L’hebdomadaire britannique The Economist se demande si Jean-Marie Le Pen fera obtiendra un aussi bon score pour les élections présidentielles de 2007 qu’en 2002. Quelque 23 % des électeurs ont déclaré lors d’un sondage, qu’ils approuvaient ses idées, et 31 % ont exprimé le souhait qu’il se représente. Enfin, pas moins de 36 % pensent qu’il serait à nouveau présent au second tour, rappelle The Economist. Mais beaucoup de choses pourraient changer d’ici là. Si Nicolas Sarkozy durcit le ton sur l’immigration et la sécurité, il pourrait s’attirer certains des suffrages du Front national, pense The Economist. Le parti de Jean-Marie Le Pen est sûr d’avoir le soutien d’une moitié de son électorat habituel, mais au-delà c’est l’incertitude. Mais, soutient l’hebdomadaire, comme l’a souligné Jacques Chirac, les opportunistes peuvent perdre au centre autant de voix qu’ils en gagnent aux extrêmes. En tout cas, M. Le Pen reste imperturbable : « Auparavant, on nous accusait d’extrémisme, dit-il. Aujourd’hui, les gens de gauche, du centre et de droite utilisent le même langage. Les électeurs préfèrent l’original à la copie. »
Après les réformateurs proeuropéens, des populistes et des nationalistes fascisants. Pour le politologue libéral bulgare Ivan Krastev, ce tournant met en évidence la fracture entre l’élite et le peuple. Ivan Krastev estime que l’Europe centrale est particulièrement agitée ces temps-ci. La première alerte est venue de Pologne, affirme-t-il. A l’automne 2005, le parti Droit et justice (PiS) – dirigé par les frères jumeaux Lech et Jaroslaw Kaczynski – a raflé la présidence (en la personne de Lech) et le gouvernement (dont Jaroslaw est le Premier ministre). Il promettait une révolution morale contre la corruption et le népotisme, et s’engageait à combler le fossé entre gagnants et perdants, dont il rendait responsables les élites postcommunistes. Comme la suite l’a montré, l’extrémisme des frères Kaczynski visait davantage à réécrire le passé qu’à résoudre les problèmes du présent. Leurs cibles favorites se sont révélées être non pas tant les anciens communistes évincés du pouvoir l’année dernière que les médias libéraux, la banque centrale indépendante et l’Union européenne, estime Ivan Krastev. Depuis que Jaroslaw Kaczynski a pris la tête du gouvernement, il a fait entrer dans sa coalition le parti Autodéfense du populiste Andrzej Leper, à gauche, et la Ligue des familles polonaises, à droite… Il s’en est fallu de peu que ce gouvernement ne remette en question les mesures favorables au marché qu’avaient adoptées ses prédécesseurs, indique le politologue bulgare. Mais la première année au pouvoir des jumeaux aura été marquée par une accoutumance aux théories de la conspiration, ainsi que par le retour à un discours nationaliste. Lorsqu’on entend parler les nouveaux leaders polonais, on a l’impression que la Seconde Guerre mondiale n’est pas terminée.
Dans cet article, Ivan Krastev parle également de l’élection slovaque du 17 juin 2006 et de la formation d’un nouveau gouvernement à Bratislava. Pour Krastev, la nouvelle équipe constituée au terme de manœuvres postélectorales – une coalition improbable et insupportable réunissant les populistes modérés de Robert Fico, les nationalistes extrémistes de Jan Slota et les partisans de l’ancien Premier ministre Vladimir Meciar – est l’exemple type de cette nouvelle révolution qui se déroule en Europe centrale. Ces huit dernières années, la Slovaquie a pourtant effectué un parcours, que l’UE a souvent donné en exemple. Ce petit pays était volontiers comparé à l’Irlande, même si, plus encore que le “tigre celte”, la Slovaquie a connu des rebondissements et des happy ends inattendus. Puis, après tous ces miracles, les électeurs slovaques ont ramené au pouvoir les deux partis – nationaliste et meciariste – qui, au milieu des années 1990, avaient transformé la Slovaquie en une Biélorussie buveuse de bière. Pourquoi les réformistes libéraux proeuropéens ont-ils perdu les élections ? Le fort taux de chômage et l’aggravation des inégalités y sont sans doute pour beaucoup. Mais il est plus difficile d’expliquer pourquoi des populistes et des demi-fascistes étaient la seule solution de rechange. Un dénouement pas si heureux que ça, finalement. »
Le courrier international revient également sur les élections municipales qui ont eu lieu en Belgique, le 9 octobre 2006. De standaard (le quotidien de référence de l’establishment flamand) remarque que, nulle part en Flandre, le Vlaams Belang (parti d’extrême droite flamand) n’a pu obtenir un résultat lui permettant d’être incontournable sur l’échiquier politique. « A tel point que même Filip Dewinter [figure de proue du VB] a déjà remisé ses ambitions de décrocher la mairie d’Anvers. La ville aura finalement été un Waterloo pour le dirigeant du Vlaams Belang. Le parti n’a pas non plus réalisé de bons scores dans les différents districts d’Anvers. Il a bien frôlé la majorité absolue à Merksem, avec 41 % des voix, et à Deurne, avec 44 % ; mais, ailleurs, il est resté très loin de la majorité absolue. Dans le quartier populaire de Borgerhout, il enregistre même un recul important. Ailleurs en Flandre, le VB ne devrait pas être sollicité pour dépanner des maires [qui auraient des difficultés à former une majorité]. En divers endroits de la province d’Anvers (Lier, Schoten, Boom, Stabroek, Borsbeek) et à Alost [en Flandre-Orientale], le parti d’extrême droite progresse et devient le premier parti local. Mais, partout, des majorités alternatives continueront à administrer les communes sans le VB. L’avenir de ce parti semble moins brillant. Dans certaines villes, il enregistre soit un recul, soit de modestes gains (à Gand et à Malines). De fait, l’idée de permettre à l’extrême droite d’intégrer une majorité afin de le mettre à l’épreuve de l’exercice du pouvoir se fait moins pressante. A Anvers, le bourgmestre Patrick Janssens a prouvé que la bonne gouvernance peut réduire le Vlaams Belang. »
D’autres articles du courrier international sont consacrés à l’extrême droite. En Espagne, malgré sa faiblesse endémique, l’extrême droite (espagnole) relève la tête en surfant sur les thèmes de l’insécurité et de l’immigration. En Italie, les vrais rebelles, aujourd’hui, ce sont les jeunes prolétaires d’extrême droite, avec leur riche culture « non-conformiste ». Enfin, en Allemagne : « tétines pour les bébés, des biscuits pour les parents et des coups de poing pour les adversaires politiques : telle est la nouvelle stratégie des néonazis. »
Marc Knobel
Le Courrier international, n° 832, du 12 au 18 octobre 2006, 3 euros