Le blasphème en Europe
Un blasphème est un discours jugé irrévérencieux à l'égard de ce qui est vénéré par les religions ou de ce qui est considéré comme sacré. A notre connaissance, il existe des lois sur le blasphème dans plusieurs pays européens, comme en Autriche (Articles 188, 189 du code pénal) ou au Danemark (Sections 140 et 266b du Code criminel Danois). L'article 140 stipule que « celui qui publiquement raille, ou fait outrage aux doctrines de foi ou aux cultes d’une communauté religieuse légalement établie dans ce pays, est passible de prise de corps. » Le Danemark punit ainsi toute moquerie publique d’une religion, et il en est de même en Finlande.
Le blasphème est également interdit par la constitution irlandaise. Depuis le 1er janvier 2010, par le Defamation Act, le blasphème en Irlande devient un délit. Le blasphémateur risque une amende allant jusqu'à 25 000 euros. Mais, toutes les religions sont prises sous l'ombrelle de cette loi, c'est d'ailleurs pour cette raison qu'elle a été promulguée.
Aux Pays-Bas, les articles 147 et 429 bis du code interdisent et sanctionnent le blasphème. Entré au code pénal en 1932 après un projet du parti communiste de l’époque d’interdire les célébrations de Noël, le délit de blasphème peut être puni de 1 à 3 mois d’emprisonnement et d’une amende de 100 à 150 florins. L'article 147 du code pénal a été utilisé sans succès pour la dernière fois en 1966 à l'encontre de l'écrivain Gerard Reve.
L’article 198 du code pénal grec punit quant à lui celui qui, en public et avec malveillance, offense Dieu de quelque manière que ce soit, et celui qui manifeste en public, en blasphémant, un manque de respect envers le sentiment religieux.
Bref, ces différentes lois s’appliquent à toutes religions contrairement à celles en vigueur dans de nombreux pays musulmans.
Rappelons que plusieurs pays à majorité musulmane possèdent des lois visant à punir les personnes qui sont jugées coupables de blasphème. Cependant, ces lois sont totalement discriminatoires puisqu’elles ne reconnaissent le blasphème que lorsqu’il est dirigé contre l’Islam.
Le blasphème au Conseil des droits de l’homme
Les pays de l’Organisation de la Conférence islamique ont essayé de faire de la question du blasphème ou diffamation des religions, une priorité.
Le 28 mars 2008 lors de la 7e session du Conseil des droits de l’homme, dans la foulée de la condamnation du film (de Wilders) Fitna pour diffamation envers le Coran, le Conseil adopta une modification du mandat du rapporteur spécial sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression. Cet amendement précisa que le rapporteur devait désormais relever les cas où un individu aurait abusé de son droit à la liberté d’expression. Le Conseil des droits de l’homme franchit le pas pour reconnaître officiellement le blasphème comme un délit voire une violation des droits de l’homme.
Cet amendement avait été approuvé par 32 voix contre 15 notamment grâce aux pays musulmans qui siégeaient au Conseil des droits de l’homme. Ces pays sont membres de l’organisation de la conférence islamique.
Cependant et depuis peu (mars 2011), la « diffamation des religions » ne fait plus partie du vocabulaire du Conseil des droits de l'Homme de l'ONU. Dans une nouvelle résolution relative à la liberté de croyance, l'Organisation de la conférence islamique a dû abandonner cette approche, qui était la sienne depuis plus de 10 ans. Et qui justifiait des lois sur le blasphème liberticides.
Nous allons maintenant examiner ce qu’il en est du blasphème dans trois pays : l’Iran, l’Egypte et le Pakistan.
1) Le Blasphème en Iran
Chaque année, l'Iran figure parmi les premiers pays-bourreaux du monde.
Le système juridique iranien se base sur les principes islamiques. L’Iran prévoit la peine de mort pour l’homicide, le vol à main armée, le viol, le blasphème, l’apostasie, la conspiration contre le gouvernement, l’adultère, la prostitution, l’homosexualité, les délits liés à la drogue (possession de plus de 30 grammes qu'héroïne ou de 5 kilos d'opium).
