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Commentant sur le plateau ces deux premiers reportages, le représentant d’une ONG allemande explique que la raison pour laquelle eux ne veulent pas être dans le sillage des militaires, et préfèrent ne dépendre financièrement que de donateurs privés, c’est parce qu’ils veulent pouvoir accéder à tous les lieux où les besoins se font sentir, sans avoir à demander l’autorisation ni aux militaires de la force d’occupation, ni aux autorités locales qui, la plupart du temps la refusent (par exemple en Tchétchénie). Il dit aussi son désaccord avec le deuxième reportage et son simplisme accusateur.
Le plus intéressant fût certainement le troisième reportage, consacré à un camp de réfugié de Tanzanie administré par le HCR – « cas aberrant d’une situation d’urgence qui dure depuis 10 ans ». Une chronique sobre, sans misérabilisme excessif dans le commentaire, sans haine ni reproche ni de la part des personnes interrogées, simplement des faits et de la lassitude. Les habitants de ce camp sont des Hutus venus du Burundi où la guerre fait rage depuis 10 ans, une guerre qui a fait plus de 100.000 victimes . Dans le camp, 50% sont des enfants. Sous le regard des caméras, on fêtait la première promotion d’élèves ayant fait toutes leurs études primaires et secondaires dans l’école et le lycée du camp (le seul de la région à disposer d’un lycée). Ils sont aujourd’hui « coincés dans l’attente d’un hypothétique retour ».
Au début, un grand nombre d’ONG se sont intéressées à ces réfugiés (500 000 personnes sont arrivées en 1994, d’autres arrivent encore tous les jours) pour leur apporter les secours d’urgence, aujourd’hui, seul le HCR continue à leur donner une aide relayée par un organisme local d’obédience chrétienne. Et les règles du HCR sont draconiennes pour empêcher toute velléité d’implantation définitive – la Tanzanie leur aurait même demandé, d’après le commentateur, « de leur rendre la vie la plus dure possible ».
Ainsi, le HCR leur interdit de construire des maisons avec des toits en tuiles ou en tôles, ils n’ont ni eau courante, ni électricité. Ils n’ont pas le droit à une activité salariée. Au début, un lopin de terre leur a été attribué, mais les parcelles n’ont pas augmenté malgré l’accroissement de la population. Pour ce lopin ils doivent même payer un loyer. « Tu es obligé de tout accepter quand tu es obligé d’être en exil ». Le couvre-feu est à 19 heures et les réfugiés ne peuvent sortir du camp qu’avec une autorisation spéciale. Pour obtenir ce que le HCR ne leur donne pas (vêtements etc.), ils doivent troquer une partie de leur ration alimentaire au « marché mixte ». Paroles de réfugiés : « Ici, nous n’avons pas de liberté, nous sommes concentrés dans un camp, au Burundi, on ne risquait pas d’être arrêté sans motif ou battu par la police, mais on est venu pour fuir la guerre ».
« Le Burundi, c’est le paradis, parce que c’est mon pays natal, mais ici, c’est le paradis que Dieu m’a offert. Je ne pourrai pas en penser ni dire quoi que ce soit de mal puisque j’y vis ». « Au Burundi, on a incendié ma maison, même si je la reconstruisais, ça ne servirait à rien sans la paix, elle serait détruite à nouveau ». Seul avantage de ce camp : la gratuité des études, mais « Si je ne peux pas construire une maison ni faire du commerce, à quoi servent leurs études ? ». « Si tu te déplaces, tu es toujours un réfugié. Tu ne peux jamais avoir cette étiquette de réfugié dans ton pays natal ». « Ils sont privés des droits les plus élémentaires » dit le commentateur ».
Et la situation pourrait durer encore longtemps. On en est, dit le commentateur, « à la nième négociation sur la paix, mais il n’y a là bas pas d’intérêt stratégique. Les réfugies sont des dommages collatéraux ». Si dans dix ans rien n’est fait, ils seront abandonnés à eux-mêmes, « car là aussi les règles du HCR sont strictes : l’aide ne peut durer plus de 20 ans ».
Est-ce aussi à cause de l’absence d’intérêt stratégique ? Dans cette misère abandonnée de tous, pas de perspective d’UNRWA créé à leur intention pour prolonger bien au delà du temps légal leur statut de « réfugié » - y compris pour ceux qui résident à l’intérieur de leur propre territoires -, pas de manifestations de soutien hebdomadaires, pas de « mission de protection » organisée par un quelconque comité « pour une paix juste », pas de José BOVE venant parader devant les caméras. Surtout pas d’Israël ni de Juifs sur qui faire retomber toute la faute d’une situation créée par la guerre, avec la complicité des pays d’accueil et des organisations internationales.
En paraphrasant un article paru dans Charlie Hebdo du 7 avril 1999 à propos du Kosovo : « Mais bon dieu, qu'est-ce qu'ils ont, les Burundais, ils ont une gueule qui ne revient pas à la gauche radicale ? Ils sentent le gaz ? (…) Alors, Krivine, Hue, Laguiller ! Vous trouvez qu'ils ont trop de papiers, trop de logis, qu'ils sont trop bien traités par la police, les Burundais ? »
Pour ceux qui en douteraient, qu’ils se reportent sur http://www.solidarite-palestine.org/rdp-ref-020612-1.html où ils liront un article (daté de juin 2002) consacré au camp très symbolique de Chatila (en territoire libanais). Exposant une situation très voisine de celle des Burundais de Tanzanie, l’auteur débute par :
« Les Palestiniens à Chatila subsistent dans la misère pour que les Israéliens de Tel-Aviv puissent profiter de centres commerciaux et de maisons soignées. Chatila est le résultat de Tel-Aviv. »
Il poursuit en affirmant :
« Qu'adviendra-t-il des réfugiés de Chatila? Retourneront-ils un jour dans leurs maisons, là où est aujourd'hui Israël? (…) Ce qui est peut-être encore plus décourageant est l'opinion émise par plusieurs experts du Proche-Orient, qui prétendent que le droit au retour est impossible; le défendre est, de par le fait, irresponsable. Je n'ai jamais accepté un tel raisonnement qui est, au mieux, une apologie du nettoyage ethnique et, au pire, une approbation tacite d'un genre d'ethno-nationalisme qui, soyons honnêtes, ressemble extérieurement au nazisme avec son emphase pour la pureté ethnique. (…) Chatila est la preuve que l'oppression que les Juifs ont vécue n'a pas disparu, puisque Chatila est l'infâme ghetto juif. La communauté internationale devrait organiser des visites de Chatila pour que l'humanité puisse être témoin du triomphe ultime d'Eichman.»
Et conclut ainsi :
« Plus souvent par contre je pense à la façon dont Israël travaille assidûment afin de garder les habitants de Chatila dans des taudis. (…) Telle est la nature vicieuse de l'ethno-nationalisme, un fléau qui, tout au long de l'histoire, a causé une souffrance humaine incalculable et que la plupart des versions du sionisme ont jusqu'ici perfectionné ».
Anne Lifshitz-Krams