Telle est la légende d’une photo placée sur le site leFigaro.fr du 08/04/07. L’antisémitisme serait donc… un problème religieux à l’égal du voile !
La semaine de Pessah a été riche en motifs de réflexion de ce genre.
Cette semaine débute avec un article du Figaro daté du 3 avril où on apprend non seulement qu’un Imam de Turin professe en chaire : « Ne fréquentez aucun étranger (à l’islam, NDLR). Ne faites aucun compromis avec les athées. Il faut les tuer. Un point c’est tout » mais qu’un tribunal de Vérone aurait relaxé un mari musulman qui avait fracassé la mâchoire de sa femme « au prétexte que « cela fait partie de leurs habitudes culturelles » ».
On se souvient qu’un jugement identique en Allemagne a soulevé il y a peu l’indignation générale, y compris dans la communauté musulmane. Quelle a été la réaction en Italie ? On ne le saura pas, en tout cas l’information n’a pas passé la frontière. Avons-nous eu des jugements semblables pour des faits identiques en France ? On l’ignore. Mais on se souvient peut-être du jugement de relaxe concernant la belle-mère d’Arafat pour des propos tenus en 2001 sur une radio du service public
[1] au motif que
«si les termes employés par la prévenue ne sont pas dénués d'une grande violence (...) Il apparaît qu'ils s'inscrivent dans le cadre du combat politique qu' elle mène contre Israël (...) et traduisent son inquiétude qui menacerait le peuple palestinien.». La cour d’appel confirmait ensuite la relaxe mettant les propos «virulents» de celle-ci sur le compte d'une émotion. La palme revenait à la cour de cassation qui décrétait que les propos poursuivis
« ne comportent pas, par leur généralité même, l’évocation de faits suffisamment précis pour constituer des imputations portant atteinte à l’honneur ou à la considération de la communauté juive dont les parties civiles défendent les intérêts » redéfinissant ainsi les propos racistes : alors que jusque là c’était bien le fait de généraliser à l’ensemble de la communauté qui constituait le délit, voilà que maintenant le fait de généraliser l’absolvait ! Et comment ne pas évoquer que la Cour de cassation, en confirmant la relaxe de Dieudonné pour son sketch sur France 3 vient de démontrer, s’il était nécessaire, le brouillage des frontières entre les différents registres du discours et des actes, entre les actes ou les discours légitimes ou illégitimes.
Et puisqu’on est dans le brouillage des repères, cette nouvelle confusion entre art, cours d’histoire et cours d’instruction religieuse : Charlie Hebdo révélait dans son édition du 4 avril que les éditions Belin avaient cru devoir flouter le visage de Mahomet sur une miniature du 13e siècle reproduite dans un livre d’histoire destiné à des élèves de 5e. Pourquoi ce floutage ? « Plusieurs d’entre eux [professeurs] nous ont fait part du caractère perçu comme provocant aujourd’hui d’une telle représentation du prophète Mohammed et, par conséquent, de la difficulté d’enseigner sereinement dans des classes très hétérogènes, en dépit du caractère historique incontestable du document présenté ».
Après les tribunaux et les éditeurs, la télévision nous a aussi gratifié de quelques perles. A commencer par ce commentaire lors du 12/13 national de France 3 du 7 avril : « Peut-être le fin de la trêve au Moyen Orient » : Israël, lassé des tirs de roquettes journaliers contre ses agglomérations, s'était décidé pour la première fois depuis novembre 2006 à lancer un raid d'hélicoptères contre Gaza. La « fin de la trêve » c'est donc pour notre chaîne publique seulement quand Israël tire. Par contre, lorsque tous les jours les frontaliers de Gaza reçoivent des roquettes sur la tête et qu'il ne se passe pratiquement pas un jour sans qu'un attentat ne soit déjoué, personne n’évoque une « rupture de la trêve » et aucun journaliste ne juge utile de se déplacer. Ca ne devient médiatiquement intéressant que quand c’est Israël qui tire !