Rappelons également que la loi islamique (art. 179 de la loi sur les punitions islamiques) défend la consommation de boissons alcoolisées, qui est punie par des coups de bâton et par la peine de mort pour quiconque violerait trois fois cette disposition. La Sharia iranienne ne prévoit pas seulement la peine de mort, elle prévoit également des coups de fouets en cas de rapports sexuels avant le mariage, des coups de bâton pour qui consommerait de l’alcool, et l’amputation des mains et des pieds pour les maraudeurs. Il ne s'agit pas là de cas isolés et ces actes se produisent en violation flagrante de la Déclaration universelle des droits de l’Homme et du Pacte International sur les droits civils et politiques auxquels l'Iran a adhéré et qui interdisent de telles pratiques.
En juillet 2011, la Cour suprême iranienne a confirmé la condamnation à mort d'un prêtre évangélique, Yousef Nadarkhani, pour apostasie (reniement de la religion musulmane). Selon les associations de défense des droits de l’homme, ce verdict est le premier pour ce chef d’accusation, depuis des décennies. Le verdict, qui a provoqué la consternation et l'inquiétude au sein de la communauté internationale, met en lumière l’oppression qu’exerce Téhéran contre ses propres minorités religieuses.
La minorité chrétienne a été davantage réprimée ces dernières années, avec une vague d'arrestations aléatoires, des emprisonnements et une rhétorique de plus en plus antichrétienne. La récente vague d'arrestations de Chrétiens éclaire sur les violations des droits de l'homme commis par la République islamique contre ses propres minorités religieuses.
Les minorités religieuses en Iran, majoritairement peuplé de Musulmans chiites, incluent les communautés chrétiennes, juives, baha'i et zoroastriennes qui, ensemble, constituent près de 2% de la population en Iran. Les Musulmans sunnites constituent près de 9 pour cent de la population iranienne. Selon un rapport sur les droits de l'homme du ministère des Affaires étrangères des États-Unis, toutes les minorités religieuses iraniennes ont subi divers degrés de discrimination, y compris l'emprisonnement, le harcèlement et l'intimidation sur la base des croyances religieuses.
Un rapport récent d'Open Doors, une ONG qui surveille les persécutions contre les Chrétiens, classe l'Iran en deuxième position, après la Corée du Nord, en termes de mauvais traitements infligés à la minorité chrétienne.
2) Le blasphème en Egypte
En Egypte, la loi interdit les insultes à la religion. Elle a souvent été utilisée par le passé pour poursuivre des musulmans chiites dans un pays à grande majorité sunnite, qui compte aussi une importante minorité chrétienne (entre 6 à 10% de la population).
En 2007, le blogueur Karim Amer avait été condamné à de la prison ferme pour avoir insulté le prophète de l'islam et Hosni Moubarak. Il a été libéré en 2010.
Un Egyptien a été condamné samedi 22 octobre 2011 au Caire à trois ans de prison assortis de travaux forcés pour avoir insulté l'islam dans des propos publiés sur Facebook, a rapporté l'agence officielle Mena. Le tribunal du Caire a reconnu Ayman Youssef Mansour coupable d'avoir «intentionnellement insulté, attaqué et tourné en ridicule la dignité de la religion islamique» sur Facebook, a précisé la Mena. Le tribunal a considéré que les insultes visaient «le noble Coran, la vraie religion islamique, le prophète de l'islam et les musulmans, d'une manière calomnieuse», a ajouté l'agence. Ayman Youssef Mansour avait été arrêté en août, la police l'ayant retrouvé grâce à ses coordonnées internet.
3) Le blasphème au Pakistan
La loi sur le blasphème promulguée en 1986 sous le régime du général Zia Ul Haq, principal responsable de l'islamisation du pays dans les années 1980, punit de la prison à perpétuité les auteurs d'une profanation du Coran et de la peine de mort ceux qui profèrent des insultes à l'égard du Prophète (1). Pour l'évêque catholique d'Islamabad-Rawalpindi, Mgr Rufin Anthony, « cette loi n'a pas de sens : elle touche à des questions religieuses et pourtant elle est le fait d'un gouvernement civil. Quel être humain a le droit de décider de la vie ou de la mort d'un autre ? La vie comme la mort relèvent de la responsabilité de Dieu », affirme l'évêque (La Croix, 1er décembre 2010), dans une petite salle de la cathédrale Saint-Joseph à Rawalpindi.
