Tribune
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Publié le 23 Novembre 2005

Dans la communauté afro antillaise, on critique Dieudonné

Les provocations répétées de Dieudonné visent à stigmatiser et à diaboliser la communauté juive. Malheureusement, les frasques minables de Dieudonné ont rencontré un certain écho dans la presse et notamment auprès des jeunes. Ceci étant, des intellectuels et de nombreux militants antiracistes (notamment ceux de la communauté afro antillaise) ont violemment critiqué Dieudonné. Dans ce document, nous citons quelques- unes de ces réactions.



Marc Knobel


1. L’écrivain Camerounais Calixte Beyala condamne les propos de Dieudonné :

L’écrivain Calixte Beyala préside le Collectif Egalité et combat notamment l'insuffisante représentation à la télévision de la diversité ethnique de la population française. Le 21 février 2004, au nom de la liberté d’expression, elle avait apporté son soutien à Dieudonné, lorsqu’il avait tenu un spectacle sur un trottoir, en face de la salle de l’Olympia parce qu’il avait été privé de cette salle la veille. Un an plus tard, dans un point de vue qu’elle publie dans Le Monde (« Les convoyeurs de la haine », édition du 21 février 2005), sans jamais citer Dieudonné, Calixyte Beyala s'insurge contre l'idée qui voudrait que Juifs et Noirs soient opposés par un contentieux vieux de plusieurs siècles. Elle note au passage que les médias n'ont rien arrangé en faisant de Dieudonné le porte-parole des Noirs de France.

Extraits :

« Oui, il faut parler de la Shoah. Oui, il faut se battre afin que l'histoire de l'esclavage soit connue du grand public. Non, une tragédie n'exclut pas l'autre et il n'existe aucune hiérarchie dans la souffrance. »

Pendant plusieurs mois, j'ai eu l'impression d'assister à la projection en boucle d'un navet. Le scénario me semblait si grotesque que, me disais-je, seul un imbécile pourrait y croire. Un Noir joue le rôle du méchant sioniste et achève son sketch par un « Heil Israël l’inacceptable » Des Juifs apeurés crient à l'antisémitisme. Et moi, spectatrice, croyant avoir compris le script, je hurle devant l'écran : « Ne vous inquiétez pas. Ce n'est qu'un bouffon ! » Je reste quelque peu abasourdie lorsque la lumière se fait mais que le Noir oublie d'ôter son costume de scène et continue à interpréter son personnage.




On dit à nos enfants que les Juifs ne les aiment pas ; qu'ils ont esclavagisé les Africains ; qu'ils les ont spoliés ; qu'ils ont diffusé le sida en Afrique ; qu'il existerait chez les Juifs des lobbies qui empêcheraient la télévision, la presse écrite et la classe politique de prendre en compte la traite négrière et le racisme dont ils sont victimes ; on laisse entendre d'ailleurs que l'Etat israélien aurait organisé avec l'Afrique du Sud, pays de l'apartheid à l'époque, un plan d'extermination des peuples noirs ; on stigmatise les personnalités juives et, comble des abominations, on clame à tout va qu'on s'en fout de la Shoah et qu'il existe d'autres souffrances dont on devrait parler, notamment de l'esclavage. Je veux sortir de ce cauchemar. Comment un homme digne de ce nom est-il capable de proférer de telles horreurs ? On parle trop de la Shoah, trouvez-vous ? Comment se fait-il que j’aie l'impression du contraire ? Qu'il faudrait sans cesse rappeler aux jeunes générations ce qui a été, afin que cela ne se reproduise plus ?

Moi, voyez-vous, je suis obsédée par le visage de ces milliers d'innocents massacrés par les nazis. Et quand j'apprends par ailleurs que des mères juives ont tué leurs enfants avant de se donner la mort, l'image des mamans noires jetant leurs progénitures par-dessus bord pour les empêcher de devenir des esclaves se fige sous mes yeux.

Que de différences dans l'histoire de ces deux peuples, mais que de similitudes dans leurs souffrances.

Oui, il faut parler de la Shoah. Oui, il faut se battre afin que l'histoire de l'esclavage soit connue du grand public. Non, une tragédie n'exclut pas l'autre et il n'existe aucune hiérarchie dans la souffrance. Mais peut-être allez-vous décréter que je suis une mauvaise Noire ?

Aucun Noir ne saurait conforter des antisémites dans leurs phantasmes du Juif grand possesseur des richesses et grand confiscateur du bien-être mondial. Un antisémite est forcément un raciste. Noirs et Juifs sont ainsi des alliés naturels, ayant des ennemis communs et l'ont démontré à travers l'histoire.

