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Lundi 20 septembre, France 2
Présenté par Benoît Duquesne
L’émission est tournée à la synagogue de la Victoire. Etrange impression que celle laissée par cette émission. Sur le papier elle devait commencer à 23h05 pour se terminer à 0h40, heure tardive mais où on peut espérer que quelques téléspectateurs restent encore éveillés. C’est finalement vers 23h25 que l’émission démarre devant les obstinés du tube cathodique, après un quart d’heure de publicité – émission attendue oblige ? - pour ne s’achever qu’à 1h30 (deux heures plus tard au lieu des 1h35 annoncées). Les quelques noctambules rescapés ayant résisté au sommeil, au choix plus que discutable du premier reportage, ayant aussi surmonté l’irritation d’une « enquête » dont la réponse semblait être acquise a priori (« les actes antisémites qui se sont multipliés, même si certains étaient purement inventés (…) Enquête sur la communauté juive qui se dit menacée, qui s’est retranchée. ») et enfin contenu l’agacement des questions reflétant l’air du temps de Benoît Duquesne, auront peut-être tout de même entendu quelques éléments leur permettant de se faire une opinion.
De fait, il faudra attendre la fin du long et ennuyeux reportage sur l’affaire de la profanation du cimetière de Lyon ou affaire Phinéas (qui laisse entendre qu’ « à travers les Juifs ce sont les Musulmans qui sont ciblés ») pour entrer, enfin, dans le vif du sujet – mais après tout peut-être fallait-il évacuer dès le début les scories qui masquent la réalité pour parler librement du reste. Benoît Duquesne nous apprend alors que « les rouleaux de la Thora, c’est un peu l’équivalent de l’ancien testament dans la religion catholique » avant d’amorcer un entretien avec Moïse Cohen, président du Consistoire de Paris. A lui revient la lourde tache de répondre en quelques mots à différentes questions sur le judaïsme, les Juifs, l’antisémitisme et la « double allégeance » des Juifs avec la France et avec Israël, et sur le fait que « la politique de Sharon fait beaucoup de mal à l’image des Juifs ».
Le reportage suivant nous emmène vers la partie de la communauté juive « qui pratique » et « qui se sent menacée, en tout cas elle a tendance à vivre un peu retranchée quand elle ne choisit pas de partir en Israël ». On suit d’abord les élèves de l’école Lucien de Hirsh, dans le 19ème arrondissement de Paris, qui doivent être escortés par un vigile pour faire du sport et être entourés à l’intérieur de l’école de systèmes de surveillance. L’image donnée par le directeur de l’école qui explique que les Juifs doivent faire profil bas et enlever leurs signes distinctifs pour sortir de peur d’être agressés, est démentie par celle de religieux se promenant apparemment sans complexe dans le quartier et par les rendez-vous du samedi dans le parc des Buttes Chaumont où « régulièrement des bagarres les opposent à des Maghrébins et des Africains du quartier ». Explications d’une de ces « bagarres » : « Ce jour là elles [de jeunes élèves de l’école] sont habillées en bleu et blanc les couleurs du drapeau d’Israël ». C’est - avec le récit que le rabbin Michel Sarfaty (de Ris Orangis) fera dans le reportage suivant de son agression - la seule description que nous aurons dans toute l’émission d’actes antisémites avérés.
Le reportage s’attarde ensuite sur les services de protection mis en place par la communauté juive. Le « très officiel » SPCJ d’abord qui « dépend du CRIF » (la caméra s’attarde sur la porte du centre Rachi et sur ses vigiles). Ariel Goldman, porte-parole du SPCJ, répond alors à une question que l’on n’entendra pas, mais que l’on peut deviner : « Il n’est pas question que cela ressemble ni de près ni de loin, puisque je comprends très bien le sens de votre question, à une milice. Nous avons toujours travaillé dans le souci de la loi républicaine, un peu comme le service d’ordre d’un parti politique ou les vigiles d’un grand magasin ».
Mais, continue le commentaire « il y a aussi des services de protection beaucoup moins officiels. Le rendez-vous est digne d’un film d’espionnage. A deux pas des Champs-Élysées, nous retrouvons David, militant de la Ligue de défense juive. Il nous demande de ne pas révéler l’adresse plutôt étonnante où il nous conduit, un bâtiment très officiel protégé par la police française ». Suit un long épisode sur les activités de la LDJ dont la police semble se méfier.
La troisième partie du reportage sera consacrée à l’Alyah (pas de gens qui sont partis à cause de l’antisémitisme, mais de ceux qui l’ont fait par idéal), et c’est à eux que l’on demande de parler de l’antisémitisme. Au hasard des entretiens et des « En Israël on est chez nous », on peut néanmoins entendre « ce qui manque aux Juifs français, c’est la solidarité des autres Français », ce que le reporter commente ainsi : « Un malaise paradoxalement plus dur à supporter que la menace des attentats en Israël ».
