Tribune
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Publié le 15 Septembre 2011

«Bienvenue en Israël», par Ofer Bronchtein

Né à Beersheba, ayant vécu au kibboutz Bet Keshet, à Chehounat Atikva, quartier pauvre du sud de Tel-Aviv, et à Jaffa, je suis imbibé par les idéaux fondateurs d’Israël, ceux de la « haravout addadit », ceux de la fraternité, de la solidarité, de la justice, de l’égalité, de la liberté : toutes ces valeurs qui ont permis la naissance et le développement d’Israël, qui ont donné à la notion de collectivité tout son sens.




Je connais les maux de la société israélienne et c’est par amour pour Israël que je milite pour la paix et la justice sociale. Ces mêmes maux ont provoqué un cri de douleur poussant 400 000 Israéliens dans la rue et avec eux l’adhésion de la grande majorité des Israéliennes et Israéliens. Ici en France, il est aussi de notre devoir de les soutenir massivement.



Or je me demande parfois si certains dirigeants de la communauté juive de France sont aveuglés par leur amour pour Israël, ou s’ils essaient de nous aveugler, au pire par des informations erronées, au mieux par une méconnaissance de la société israélienne.



Beaucoup évoquent le mouvement social tout en continuant à louer « le néo-libéralisme » de l’économie israélienne, alors que c’est ce même néo-libéralisme qui est remis en question aujourd’hui.



Certains vont jusqu’à expliquer pourquoi un ex-soldat israélien a le droit à un salaire décent et à un toit, insinuant qu’un jeune israélien n’ayant pas servi dans l’armée ne mériterait pas le même traitement, insinuant que les citoyens arabes israéliens, et les religieux ne devraient pas bénéficier des mêmes droits. Je rappelle que près de 50% des jeunes Israéliens ne servent pas dans l’armée : les jeunes femmes mariées ou qui désirent se marier, les objecteurs de conscience, les étudiants des yeshivot, les religieux et une partie des Palestiniens israéliens (près de 15% de la population) ne voulant pas, au nom de leur pays, combattre leur peuple.



Chacun gagnerait à visiter plus fréquemment Yeruham, Netivot (encore considérées comme des «villes en développement »), ou encore Shounat Atikava, Baka El Garbia, pour mieux se rendre compte des fossés grandissant entres riches et pauvres, entre nouveaux immigrants et anciens, entre les juifs éthiopiens et les autres, (voir le scandale de la ségrégation cette semaine à Petah Tikva), entre séfarades et ashkénazes, entres juifs et arabes, entre hommes et femmes. Il faudrait lire davantage les rapports annuels produits pas la sécurité sociale israélienne : le dernier nous apprend entre autre que près de 40% des enfants et 45%des retraités sont considérés comme pauvres.



Ne savent ils pas que 85% des richesses d’Israël sont détenues par une poignée de familles ; que le prix de l’immobilier à Tel-Aviv est presque identique à celui de Paris, alors que le salaire moyen est trois fois inferieur ; que le coût d’une crèche est aussi élevé que le salaire d une employée et n’est pas déductible d’impôts ; qu’enfin le salaire d’une femme est très inférieur à celui d’un homme, à formation égale.



Alors cessons de nous effrayer parfois exagérément des «dangers extérieurs» et des «ennemis d’Israël » !



Il faut se rendre à l’évidence : investir et donner tant de privilèges à une minorité que constituent les colons (vivant en territoires occupés : hypothèques à taux réduits, déduction d’impôts, construction injustifiée de routes, mobilisation massive et très coûteuse de l’armée pour les protéger) est injustifié.



Pour répondre aux revendications de la majorité des israéliens (84%), il faudra entre autres réduire le budget de la défense, arrêter les privatisations à outrance, démembrer des monopoles, imposer les bénéfices fonciers, arrêter d’investir dans les colonies, combattre la corruption, augmenter les salaires, établir la gratuité de l’éducation dés l’âge de trois ans, réduire le nombre de ministres, changer le système électoral défaillant.



Aujourd’hui la commission de professeurs et spécialistes créée par le mouvement a rendu public une partie de ses recommandations : entres autres, investir massivement dans l éducation , réinvestir dans les services sociaux .Comparée au néo libéralisme israélien ,la politique économique et social président Sarkozy serait considérée d’ extrême gauche .



Je suis également attristé par le fait qu’on ne compare pas davantage les «indignés» israéliens aux jeunes tunisiens, égyptiens syriens et espagnols . Le printemps arabe exige le départ de dirigeants despotiques, dictatoriaux, sanguinaires, et les Israéliens pointent du doigt une « démocratie malade » écrit Nahum Barnea dans Yediot Aharonot. Chaque situation est différente mais tous manifestent pacifiquement, bien que nous soyons témoins cette semaine des manifestations violentes à Tel-Aviv, et à une violence inacceptable contre l ambassade israélienne au Caire, dénoncée par Wael Ganem « le visage de la révolution égyptienne ».



