Tribune
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Publié le 7 Mars 2007

Barre : ceux qui réagissent et ceux qui se taisent !

Du vendredi 2 mars au mardi 6 mars, la classe politique a tardé à réagir et à dénoncer les propos de Raymond Barre. Néanmoins, en fin de journée, le 6 mars, les réactions ont commencé à tomber. A titre informatif, nous reproduisons ci-après quelques unes de ces réactions.


Rappel des faits :
Invité par France Culture pour parler de son livre L'Expérience du pouvoir -l'émission a été enregistrée le 20 février et diffusée le jeudi 1er mars- Raymond Barre avait déclaré à propos du rôle de Maurice Papon : « Quand on a des responsabilités essentielles dans un département, une région ou à plus forte raison dans le pays, on ne démissionne pas. On démissionne lorsqu'il s'agit vraiment d'un intérêt national majeur ». (...) « Ce n'était pas le cas car il fallait faire fonctionner la France ». Il estime que Maurice Papon a été « un bouc émissaire ».
Interrogé plus tard sur les propos qu'il avait tenus après l'attentat de la rue Copernic -« un attentat odieux qui voulait frapper les Juifs se trouvant dans cette synagogue et qui a frappé des Français innocents qui traversaient la rue Copernic » -Raymond Barre rappelle que « dans la même déclaration », il avait dit que « la Communauté juive ne peut pas être séparée de la Communauté française ». Il avait parlé de « Français innocents », parce que « les Français n'étaient pas du tout liés à cette affaire ». Il ajoute ensuite qu'il y a eu à ce moment « une campagne » qui a été « faite par le lobby juif le plus lié à la gauche », insistant « je considère que le lobby juif - pas seulement en ce qui me concerne - est capable de monter des opérations qui sont indignes et je tiens à le dire publiquement ». A propos de Bruno Gollnisch, élu FN au conseil municipal de Lyon, et condamné pour propos négationnistes, Raymond Barre a maintenu sa position : « J'ai dit en parlant de Bruno Gollnisch que je blâmais ce qu'il avait dit mais que pour le reste, je l'avais connu et que c'était un homme bien ».
Le Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) a été le premier vendredi 2 mars à se dire « scandalisé » par de tels propos, estimant que Raymond Barre avait « rejoint l'extrême droite ». Mardi 6 mars, dans une tribune publiée par Libération, Claude Lanzmann, directeur des Temps Modernes et réalisateur de « Shoah » s'insurge: « J'accuse M. Raymond Barre d'être un antisémite. Plus encore: je l'accuse de se faire le héraut de cette passion immonde, de la propager, de s'en glorifier, délit qui tombe sous le coup de la loi ».
Les réactions politiques :
François Bayrou, Président de l’UDF, a jugé « purement et simplement inacceptables » les propos tenus par Raymond Barre. Le candidat centriste à l’élection présidentielle indique qu’il a pris connaissance avec « stupéfaction » des propos de Barre. Il ajoute qu’il « n’y a rien à commenter, rien à discuter, rien à expliquer. Ces propos sont purement et simplement inacceptables. » « Je le dis avec tristesse mais avec certitude. » Selon M. Bayrou, « ces affirmations et ces références mettent en cause les valeurs de la République, qui nous permettent de vivre ensemble dans notre pays ».
Le Parti socialiste a dénoncé mardi 6 mars « avec la plus grande fermeté » les propos « indignes » de Raymond Barre. « Ces propos sont indignes d’une ancien Premier ministre de la République, (…) censé rester une référence et il est insupportable de l’entendre prononcer de tels propos », a écrit le porte parole du PS Julien Dray, dans un communiqué.
Jean-Marie Le Pen, Président du Front national, a refusé de condamner les propos de l'ancien Premier ministre Raymond Barre, qui a pris la défense de Maurice Papon, condamné pour avoir fait déporter des juifs pendant la Seconde Guerre mondiale, et fustigé un « lobby juif » capable, selon lui, de « monter des opérations indignes ».
