Un remarquable article de Stéphanie Le Bars « A Cracovie, la question de la Shoah parasite le dialogue interreligieux porté par la communauté Sant’ Egidio » (Le Monde, 10 septembre 2009, p.8) a retenu toute mon attention.
L’envoyée spéciale du quotidien rapporte que plusieurs dizaines de dignitaires religieux de toutes confessions venus du monde entier ont franchi ensemble les portes du camp d’extermination de Birkenau (Pologne), le mardi 8 septembre, pour commémorer le 70ème anniversaire du début de la seconde guerre mondiale et « prier ensemble pour la paix. »
Cependant, Stéphanie Le Bars révèle que :
1) la délégation musulmane venue d’Inde, d’Afrique ou du Moyen-Orient était numériquement faible, « une situation due au Ramadan », selon les organisateurs.
D’où la question que je me pose : Est-il exact que le Ramadan empêcherait des musulmans de pénétrer dans le camp (en pleine journée) ?
2) Présent à la soirée inaugurale, un dignitaire de la célèbre université égyptienne Al-Azhar, s’est éclipsé lundi, sans passer par Auschwitz, après un discours dénonçant le mépris de l’Occident pour les musulmans, rapporte Stéphanie Le Bars.
D’où les questions que je me pose : n’est-il pas regrettable que cette personnalité pourtant si prompt par ailleurs à dénoncer les relents « d’islamophobie » occidentale, ait délibérément ignoré de se rendre à Auschwitz ? Les victimes du nazisme comptent-elles à ses yeux ?
3) La table ronde consacrée à ce sujet, raconte la journaliste du Monde, s’est déroulée en l’absence d’intervenants musulmans, sous le prétexte que « c’est un sujet qui regarde principalement le dialogue judéo-chrétien », a justifié l’évêque italien Ambrogio Speafico.
D’où les questions que je me pose : comment un évêque peut-il justifier (sans la condamner) cette dite absence en limitant le sujet au seul dialogue judéo-chrétien ? Quid de l’universalité de la Shoah, qui devrait normalement concerner et interpeller l’humanité entière ?
4) Un responsable de Sant’ Egidio a reconnu par ailleurs que « ce thème de la Shoah est un sujet sensible pour les musulmans. C’est devenu une question politique », rapporte la correspondante du Monde.
D’où les questions que je me pose : En quoi spécifiquement la Shoah serait-elle devenue « un sujet sensible pour les musulmans », et pourquoi donc les musulmans pensent-ils que « c’est une question politique » ? Que veulent-ils dire et que cachent ces étranges affirmations ?
5) Stéphanie Le Bars rapporte également que la compréhension de la Shoah par le monde musulman est inégale. « On n’en a aucune connaissance », a témoigné le responsable du centre islamique de New-Delhi.
D’où les questions que je me pose : comment se fait-il qu’en soixante dix années, à part quelques exceptions notables et respectables, le monde musulman soit finalement –sauf erreur de notre part- resté si éloigné (indifférent ?) au plus grand meurtre de masse qu’est connu l’humanité ? Comment expliquer que, dans pratiquement aucun pays musulman, un enseignement de la Shoah ne soit réellement délivré ? Pourquoi cette question n’est-elle pas inscrite dans les programmes scolaires ? Comment se fait-il que les enseignants ne reçoivent aucune formation pour parler de ces sujets ? Comment expliquer que presque aucune réflexion ne porte sur ces questions (1) ?
6) Stéphanie Le Bars rapporte qu’Hassan Hanafi, professeur de philosophie au Caire, sincèrement ému à la sortie de la chambre à gaz du camp, a toutefois mis en garde contre le « deux poids, deux mesures » et l’instrumentalisation du génocide juif : « Attention de ne pas oublier le Rwanda, la Birmanie ou Gaza ».
D’où les questions que je me pose : Comment se fait-il qu’un intellectuel mette sur le même plan le génocide (atroce) qui a frappé le Rwanda, la répression méthodiquement organisée par la junte birmane, et la guerre à Gaza ? Comment se peut-il qu’un esprit qui devrait être éclairé, utilise cette étrangeté du « deux poids, deux mesures », alors qu’aucun être humain ne devrait normalement ignorer le génocide du Rwanda ? Faut-il rappeler par ailleurs que tout le monde devrait condamner la dictature birmane et tout le monde peut regretter aussi qu’un énième conflit est endeuillé les gazaouites et les israéliens ? Qui peut par ailleurs, se réjouir qu’une énième guerre ait frappé cette région du monde ?
7) Stéphanie Le Bars révèle enfin que l’algérien Mohammed Esslimani, professeur de droit islamique en Arabie Saoudite, se soit montré plus direct encore : « La notion de Shoah, les musulmans connaissent : ils vivent le même film à Gaza. »
D’où les questions que je me pose : Qui donc instrumentalise (dans cette affaire) la Shoah et qu’est ce que cette comparaison indécente, malsaine et perverse entre le conflit de Gaza (2) et les 6 millions de victimes de la Shoah ? Qu’est ce que cette ignorance que nous pourrions qualifier de « feinte » et cette instrumentalisation ?
8) Malgré tout, Stéphanie Le Bars rapporte qu’au cours de ces trois jours, juifs, chrétiens, musulmans et bouddhistes ont défendu la nécessaire éducation des jeunes et le dialogue entre les religions. Dont acte.
D’où mes dernières remarques : c’est là, en vérité, que l’on devrait trouver la sagesse et l’humanité. L’humaine condition ne peut se révéler que lorsque les hommes tirent aussi les leçons du passé, avec humanité, dans un esprit de solidarité et de fraternité.
Cela devrait concerner tous les hommes ? Non ?
Marc Knobel
Notes :
1) Ouvrons une parenthèse et notons que nous apprécions d’autant plus le projet Aladin, mis en place par la Fondation pour la Mémoire de la Shoah (FMS).
2) L’organisation israélienne des droits de l’homme B’Tselem rapporte dans un rapport, publié le 9 septembre 2009 (sur les victimes de cette guerre) que 1387 Palestiniens ont été tués, dont 773 n’avaient pas pris part aux hostilités. Les palestiniens ont tué 9 israéliens, dont 5 soldats. Selon l’armée israélienne, 1166 Palestriniens ont été tués, dont 60% étaient membres du Hamas ou d’autres groupes armés. Sur ce total, assure l’armée israélienne, seuls 295 Palestiniens n’ont pas pris part aux combats, indique Le Monde, dans son édition du 10 septembre 2009.