Tribune
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Publié le 11 Décembre 2009

Ce que Moshe Dayan m’a dit

A la suite du commentaire, Jacques Tarnero, « Israël s’il vous plaît disparaissez ! » publié dans la newsletter du 7 décembre 2009, Théo Klein, le président d’honneur du CRIF, a écrit la réaction suivante :




« Mon cher Jacques,



J’ai lu à deux reprises l’appel que tu lances avec ta sincérité coutumière, mais aussi, me semble-t-il, une totale absence d’analyse politique de la situation.



Si des gens se posent la question de la survie d’Israël, ce n’est pas par conviction que le Hamas pourrait avoir raison ou que Israël serait une anomalie dans la région, mais bien plutôt par l’absence d’une définition claire par les Israéliens eux-mêmes – par leurs instances politiques, notamment – de ce qu’ils entendent devoir être dans l’avenir « l’État d’Israël » : ses frontières, sa population, ses relations avec le voisinage moyen-oriental.



J’ai écrit moi-même il y a quelques années à mon ami Arik Sharon, alors chef du gouvernement d’Israël, qu’il était impensable et, me semblait-il, inadmissible, que l’État d’Israël ne définisse pas sans ambiguïté l’ensemble des frontières qu’il croit devoir être les siennes et quel serait le sort des populations non juives à l’intérieur desdites frontières.



Je concevrais fort bien, en ce qui me concerne, que le Jourdain soit la frontière à l’est d’Israël : il en est la frontière naturelle la plus évidente, mais alors je veux connaître le statut des populations qui vivraient à l’intérieur de cette grande frontière.



J’entends bien que dans un État démocratique, la nature de cet État est définie par le vote des citoyens. Je peux comprendre le souci résultant d’un accroissement plus rapide de la population musulmane par rapport à celui de la population juive.



Il y a donc des choix à faire, des définitions à chercher qui, dans le respect des droits égaux pour toutes les populations concernées, permettent de satisfaire l’idée d’un État juif.



Ce à quoi nous nous heurtons en réalité résulte de ce que la présence, l’activité, l’inventivité des premiers sionistes, la création d’une société juive, active, productive, et même les idéaux démocratiques, ont fait naître dans les populations palestiniennes – qui, au départ, ne se reconnaissaient que dans la umma arabe – l’idée, le sentiment de l’identité palestinienne et la volonté de voir reconnaître un peuple palestinien.



Je suis persuadé que nous avons apporté, de ce point de vue, une contribution essentielle et que la revendication palestinienne est venue de notre propre exemple.



Mon souci est de voir Israël se confronter avec les réalités humaines et politiques nées de la dissolution de l’Empire ottoman, de la grave crise d’identité et de construction politique qui sévit dans les pays arabes voisins et de la naissance du sentiment national palestinien.



Ce qui me manque et m’inquiète très profondément, c’est l’absence de réflexion réelle, positive, constructive, culturellement ouverte et politiquement sensée de la part de la classe politique israélienne et, encore plus, une sorte de léthargie politique des différentes parties de la population israélienne et son manque de conscience apparent des dangers, à long terme, d’une impéritie pour moi terrifiante.



Permets moi d’ajouter encore un élément d’information qui pourra peut-être t’intéresser : le 24 décembre 1980, prenant le petit-déjeuner à la Knesset avec Moshe Dayan, celui-ci m’a remis le texte de la proposition qu’il allait présenter devant le Parlement dans la même matinée. Dayan proposait qu’Israël quitte l’administration des Territoires et confie celle-ci aux Palestiniens, ceux qui y habitaient. Dayan précisait qu’Israël devait laisser des troupes dans la vallée du Jourdain et disposer de deux routes stratégiques entre son territoire et ses troupes. Mais il insistait pour que les Palestiniens vivant dans les territoires puissent développer librement leurs activités dans le respect bien sûr du territoire israélien et de ses habitants, et préconisait qu’ils puissent, pour le développement de leurs activités, notamment de leur économie, disposer de libres relations avec l’extérieur, sans bien entendu envisager des relations diplomatiques. Si le texte hébraïque de cette proposition t’intéresse, j’en tiens une copie à ta disposition.



Je rappelle que Dayan venait, quelques mois auparavant, de quitter le gouvernement auquel il participait en tant que ministre des Affaires étrangères, notamment – autant que je le sache – parce que, justement, Menahem Begin ne lui avait pas confié les problèmes de l’autonomie palestinienne car il entendait laisser sans suite la mention de cette autonomie dans les Accords de Camp David.



Je crois, mon cher Jacques, qu’il est dangereux de jouer sur les sentiments lorsque l’on a des responsabilités politiques précises : il faut d’abord et surtout assumer lesdites responsabilités.
Bien cordialement.



Théo Klein



Photo : D.R.