Les uns comme les autres déplorent la corruption, exigent un partage plus juste des richesses, et surtout nous donnent une leçon de courage.



Comme les « printemps arabes », le mouvement de « l’été israélien » est spontané, désorganisé, mobilisateur, utilise les nouveaux moyens de communication (Face Book, internet, blogs…). Alors pourquoi ne pas accepter les similarités, pourquoi ne pas admettre que des jeunes tunisiens, égyptiens, syriens, arabes, espagnole, puissent inspirer de jeunes Israéliens?



Aimer Israël, c’est aussi combattre ses abus et ses injustices, c’est savoir retrouver ou réinventer les valeurs fondatrices d’Israël lorsque cela et nécessaire.



Aimer Israël c’est enfin désirer la paix car c’est elle et elle seule qui à long terme garantira la sécurité d’Israël et permettra d’allouer les moyens nécessaires pour répondre aux besoins des Israéliens, pour renouer avec nos valeurs : celles de la liberté, de l’égalité, de la fraternité, de la justice sociale, du bon voisinage et de l’amour de son prochain.



J’appelle mes amis et dirigeants de la communauté juive de France à cesser de nourrir, trop a mon avis, les peurs, et à tout faire pour cultiver l’espoir.



Ps : Le 13 septembre, nous célébrions les accords historique signés entre Arafat et le premier ministre Rabin à Washington en 1993, accords qui ont ouvert la voie à une reconnaissance mutuelle, à des accords de paix avec la Jordanie, à des bureaux d intérêts à Tunis, Rabat , Doha et des relations diplomatique avec la Mauritanie. C’était une époque où Israël était admirée, respectée par la famille des nations et qui a valu le prix Nobel de la paix à feu Itzhak Rabin au président Peres et à Arafat.



Je tenais à le rappeler pour deux raisons, la première est que ce fut le seul moment dans l histoire d Israël où le budget de l éducation nationale était plus important que celui de la défense, où les priorités nationales furent modifiées, où l’Israélien et ses besoins était au centre des préoccupations du gouvernement.



La seconde, qui m’attriste, est que le CRIF a oublié de signaler ou de marquer les accords de paix historiques, dits d’Oslo, signés par le Premier ministre Rabin et Shimon Peres.



Commentaire de Richard Prasquier



Ofer Bronchtein, président du Forum international pour la paix est un des rares hommes au monde à posséder un passeport israélien, français et palestinien. Il a travaillé pour Isaac Rabin et pour Shimon Peres quand ils dirigeaient le gouvernement israélien, ce qui lui donne une légitimité historique. Il a sur la solution du conflit israélo-palestinien des positions qui ne sont pas les miennes, et pour le dire simplement un optimisme sur la nature humaine et sur la bonne volonté des ennemis d'Israël que je ne partage malheureusement pas. J'aimerais assez qu'il ait raison, mais je ne voudrais pas tenter l'expérience. Cependant, dans la mesure où ses opinions s'accompagnent d'un amour indiscutable d'Israël et non pas d'un antisionisme débridé comme certains thuriféraires de la cause palestinienne, il faut dans le respect élémentaire de la démocratie d'opinion qui nous tient à coeur, lui donner la parole quand il désire s'exprimer.



Dans ce texte Ofer Bronchtein nous rappelle les hautes valeurs morales sur lesquelles Israël s'est constitué et traite du spectaculaire mouvement social de ce dernier mois. Certains de ses mots ne sont pas les miens (je ne parle pas de colons, mais d'habitants des implantations, car ce terme est neutre et traduit le mot américain "settler"), et je pense qu'il est inapproprié de comparer le "mouvement des tentes" israélien au "printemps arabe", lequel subit d'ailleurs actuellement un considérable refroidissement climatique. L'élément commun est l'usage par les jeunes des moyens de communication modernes et en particulier des réseaux sociaux: le reste n'a strictement rien à voir et les politiciens qui ont essayé de récupérer le mouvement des tentes se sont cassé le bec. Enfin, les problèmes qui touchent les jeunes sont évidents, la concentration des richesses est choquante, mais ces richesses, il a fallu les créer et l'orientation libérale de l’économie y a peut-être bien joué un rôle... Ne pas jeter le bébé avec l'eau du bain!...



Par ailleurs, Ofer Bronchtein critique le CRIF pour ne pas avoir commémoré le 18ème anniversaire des accords d’Oslo. Nous ne sommes pas les seuls et bien malheureusement d’autres évènements sont survenus depuis lors…



Richard Prasquier
Président du CRIF



Photo : D.R.