Tribune
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Publié le 3 Juin 2010

Arrogante Turquie ! Par Marc Knobel

L’analyse de Gilles Paris publiée dans Le Monde (3 juin 2010) : « La cause palestinienne victime de son internationalisation » est très intéressante. Que dit Paris ? Depuis la disparition de Yasser Arafat, le pouvoir de Mahmoud Abbas ne cesse de se rétracter et l’Autorité palestinienne qui ne pourrait tenir sans l’aide massive des parrains internationaux (notamment l’Europe) est « un pouvoir durablement faible ». Lorsqu’en 2007, les deux fractions palestiniennes (Fatah et Hamas) s’affrontèrent dans une quasi guerre civile, ce fut le royaume Saoudien qui intervint pour imposer sa modération. Mais, selon Gilles Paris, aujourd’hui, c’est au tour du Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, de se poser en défenseur de la cause palestinienne.




Nous allons nous pencher sur ce point. Mais il faut rappeler un certain nombre de faits :



1) Le parti islamiste « modéré » actuellement au pouvoir (Parti de la Justice et du Développement (AKP))- à Ankara est une machine politique au service d’un opportuniste ambitieux. Il est aussi la face cachée de cette «hydre (islamiste) verte» que l’armée turque combattait avec acharnement et qui tente, comme en Iran, d’arriver au pouvoir grâce à une vague de fond populaire.



2) l’AKP est parvenu au pouvoir démocratiquement, certes. Et, les islamistes de l'AKP jouent (stratégiquement) aujourd'hui à fond la carte européenne, l’une des conditions de l’entrée de la Turquie en Europe étant l’éradication des ingérences de l'armée dans la vie politique, ce qui est considéré par l'UE comme non démocratique.



3) Justement, le seul obstacle à la création d’un État théocratique en Turquie et aux ambitions démesurées d’Erdogan demeurait l’armée, représentée au pouvoir par le Conseil national de sécurité. Nous savons que l’armée défend la vision kémaliste d’un État laïque, condition nécessaire à la modernisation et au développement économique et culturel du pays. Mais, L’AKP demeure sous haute surveillance. Alors, Erdogan a renvoyé l’armée dans ses casernes.



4) En vérité, Erdogan ne fait pas mystère de ses ambitions régionales. Il s’agit de placer la Turquie au centre de l’échiquier moyen oriental, de redorer le blason de ce pays et de renverser de vieilles alliances. La Turquie d’Erdogan est fascinée -pour ne pas dire subjuguée- par l’alliance qu’elle est en train de bâtir et de conforter avec la République islamique d’Iran d’Ahmadinejad. Elle veut aussi modifier ses rapports -jusque-là plutôt distendus- avec sa proche voisine, la Syrie. Elle soutient le Hezbollah et le Hamas.



5) Pour des raisons autant tactiques que de pure politique politicienne, la Turquie -en instrumentalisant la cause palestinienne- flirte avec l’ensemble du monde arabe. La « rue arabe » d’ordinaire si distante et si méfiante à l’égard de la Turquie, regarde maintenant avec des yeux de chimères, l’ancien empire Ottoman.



6) Pour établir de nouvelles alliances, la Turquie doit se débarrasser du « boulet » israélien. Erdogan –quoiqu’il dise- est prêt à sacrifier l’alliance stratégique et politique qui existait entre les deux pays, au profit de ses nouveaux amis.



7) « La Turquie a pour objectif de vivre en paix avec tous les pays et de rétablir la puissance de l'Empire ottoman », avait dit le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan (21 septembre 2009), ajoutant. «Je crois que chaque famille turque devrait avoir au moins trois enfants. Nous croyons à l'avenir de la Turquie et nous encourageons tout le monde à y croire. »



« Rétablir la puissance de l’Empire ottoman ? » Certes. Mais comment ? En se rapprochant du monde arabe ; en flirtant dangereusement avec l’Iran ; en matant définitivement les kurdes ; en marginalisant les minorités (chrétiens, juifs, arméniens…) ; en assoyant sa domination à Chypre avec le fantoche République Turque de Chypre du Nord ; en étendant son influence auprès de ses satellites et en continuant de nier le génocide arménien.



8) De fait, la Turquie d’Erdogan constitue bien un danger, car elle fait le lit de l’islamisme dans la région : l’impératif d’étendre l’islam, le devoir de prosélytisme (da’wa), la nécessité de conquête et d’ouverture du monde à l’islam (fatih), sont, rappelons-le, les inspirateurs directs de l’AKP !



Photo : D.R.