Tribune
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Publié le 24 Août 2004

Courageux, mais pas téméraires

Depuis quelques temps, on assiste à une série de décisions au niveau international comme au niveau national qui en disent long sur l’Etat actuel de notre société et sur le courage de nos instances juridiques et représentatives face au chantage.




Tandis que certains pays qui – devant le chantage à l’attentat - ont préféré retirer leurs troupes d’Irak, quitte à laisser un peu plus s’y enliser les Américains et à pouvoir plus tranquillement les critiquer, il faut admirer le courage de ceux qui n’ont pas cédé : l’histoire a montré que céder au chantage n’a jamais contenu les maîtres chanteurs. Au contraire, saoulés par cette première victoire, ils ont généralement des exigences de plus en plus inacceptables.



A un autre niveau, la décision de la fédération internationale de Judo (IJF) qui refuse de punir le judoka iranien pour refus de combattre un israélien est un modèle du genre : "Il n'a pas été planifié par Arash Miresmaeili de ne pas combattre en moins de 66 kg" et "il n'a fait aucune déclaration à la presse", indique un communiqué de l'IJF, publié jeudi à Athènes, "Le seul point qui reste est que M. Miresmaeili était au-dessus du poids" déclarent finalement ces honorables officiels ! Propos qui ont de quoi faire rire tous ceux qui ont vu passer les dépêches AFP relatant ses propos à l’agence officielle iranienne : "Je refuse de combattre contre un Israélien, par sympathie pour les souffrances du peuple palestinien", entendu le gouvernement iranien le féliciter et affirmer qu’il recevrait la récompense accordée à ceux ayant décroché une médaille et surtout qui ont lu dans Libération un article expliquant qu’il avait été vu en train de s’empiffrer dans des restaurants.



La dépêche AFP relatant cette décision nous explique que « selon une source proche de l'IJF, une sanction était difficile à prendre car les dirigeants de l'instance sont dans une année pré-électorale ».



Toujours aussi courageux, les officiels du sport (il s’agit cette fois du CIO) se sont bien gardé de répondre à Anki Spitzer, veuve d'André Spitzer, un entraîneur d'escrime qui figurait parmi les 11 victimes israéliennes de la prise d'otages des JO de Munich en 1972 qui a demandé au président du Comité international olympique (CIO) Jacques Rogge qu'un hommage officiel soit rendu à celles-ci à chaque Jeux. Elle estime en effet avec raison que la cérémonie à la mémoire des athlètes israéliens devrait "avoir lieu devant tous les athlètes sous le patronage du CIO" et non à la résidence de l'ambassadeur d'Israël. Une telle cérémonie, c’est clair, risquerait de froisser les membres arabes du comité olympique.



On a beaucoup parlé de la décision du tribunal administratif dans l’affaire du lycée Montaigne. On a entre autres accusé les parents de la victime d’avoir médiatisé l’affaire et d’avoir obtenu une décision du Conseil de discipline sous la « pression de la rue ». On n’a par contre jamais évoqué les raisons pour lesquelles la direction de l’établissement a été si lente à réagir, ni pourquoi les parents des agresseurs tenaient tant à voir leurs enfants réintégrés. Les seuls motifs invoqués par ceux qui soutenaient les jeunes agresseurs étaient le risque de stigmatiser des populations déjà fragiles et la punition excessive pour des enfants de 11 ans. Quelle ne fut pas notre surprise de découvrir, grâce à un entrefilet de Libération révélant le fin mot de l’histoire, que la mère de l’un des enfants travaille dans une ambassade d’un très grand et riche pays arabe : son statut ne lui permettait pas d’envisager que son fils fréquente un établissement moins prestigieux… Quel a été le poids de cette qualité dans la décision des juges ? Le journal préfère ne pas évoquer cette question. Nous ne le ferons pas non plus.


Ces jours-ci, la décision du Conseil d’Etat sur l’interdiction de la chaîne de télévision du Hezbollah était très attendue. Les médias arabes avaient publiquement accrédité l’idée qu’il ne s’agissait que d’une décision politique destinée à satisfaire le « lobby juif » sans rapport avec un quelconque comportement anti-éthique de la chaîne. Le gouvernement libanais avait suivi et fait pression contre une décision d’interdiction. Comme la Fédération internationale de judo, mais avec des conséquences beaucoup plus graves – il s’agit tout de même de la plus haute instance juridique française – le Conseil d’Etat a préféré se défausser sur le CSA et a décidé… de ne rien décider sur le fond, donnant à la chaîne un délai pour présenter au CSA un dossier de demande de conventionnement. Comme on s’en doutait, la chaîne du mouvement terroriste est ravie de la décision et affirme : « La décision du Conseil d'Etat a fait échec aux arguments avancés par Israël par le biais de l'ambassade israélienne ou du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) ».



Dans un article du 19 août qui figure toujours sur le site du Figaro, Arlette Fructus, Conseillère régionale Paca, vice-présidente du Parti radical, affirmait : « La récente et infamante déclaration d'Ariel Sharon est la démonstration affligeante de l'immixtion directe d'une problématique internationale dans la sphère politique intérieure de la France. En enjoignant à la communauté juive de France le repli en terres d'Israël, au prétexte outrancier du développement démesuré et intolérable de l'antisémitisme, le premier ministre israélien renvoie à la France la responsabilité collective d'actes chaque fois unanimement dénoncés. Plus gravement encore, ses propos coalisent une communauté autour d'un sentiment de non-respect et d'insécurité propice à accroître les fractures sociales ». Outre que l’on peut se poser des questions sur une telle outrance dans la condamnation et le vocabulaire concernant les propos – certes mal venus, mais beaucoup moins excessifs que ce qui lui est prêté – d’Ariel Sharon, on se doit de dire à cette dame que les Juifs de France n’ont malheureusement pas besoin des déclarations de monsieur Sharon pour s’inquiéter. Il leur suffit d’observer pour se rendre compte de ce que les « condamnations unanimes » - comme on en a encore entendu ce week-end après l’incendie d’un centre social juif - ont de dérisoire lorsque jusque dans les instances juridiques les plus hautes on hésite à prendre les décisions qui s’imposent pour préserver nos valeurs.



Anne Lifshitz-Krams