Quatrième partie, devant une école Loubavitch (Beit Hannah) un père – manifestement non religieux - affirme qu’il n’a pas rencontré l’antisémitisme et que ce n’est pas pour cette raison qu’il y a inscrit sa fille tandis que le directeur reconnaît que son école a reçu plus de demandes de la part d’élèves venant du public et qu’elle est un refuge pour certains. « Quelques heures plus tard, une scène presque irréelle » : il s’agit de la célébration de Rosh Hashana où les fidèles seraient plus nombreux que d’habitude. Ceux-là affirment n’avoir jamais pensé à faire leur alyah, « mais le rabbin craint une lente séparation des Juifs avec la société Française » et évoque une « dénationalisation dans le regard des autres qui semble le phénomène le plus important ».
Retour sur le plateau avec Avi Primor, ancien ambassadeur d’Israël, surpris à juste titre du fait que le reportage ne s’intéresse qu’à la part la plus religieuse de la communauté, la plus visible mais pas représentative de l’ensemble des Juifs, qui pour la plupart sont laïcs. Benoît Duquesne le questionne sur l’alyah et sur Sharon. Pour Avi Primor, c’est le devoir d’Israël d’accueillir les Juifs, mais ce n’est pas un devoir des Juifs de revenir. Il explique que le sionisme était apparu au XIXe siècle comme une nécessité pour permettre aux Juifs de retrouver leur dignité. Benoît Duquesne lui pose alors la bonne question : comment se fait-il que « cet idéal là, qui est respectable, aujourd’hui « sionisme » est presque devenu une injure ? ». Malheureusement, Avi Primor répond… sur le ressentiment des Israéliens envers la France qui serait lié à un amour déçu et expliquerait que les Israéliens soient prêts à croire n’importe quoi sur la France y compris son antisémitisme. Le journaliste lance alors un reportage sur Dieudonné et ajoute : « Un petit mot quand même sur l’antisémitisme. On a quelque fois l’impression que c’est la politique de Sharon qui est le meilleur pourvoyeur de l’antisémitisme quand on voit ce qu’on voit à la télévision. En tout cas c’est ce qui se dit dans les banlieues et c’est ce qu’on voit dans le reportage, quand on voit les chars israéliens à Jénine contre les Palestiniens, évidemment, on ne peut être que contre Israël et antisémite ».
Le reportage sur ce « phénomène Dieudonné » commence par une présentation complaisante de « l’humoriste » qui présente des « menaces » déposées chez lui (entre autres « un petit chapeau à la con » qui s’avère être une kippa) et lit une lettre raciste qu’il prétend avoir reçu dont le contenu ordurier inclut « les Juifs t’emmerdent », ce qu’il commente « on peut imaginer qu’il y a une religion privilégiée avec cette religion ». Suit un extrait du sketch diffusé en direct sur France 3, qui avait créé le scandale. On nous montre en incrustation ses déclarations à la presse pendant que le commentaire dit « on l’accuse d’être antisémite ». Suivent des images hallucinantes de son nouveau spectacle au cours duquel il fait entre autres un bras d’honneur au « peuple élu » devant des spectateurs enthousiastes. « Je m’excuse, je n’ai pas d’âme » dit-il dans le même sketch (mettant ainsi sur le compte des Juifs une polémique qui a été celle de l’église catholique). Pour le reporter, il serait pourtant devenu le « Coluche » du quartier.
On montre finalement Dieudonné avec son « ami » Alain Soral présenté comme « un ancien communiste qui se définit comme un écrivain libertaire ». Conforté par la relaxe de son compagnon, celui-ci se lâche : « La formation qualifiante pour être dans les médias aujourd’hui c’est d’être sioniste. Si tu es antisioniste, tu dégages, le ménage est fait. (…) Les mecs ne bougent pas parce qu’ils se disent : ‘comment je vais manger demain’. Tu vois c’est comme ça qu’ils distribuent les boulots. (…) Quand à un Français, juif sioniste, vous dites ‘y a peut-être des problèmes qui viennent de chez vous, vous avez peut-être fait quelques erreurs, ce n’est pas systématiquement la faute de l’autre totalement si personne peut vous blairer partout où vous mettez les pieds, parce qu’en gros c’est à peu près ça leur histoire, depuis 2500 ans chaque fois qu’ils mettent les pieds quelque part, au bout de 50 ans ils se font dérouiller, il faut dire, c’est bizarre, tout le monde a toujours tort sauf eux’, le mec il se met à aboyer, à hurler et à devenir dingue, tu vois tu peux pas dialoguer. Je pense qu’il y a une psychopathologie du judaïsme sionisme qui confine à la maladie mentale ». Dieudonné est toujours à ses côtés et sourit. Le commentaire poursuit : « des convictions violentes que l’on retrouve dans le spectacle de l’humoriste ». Retour sur le spectacle, où on nous explique que, prudemment, Dieudonné ne prononce jamais le mot de « juif » mais celui de « sioniste ».