« Je ne sais pas s'il s'agit d'un lobby mais (...) il existe des réactions qui peuvent porter des gens à avoir les mêmes attitudes ou à s'inventer les mêmes adversaires », a déclaré sur France Inter (5 mars) le candidat à l'élection présidentielle. Quant à Maurice Papon, décédé le mois dernier, il « a été un bouc émissaire beaucoup plus qu'un responsable », a ajouté le dirigeant d'extrême droite. « C'est un sous-préfet. Juger toute la politique de l'occupation française dans la personne d'un sous-préfet, ça me paraît un peu léger. »
Sauf erreur de notre part, à midi, ce mercredi 7 mars, les autres formations politiques (Lutte Ouvrière, la Ligue Communiste Révolutionnaire, le Parti Communiste Français, les Verts, le Mouvement Républicain et Citoyen, le Parti Radical de Gauche, l’Union pour un Mouvement Populaire et le Mouvement Pour la France) n’ont toujours pas réagi aux propos tenus par Raymond Barre.
Les associations antiracistes dénoncent les propos de Raymond Barre :
Dans un communiqué diffusé le 6 mars, la LICRA (Ligue Internationale Contre le Racisme et l’Antisémitisme) affirme qu’après « les propos intolérables tenus par Raymond Barre en 1980 à la suite de l’attentat de la rue Copernic, celui-ci récidive. » « Un Premier Ministre ne sait donc pas que l’antisémitisme et le négationnisme ne sont pas des opinions mais des délits pénaux », affirme la LICRA. « Enfin, il prend la défense de Maurice Papon qui aurait essayé de « limiter la casse ». Expression inadmissible de la part d’un Premier Ministre qui veut oublier que Maurice Papon a dirigé un service spécifique intitulé « service des questions juives » à Bordeaux et qui a arrêté et déporté plus de 1600 juifs.
La LDH (Ligue des Droits de l’Homme et du Citoyen), dans un communiqué (6 mars 2007) affirme pour sa part « qu’au fil des années, Monsieur Barre, qui avait été présenté par Monsieur Giscard d’Estaing comme le « Joffre de l’économie », confond apparemment de plus en plus la Marne et les environs de Vichy. La LDH ajoute que « ceux qui se taisent face aux propos déshonorants de leur ancien mentor en sont nécessairement complices. La succession de Maurice Papon est ouverte, et ce passé-là, décidément, « ne passe pas ». »
Quant au MRAP (Mouvement contre le Racisme et l’Amitié entre les Peuples), il se dit (5 mars) indigné par les propos tenus par Raymond Barre : « Avec cynisme, l’ancien Premier Ministre prend tour à tour la défense de Maurice Papon, de Bruno Gollnisch et maintient ses propos odieux sur l’attentat de la rue Copernic. Raymond Barre affirme son indifférence face aux accusations d’antisémitisme qui pourraient être portées contre lui et exonère de sa responsabilité Maurice Papon condamné pour complicité de crimes contre l’humanité par les Assises de Bordeaux pour son rôle dans la déportation de 1690 adultes et enfants juifs pendant la seconde guerre mondiale. Il rend hommage à son « courage » en tant que Préfet en Algérie puis Préfet de police à Paris au moment des évènements de Charonne. » « Raymond Barre n’hésite pas à forcer encore le trait, s’il en était besoin, en répudiant tout regret à propos de sa propre déclaration lors de l’attentat de Copernic : « un attentat odieux qui voulait frapper les Juifs se trouvant dans cette synagogue et qui a frappé des Français innocents qui traversaient la rue Copernic » sans oublier de mentionner le « lobby juif » à propos de la campagne qui a suivi l’attentat », ajoute le MRAP. « Enfin, Raymond Barre banalise les idées négationnistes de Bruno Gollnisch qu’il considère comme « un homme bien »."
SOS Racisme a demandé mardi 6 mars au ministre de la Justice Pascal Clément d’engager des poursuites contre Raymond Barre. L’association antiraciste « se réserve évidemment le droit d’engager des poursuites si les autorités devaient rester silencieuses », précise SOS Racisme dans un communiqué. Les propos tenus par Raymond Barre « sont indignes de l’homme qui les a proférés et des hautes fonctions qu’il a exercées dans le passé », souligne l’association, en affirmant qu’il ressort de cette interview « la banalisation des crimes commis pendant la Shoah, la réhabilitation du régime de Vichy, le déni fait aux juifs d’être des victimes dans les attentats qui les visent ainsi que l’accusation à leur encontre d’organiser un lobby capable de monter des opérations indignes ».
Marc Knobel