« Par ailleurs, complète-t-il, cette loi a une lourde incidence sur la société en général : elle rend impossible toute forme de dialogue entre les différentes communautés. Comment pouvez-vous échanger si vous risquez d'être accusé d'avoir insulté le Prophète et donc de mourir en cas de désaccord avec votre interlocuteur ? »
L'Église catholique n'est pas seule : au Pakistan, les organisations de défense des droits de l'homme réclament depuis longtemps l'abrogation du texte. Pour Ali Dayan Hassan, porte-parole de Human Rights Watch au Pakistan, « c'est une loi de la haine qui encourage les extrémistes ».
Pour sa part, le courageux gouverneur du Penjab avait baptisé cette loi la "black law", la loi noire, obscurantiste, car n’importe qui peut-être accusé de blasphème sur la foi de dénonciations invérifiables. Les Chrétiens et les minorités religieuses musulmanes sont les victimes de cette loi, et ceux qui les défendent la cible des extrémistes.
Alman Taseer était l’un des rares hommes politiques à dénoncer publiquement l’islamisation du Pakistan. Il avait pris fait et cause pour Asia Bibi, une paysanne chrétienne condamnée à la pendaison pour blasphème. A la suite d’une dispute pour un verre d’eau, deux voisines musulmanes l’ont accusée d’avoir insulté le prophète Mahomet. Or, Salman Taseer, a été assassiné par son garde du corps le 4 janvier 2011. «Il était devenu encombrant même pour son propre parti, le PPP du clan Bhutto. C'était un ami personnel du président Zardari, mais celui-ci a fini par le lâcher», ironise Muhammad Azhar Siddiqui, avocat à la Cour suprême et ardent défenseur de la loi sur le blasphème (Figaro, 20 janvier 2011).
Résultat ?
Si les autorités d'Islamabad brillent par leur absence dans le débat qui s'était enflammé depuis quelques semaines après l’assassinat d’Alman Taseer, les partis et mouvements islamiques en profitent pour occuper le terrain. Divisés il y a encore peu, ils se rassemblent aujourd'hui sous une même bannière, le Tehreek-e-Hurmat-e-Rasul (Mouvement pour l'honneur du Prophète). Ils exigent le maintien en l'état de la loi sur le blasphème et réclament l'acquittement de Mumtaz Hussain Qadri, l'assassin de Salman Taseer. Les déobandis, dont certains sont proches des talibans, et les barelvis modérés, qui ont pourtant été la cible de maints attentats fomentés par les islamistes, marchent désormais main dans la main et drainent dans les rues des grandes métropoles des milliers de citoyens de tous bords. «La grande déception, ce sont les avocats. Il y a deux ans encore, ils représentaient l'aspiration à la démocratie des Pakistanais. C'était oublier que, parmi eux, toute une génération a été formée sous la dictature de Zia-ul-Haq» , soupire Peter Jacob. Zia-ul-Haq ou l'homme qui a semé les graines de l'islamisation du pays dans les années 1980 (1).
Bref, selon la National Commission for Justice and Peace, 1061 personnes ont été inculpées de blasphème depuis 1986, dont 132 chrétiens, 21 hindous, 452 musulmans et 456 ahmadis (communauté musulmane persécutée)
Les musulmans européens jouissent et c’est heureux d’une assez grande liberté de culte en Europe ; il nous parait donc important que la communauté musulmane d’Europe agisse pour inviter les pays à majorité musulmane à garantir la liberté dont eux-mêmes bénéficient en Occident.
Notes :
1) Le chapitre 15 du code pénal pakistanais définit les cas dans lesquels une personne peut être accusée de blasphème. L’article 295-C du code pénal pakistanais prévoit donc qu’une personne peut être accusée en cas d’offense contre le prophète Mahomet : « sur l’emploi de remarque désobligeante etc… vis-à-vis du prophète Mahomet : Quiconque par ses paroles ou ses écrits de façon formelle ou rapportée, par des insinuations directes ou indirectes, défie le nom sacré du prophète Mahomet sera puni par la mort ou condamné à la prison à vie. Il pourra également être condamné à payer une amende. » L’article de loi prévoit donc qu’une personne peut être condamnée sur le simple fait d’un témoignage sans avoir besoin de preuve supplémentaire. De plus, la définition du blasphème dans cet article est très floue et peut englober toutes sortes de paroles ou d’interprétations de paroles.
2) Le Figaro, 20 janvier 2011.
Photo : D.R.