Pourtant, en relatant ces tirs, au cours desquels un Palestinien a été tué, la dépêche de l’AFP précise bien que
« « L'homme a été tué alors qu'il "participait à une embuscade tendue par le FDLP et les Brigades Al-Qods », la branche armée du Jihad islamique, contre l'armée israélienne dans l'est de Jabaliya, a indiqué son mouvement. » ajoutant « « Des hommes armés s'apprêtaient à placer une charge explosive à proximité de la clôture de sécurité » entre Israël et la bande de Gaza, a affirmé un porte-parole de l'armée. Il a souligné que depuis l'instauration d'un cessez-le-feu le 26 novembre, l'armée israélienne avait déjoué plus de 40 attaques à l'explosif contre ses forces.
La dernière attaque aérienne israélienne dans la bande de Gaza contre des militants palestiniens remonte au 25 novembre. […] En vertu d'un accord datant du 26 novembre, Israël avait mis fin à ses opérations militaires à Gaza tandis que les groupes palestiniens armés devaient de leur côté stopper leurs attaques et tirs de roquettes contre le territoire israélien. Toutefois, près de 200 roquettes ont été tirées depuis sur le sud d'Israël. ».
De fait la trêve en question n’avait été respectée que par Israël. Mais le journaliste de la chaîne publique n’avait pas cru utile de le rappeler.
Samedi soir à 21h, Arte, autre chaîne du service public, proposait un documentaire allemand sur Jérusalem. On y apprenait que si les lieux saints musulmans sont sous la responsabilité des
autorités religieuses musulmanes ils sont gardés par des soldats israéliens « ainsi jusque dans leurs lieux saints ils sentent la présence israélienne ».
Par la suite, on nous explique que les cinéastes ont eu une autorisation pour filmer sur l'esplanade des Mosquées « mais en règle générale les infidèles n'y sont pas les bien venus. Pourtant les Israéliens laissent les touristes accéder au Mont du Temple, mais ils interdisent aux musulmans arabes l'entrée en Israël ». La phrase est lapidaire, nous n’aurons aucune explication sur le fait que les pays arabes en question n'ont pas reconnu Israël, ni sur le fait que les citoyens Israéliens ne peuvent entrer dans ces mêmes pays arabes....
Plus tard il est question des chrétiens et après nous avoir expliqué que « les Israéliens ferment leurs frontières aux chrétiens arabes tout comme aux musulmans » (Phrase toujours aussi lapidaire mais qui confirme qu’il s’agit d’une question de passeport et pas de religion) on nous présente une jeune chrétienne arménienne qui va retrouver une amie musulmane (une seule, « car ses autres amies sont aujourd’hui comme la plupart des autres femmes voilées et confinées chez elles » – pourquoi sont-elles toutes voilées et confinées ? On ne nous en dit pas plus, et il ne sera pas question du Hamas et de son influence). Elles parlent de l'amitié entre chrétiens et musulmans, la conclusion étant : « mais ce n'est pas possible d'avoir des amis israéliens. Ils se montrent racistes envers nous, ils se prennent pour le peuple élu ».
Ensuite il est question des fouilles dans les gravats autour du Mont du Temple (là encore pourquoi y a-t-il tant de gravats ? on ne le saura pas) pour trouver les traces du Temple. Les autorités musulmanes nous dit-on au passage refusent les fouilles sur le site lui-même. Et le reportage continue sur la famille d'un Imam dont la femme « s'ennuie car les visites se font rares depuis que les Israéliens ont bouclé les villes » (probablement pour le plaisir de nuire ou par simple racisme ? Là encore la toile de fond du conflit est pudiquement voilée. L'Intifada? Les bombes? Pas question d'en parler...).
Après la trêve selon France 3 et la visite guidée de Jérusalem par Arte, voici sur LCP à 16h le sociologue Michel Wieviorka interpellant Philippe de Villiers : « Vous voulez dissoudre le CFCM, dissoudrez-vous aussi le CRIF? ». La réponse de Philippe de Villiers sur l'Islam et la République est quelque peu attendue et embarrassée, et on voit bien où Michel Wieviorka voulait en venir. Son attaque était certainement moins dirigée contre le CRIF que destinée à démontrer la partialité « islamophobe » de son vis-à-vis. Mais a-t-elle bien été reçue dans ce sens ? Non seulement il donnait ainsi corps aux rumeurs de collusion entre monsieur de Villiers et certains milieux juifs, mais surtout le choix du CRIF pour un parallèle avec le CFCM, pour être médiatique et pour plaire à certains tenants de la concurrence victimaire, n’en est pas moins malheureux. Comparaison n’est pas raison et Michel Wieviorka – qui en tant que sociologue doit être sensible aux nuances et à la complexité – sait certainement qu'entre le CFCM (Conseil Français du CULTE musulman) et le CRIF (Conseil Représentatif des INSTITUTIONS Juives de France) il y a plus que des nuances.
