interview publiée dans Paris Match, le 27 avril 2010, Michel Onfray indique qu’il « trouve singulier » que l’on fasse de lui « un antisémite alors que Freud fait des dédicaces élogieuses à Mussolini, soutient le régime austro-fasciste de Dollfuss, négocie avec le cousin de Göring pour que la psychanalyse puisse perdurer sous le régime nazi ! Voilà des faits. Ce n’est pas le miroir qui est coupable de la laideur de celui qui s’y regarde. »
Nous ne voulons pas revenir sur cette polémique et les affirmations du philosophe, qui mériterait à elle seule des pages et des pages. Par contre dans l’interview déjà mentionnée plus haut du Point, Onfray affirme : Comment se remettre d’une accusation insinuante d’antisémitisme, une arme utilise par Freud en son temps pour criminaliser toute opposition à sa doctrine et que ses affidés utilisent sans retenue y compris et surtout depuis Auschwitz ? »
Voilà une affirmation pour le moins spécieuse que l’on entend ici ou là et qui, somme toute est très problématique. Pourquoi ? Il faut d’abord convenir que, la plupart du temps, ceux et celles qui doutent plus ou moins que l’antisémitisme puisse continuer de sévir, se revigorer, se muer, se transformer, se développer et frapper (sous toutes les formes possibles), pensent que les juifs (par exemple) et d’autres utiliseraient à satiété cette « arme » pour faire taire leurs adversaires. Ils tenteraient ainsi de noyer (le poisson) et toutes critiques (contre Israël, par exemple), toutes remarques, toutes considérations sur les Juifs, leur omniprésence réelle ou supposée, etc. Bref, on doit entendre par là, selon Onfray que l’accusation d’antisémitisme (qui est relativement grave) depuis « Auschwitz » est utilisée « sans retenue » et constituerait de fait une (dernière) arme.
C’est le genre de choses que je lis de plus en plus. Prenons un autre exemple. Ce 12 novembre 2010, sur le site de causeur.fr (qui par ailleurs est un site très courageux et publiant des articles lucides), je viens de remarquer qu’un article assez surprenant a été publié pour défendre le jeune Nicolas Bedos, après qu’il ait tenu des propos détestables sur une antenne du service public (France2) (1). Que disait Bedos dans son « sketch » :
« Jeudi, je fais un nouveau rêve : celui où je pourrais dégueuler sur Netanyahou et la politique menée par l'état d'Israël, sans que personne, personne, ne me traite d'antisémite ou d'antisémite refoulé, de demi-antisémite, ou de quart-antisémite, ... (applaudissement mesuré de quelque uns dans le public), ou d'antisémite inconscient qui, au fond de lui n'ose le dire, mais qui inconsciemment rêve de voir pendu Patrick Bruel, Elsa Zilberstein, Primo Lévi, Pierre Bénichou, et ce qu'il reste dans le même sac d’Ariel Sharon, blanche kippa et kippa blanche ; moi qui suis tellement con, que je n'ai pas saisi cette notion très subtile devant laquelle s'indigner devant cette politique honteuse, c'est vouloir du mal à tous les juifs de la planète. (Un applaudissement tiédasse sur le plateau). »
Que dit l’auteur de l’article qui a été publié sur le site de Causeur.fr? Je cite :
« Les juifs qui accusent d’antisémitisme toute personne qui refuse de leur donner l’heure doivent comprendre que cette accusation est terrible, pas seulement parce qu’elle est socialement dangereuse, mais parce qu’elle est moralement insupportable. » ( …) « Alors soyons clairs : toute personne qui n’est pas d’accord avec un juif n’est pas antisémite. Et cessons de réclamer un traitement d’exception pour les juifs. On aurait le droit de se moquer des pédés, des Arabes, des blondes, des noirs et pas des juifs ? Et après, on nous parlera du droit au blasphème et des caricatures du Prophète ? Au secours ! »
Seulement voilà :
1) Ceux-là même qui récusent qu’il y ait, ou qu’il puisse y avoir de l’antisémitisme, poussent finalement des cris d’orfraie.
2) Il faut donc comprendre que l’antisémitisme n’existe pas, ou plus, non ?
3) Et que, par conséquent, parler d’antisémitisme, serait une ineptie (sic)
4) De plus cette accusation tant insupportable, il serait insupportable (selon eux) de parler d’antisémitisme, surtout que (affirment-ils) les juifs parlent sans cesse d’antisémitisme et accusent n’importe qui, n’importe quand, d’être antisémitisme et d’antisémitisme.
5) Cela va de soi, bien sûr (sic). Les juifs seraient « obsédés » par l’antisémitisme à un point tel qu’ils n’hésiteraient pas à exploiter cette accusation et/ou parler continuellement de la Shoah (pour culpabiliser la terre entière ?).
6) Non seulement, ils l’exploiteraient, mais en plus, ils fermeraient les yeux lorsque d’autres communautés sont discriminées, Evidemment. Là encore, cela va de soi (sic).
7) Car, en vérité, l’antisémitisme a beau jeu et cacherait la forêt (la vraie) et dans cette course victimaire, il faudrait moins parler d’antisémitisme, comme de Shoah, pour parler un peu plus… des (vrais) problèmes, des (vraies) discriminations, des (vrais) racismes.
8) Par conséquent, le seul bon antiracisme (non dévoyé) serait celui qui, par conséquent, éviterait de parler d’antisémitisme, puisqu’il n’existe pas (ou presque) et que, de toute manière, il serait utilisé à satiété par les juifs pour dédouaner leurs adversaires (sic).
9) Mieux, « l’antiraciste authentique » décrètera à l’évidence que parler d’antisémitisme, cela commence à bien faire (sic)
10) Résumons : les juifs se désintéresseraient forcément des autres. Ils utiliseraient cette arme, alors que l’antisémitisme ne serait finalement qu’une vue de l’esprit ou quelque chose qui se serait forcément arrêté en 1945.
11) Et bien évidemment, les personnes qui disent cela, n’ont aucune mauvaise intention, n’ont aucun préjugé et n’énoncent, n’utilisent, ne stéréotypisent pas les juifs.
12) Bref, ce sont de braves gens. On peut tranquillement rêver « de voir pendu » les « Patrick Bruel, Elsa Zilberstein, Primo Lévi, Pierre Bénichou » : fermer le banc, il n’y a rien à voir.
Photo : D.R.