Le reportage dévie alors sur le rabbin Michel Sarfaty qui a été agressé l’année dernière et en impute la responsabilité à l’impunité de discours comme celui de Dieudonné, et propose des images d’une rencontre entre le rabbin et le recteur de la Mosquée de Paris, Dalil Boubakeur.
Viennent ensuite des images de la campagne de la liste Euro-Palestine. « Ce soir là, c’est lui [Dieudonné] la vraie vedette du meeting. En fait de discours politique, c’est rapidement son spectacle qui recommence » dit le reporter et de fait, on entend : « le sioniste est excessif, c’est tout pour lui, tout pour sa gueule en permanence, ‘c’est à moi ! A moi !’ (d’une voix suraiguë), on a envie de leur dire, ‘calme-toi, détends-toi, il y a de la place pour tout le monde !’ ». Le reporter poursuit : « nous ne sommes plus sur une scène de théâtre, mais sur une tribune politique. Quel est l’impact de ce discours ? Nous sommes allés à Garges-lès-gonesse en banlieue parisienne où la liste a obtenu son meilleur score ». Là, le reportage montre comment les jeunes dérapent du discours anti-israélien au discours antisémite.
Retour à nouveau sur Dieudonné qui répète ce qu’il a déjà dit ailleurs : je ne peux pas être antisémite, puisque je suis noir, « historiquement l’antisémitisme des noirs n’existe pas, aucun noir n’a participé à la persécution du peuple juif, par contre à l’inverse, on peut en discuter. Les Juifs n’ont pas persécuté les noirs en particulier, mais des juifs, oui ont persécuté des noirs, c’est vrai, c’est une réalité ». Le reportage se termine par ces mots : « Même s’il s’en défend, depuis le sketch de France 3, cette image d’antisémite lui colle à la peau, il en a même fait le ressort comique de son nouveau spectacle [on montre le passage où il fait à nouveau le salut hitlérien], le geste provocateur qui a déclenché la polémique fait maintenant rire le public ».
Retour plateau cette fois-ci avec le philosophe Pierre André Taguieff. Chiffres sur la communauté juive. « Vous, vous n’avez pas aimé Dieudonné, il ne vous fait pas rire. Vous le classez dans ces ‘prêcheurs de haine’ ». Pour Pierre André Taguieff (PAT), non seulement Dieudonné n’est pas drôle, mais il est haineux, et « sa cible principale est devenue, à travers Israël, l’ensemble du peuple juif ». Benoît Duquesne (BD) rétorque : « Lui il dit… Il est pas haineux, c’est vous qui le dites, il dit qu’il fait rire, qu’il a du monde derrière lui, et qu’il n’est pas antisémite ‘moi je critique la politique d’un Etat et surtout d’un homme en ce moment qui s’appelle Sharon’ ».
Pierre André Taguieff tente alors d’expliquer que « la nouvelle judéophobie prend prétexte de la politique d’Israël pour, par cercles concentriques passer des Israéliens aux sionistes extrémistes, puis aux sionistes tout court et aux Juifs tout entier…. ».
BD. : « Est-ce qu’on peut critiquer la politique sioniste, ou est-ce que c’est forcément une critique antisémite ?
PAT. : On peut critiquer la politique de tel gouvernement d’Israël.
BD : Même le sionisme ?
PAT : On peut remettre en question le projet sioniste.
BD : Il y a un ministre israélien qui a dit il n’y a pas longtemps anti-sionisme égal antisémitisme ?
PAT : Ce qui me paraît antisémite, c’est lorsque on dénie aux Juifs le droit d’avoir un Etat à eux. Lorsqu’on considère qu’Israël n’a pas droit à l’existence.
BD : On peut critiquer la façon de mener cette politique sioniste, mais pas le but final de cette politique qui est l’existence de l’Etat d’Israël ?
PAT : Le refus de l’existence de l’Etat d’Israël, c’est le critère de cette nouvelle judéophobie.
BD : C’est ce que dénonce aussi Alain Finkielkraut : on est antiraciste, on est anti-sioniste, on est antisémite, c’est le nouveau visage de l’antisémitisme ?
PAT : Parfaitement. Caractériser Israël comme un Etat raciste, impérialiste, fasciste, c’est la nouvelle judéophobie.
BD : En même temps, on peut comprendre ces jeunes, quand ils voient un char israélien dans les rues de Jénine, ou d’autres faits de ce type là, comme ils vous disent, c’est les pierres contre les tanks…
PAT : Mais ça c’est une image d’Epinal, d’ailleurs que les médias ont diffusé !