Le premier est un organisme laïc créé en pleine guerre et face à l’extermination pour lutter contre l’antisémitisme en fédérant des associations qui étaient alors dans la clandestinité et principalement formée de résistants auxquels se sont plus tard ajoutés des déportés. Le second est un organisme cultuel inventé de toute pièce par les pouvoirs publics pour intégrer dans les rouages de la République une religion récemment arrivée et pour avoir un interlocuteur (un peu comme quand Napoléon créait les Consistoires).
L’un est une fédération à laquelle adhèrent plus de 60 associations (amicales professionnelles, régionales ou d’anciens combattants et associations culturelles ou cultuelles de toutes obédiences politiques ou religieuses) et où toute association juive quelle qu’elle soit peut postuler et être cooptée. L’autre est un organisme constitué d’en haut avec cinq ou six associations à vocation avant tout cultuelle.
D’un côté un organisme qui revendique son rôle d’intervention dans la cité et dont l’activité est « la lutte contre toutes les formes d'antisémitisme, de racisme, d'intolérance et d'exclusion, l'affirmation de sa solidarité envers Israël et son soutien à une solution pacifique au conflit du Proche-Orient et la préservation de la mémoire de la Shoah, afin que les futures générations n'oublient pas les victimes juives de la barbarie nazi ». De l’autre un organisme dont la seule mission officielle est l’organisation du culte : « la construction de mosquées, de carrés musulmans dans les cimetières, l'organisation des fêtes religieuses – dont l’abattage rituel – la nomination des aumôniers dans les hôpitaux, les prisons, les lycées et collèges, la formation des imams » activités dévolues depuis Napoléon Ier pour la religion juive aux Consistoires.
Finalement, pour l’un les instances dirigeantes et le président sont élus par les représentants des associations qui le composent. Pour l’autre le vote est lié aux seuls lieux de culte, le nombre de représentants dépendant de la surface de ces lieux, les associations culturelles laïques n’y ont aucune place et le président a été mis en place par le pouvoir.
Quand le CFCM, organisation à assise strictement cultuelle, intervient dans le débat politique, c’est par confusion des genres et des rôles entre religion et politique. Peut-on dire de même au sujet du CRIF ? Michel Wieviorka n’est pas le seul à faire ce genre d’amalgame favorisé, il faut le dire, par le comportement parfois ambigu de l’Etat. Pour « confondre » Philippe de Villiers, il aurait pu de façon plus exacte l’interroger sur la suppression des Consistoires, c’est à dire des interlocuteurs religieux du pouvoir (et pourquoi pas sur sa relation avec les représentants de l’Eglise catholique ?), même s’il n’est pas sans savoir que le débat sur le CFCM – y compris parmi les musulmans – est bien plus complexe qu’une simple question de relation spécifique à l’Islam et qu’il porte surtout sur la manière dont cet organisme particulier a été créé et sur son mode de scrutin qui fait une part trop belle à certains mouvements extrémistes.
Par ailleurs, on peut discuter des relations établies entre l’Etat et le CRIF ou entre les différents courants politiques et/ou syndicaux et le CRIF, comme on peut discuter du rôle politique que certains jugent excessif des syndicats ou d’associations professionnelles ou régionales, reste que s’il est du rôle d’un président de choisir ou de rejeter son interlocuteur, s’il peut à la rigueur dissoudre un organisme qu’il a lui-même (ou son prédécesseur) créé, on voit mal comment il aurait autorité pour dissoudre une fédération d’associations légales dont il n’a pris aucune part à la création, sauf à démontrer que cet organisme joue un rôle subversif et contraire à la loi française.
Anne Lifshitz-Krams
Notes :
[1] Elle avait, rappelons-le, accusé «LES juifs de France» de se livrer «à une guerre médiatique pour faire peur aux Français», parlé à plusieurs reprises du «racisme DES juifs de France» et accusé « LE judaïsme qui lui-même devient raciste», avant de dénoncer «LES juifs» coupables de se livrer à une «activité de lobby en Occident» dans le but de «faire massacrer tout un peuple».