BD : Et bien non !
PAT : Il n’y a pas des pierres, il y a des kalachnikovs, il y a des bombes, il y a des attentats suicides, il y a des pseudos-martyrs d’un pseudo-islam, d’un islam politisé représenté par le Jihad islamique et le Hamas, je dirais que c’est un manichéisme sommaire qui ne correspond pas du tout à la réalité. Il n’y a pas les pierres et les tanks, il y a des terroristes d’un côté, ceux du Hamas, notamment les bombes humaines et de l’autre côté une armée régulière dont on peut contester certains actes bien sur, là c’est un débat.
BD : Là vous vous dites quoi ? Il y a une organisation islamique, ou plutôt islamiste de cet antisémitisme dans les cités ?
PAT : Il y a des organisations islamistes, puis il y a toute une propagande diffuse à base de chaînes satellitaires venant du monde arabe, des prêches d’imams extrémistes, plutôt salafistes, Internet, des cassettes qui circulent. Donc il y a toute une propagande qui donne une consistance idéologique à des opinions diffuses, pro-palestiniennes, anti-occidentales, anti-américaines, notamment…
BD : Tout ça sur fond de communautarisme, on radicalise les positions ? C’est ça ?
PAT : Les imams fondamentalistes veulent éviter l’intégration des jeunes issus de l’immigration, c’est pourquoi il est capital de les renvoyer chez eux comme a tenté de le faire non sans difficultés le ministre de l’Intérieur.
Reportage final à Carpentras : On y entend cette phrase magnifique d’un membre de la communauté rapatrié d’Algérie à qui on pose la question stupide « Etes-vous Juif avant d’être Français ou Français avant d’être Juif ? » : « Je ne peux pas faire ce choix, je suis Français, j’ai été mobilisé en 1942, nous avons servi la France en tant que citoyens, j’ai fait mes études dans des écoles françaises, mais je ne fais pas cette distinction : je vis ma vie juive au sein de ma grande communauté de la Nation française ». Le même affirme « Autrefois on pouvait crier mort aux Juifs dans les rues de Paris, la loi ne les punissait pas pour autant, aujourd’hui nous sommes beaucoup plus protégés que nous ne l’étions avant 1939 ».
Le dernier interlocuteur de Benoît Duquesne est l’historien Michel Winock à qui est demandé de conclure en rappelant en quelques mots l’histoire des Juifs en France et l’histoire de l’antisémitisme. Il dément qu’il y ait un regain de l’ancien antisémitisme et confirme que depuis quelques années, il y a eu rupture d’un tabou : « depuis la seconde guerre mondiale, l’antisémitisme est interdit dans la citée, et voilà que depuis quatre ans, on apprend qu’il y a des paroles et pire des actes antisémites qui se sont multipliés. Alors il est certain que le vieil antisémitisme, celui qui a pu réapparaître dans certains propos des dirigeants du Front national et de leur presse - entre les lignes, parce qu’il y a la loi qui y veille – il est certain que les antisémites traditionnels ont pu se sentir un peu libérés » mais les enquêtes révèlent une « évolution considérable », comme le montre la réponse à la question sur la possibilité d’un président de la République juif.
Conclusion de Benoît Duquesne : Je retiens que vous n’êtes pas aussi pessimiste qu’on pourrait l’être…
Michel Winock : si vous permettez, je ne suis pas non plus optimiste, parce que le nouvel antisémitisme n’est pas spécifiquement français, nous savons sa dimension internationale. L’épicentre reste quand même le conflit israélo-palestinien. Et tant que ce conflit durera, on peut redouter les propagandes qui viennent d’ailleurs et qui s’infiltrent dans cette société et dans ce qu’on appelle les banlieues.
Benoît Duquesne : Donc, je retiens que vous n’êtes pas si pessimiste qu’on pourrait l’être, mais en même temps inquiet quand même sur les répercussions du conflit israélo-palestinien sur cet antisémitisme-là.
Anne Lifschitz-Krams
Pour aller plus loin :
Avi Primor, ancien ambassadeur d’Israël auprès de l’Union Européenne, auteur de « Du terrorisme et de ceux qui l’exploitent » (Bayard Centurion, 2004) ;
Michel Winock, professeur d’histoire contemporaine à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris, auteur de « La France et les juifs : de 1789 à nos jours » (Seuil, 2004) ;
Pierre André Taguieff, philosophe, historien des idées politiques, directeur de recherche au CNRS. Il enseigne à l'Institut d'études politiques de Paris, auteur de « la Nouvelle judéophobie » (Mille et Une Nuits, Coll. Essais, 2002) et « Prêcheurs de haine » (Mille et Une Nuits, à paraître).