Des Juifs ont lutté aux côtés de Martin Luther King. Des Juifs ont aidé des Noirs américains à acquérir leurs droits civiques et on ne saurait gommer des faits aussi palpables que la présence de certaines personnalités juives auprès des peuples noirs lorsqu'ils souffraient. On ne saurait effacer des archives ces images émouvantes des GI noirs libérant les Juifs des camps de concentration. On ne saurait ne pas rendre hommage aux hommes venus d'Afrique, des Antilles ou de la Guyane bataillant en Allemagne pour que cesse l'abjection. Beaucoup y ont laissé leur vie… »


2. La réaction d’Harlem Désir, député européen, ancien président de SOS Racisme :

Dans un communiqué publié le Samedi 19 février 2005, le député européen
Harlem Désir (PS) réagit également aux propos tenus par Dieudonné lors d'une conférence de presse à Alger, le vendredi 18 février:

Il « faut boycotter Dieudonné et ses spectacles comme on a boycotté, hier, l'apartheid et demander à la justice de le condamner sans ménagement ». « En déclarant à la presse algérienne que « le sionisme est le sida du judaïsme » après avoir parlé de la Shoah comme d'une « pornographie mémorielle », Dieudonné ajoute l'ignoble à l'indécence » et « il est aujourd'hui l'un des plus grands antisémites de France ». Il appelle « ceux qui ont fait preuve de trop d'indulgence à son égard jusqu'ici d'ouvrir les yeux et à cesser de lui trouver des excuses », faisant référence à « une partie des communautés africaines et antillaises en France ». « On ne peut accepter qu'il se drape dans la cause de la défense des peuples noirs pour avancer son antisémitisme nauséeux ».


3. L’opinion de Serge Bilé, journaliste et écrivain franco-ivoirien :

Lors d’une conférence de presse qu’il a donné à Alger, Dieudonné a montré un livre de Serge Bilé, journaliste et écrivain franco-ivoirien, auteur d'un ouvrage intitulé « Noirs dans les camps nazis » pour souligner que les noirs avaient eux aussi été des victimes du nazisme. Le 21 février 2005, Serge Billé réagit par voie de communiqué et dit refuser d'être utilisé par Dieudonné pour « étayer (ses) propos, scandaleux » sur la Shoah :

« Je ne crois pas, contrairement à Dieudonné, à « la concurrence des victimes » Toutes les douleurs sont à respecter et je n'ai pas besoin, pour dénoncer ou commémorer la traite négrière, d'agresser qui que ce soit, ni de minimiser la souffrance de qui que ce soit ». « Ma démarche, avec ce livre, consiste, uniquement, à rappeler qu'il est temps de prendre en compte la douleur des nôtres dans la grande histoire de la seconde guerre mondiale ». « Je précise, enfin, que Dieudonné n'est, pas plus que moi, le porte-parole de la communauté noire de France. Il ne représente que lui-même et ceux qui veulent bien le soutenir dans son jusqu'au-boutisme. Je m'attacherai, quant à moi, toute ma vie, à combattre le racisme sans faire de racisme à rebours, et à me battre, avec constance, pour la dignité des miens, encore trop souvent bafouée, sans attenter à la dignité de l'autre ».


4. La réaction de Mme Taubira (députée PRG):

Le 22 février 2005, la députée de Guyane Christiane Taubira (PRG), ancienne candidate des radicaux de gauche à l’élection présidentielle de 2002, a regretté sur RCI les récents propos de l'humoriste Dieudonné. Christiane Taubira a fait valoir qu'il ne fallait pas « confondre les tragédies humaines » :

« On ne doit pas confondre les tragédies humaines, il n'y a pas de hiérarchie à mettre entre ces tragédies humaines » et il faut « éviter la concurrence des victimes », précisant citer le philosophe et sociologue Jean-Michel Chaumont. « La concurrence des victimes » ne sert aucune cause », a-t-elle ajouté.

« Il y a un travail de fond à accomplir pour que la souffrance qui émane de quatre siècles et demi de traite négrière et d'esclavage soit prise en compte » …

« C'est un travail que nous devons accomplir de la même façon qu'au sortir de la deuxième guerre mondiale, les juifs ont accompli un travail de fond de sensibilisation, de valorisation, de réhabilitation », a ajouté Mme Taubira. « Nous avons à poursuivre notre propre travail et ça ne peut pas se faire au détriment d'une autre souffrance », a-t-elle précisé.
La députée de Guyane a estimé que Dieudonné était « depuis quelques temps dans une spirale de la démesure ».

« Je pense probablement qu'il y a un entourage qu'il lui est très défavorable, je le regrette profondément et je ne peux pas m'associer à des propos qui tournent en dérision une souffrance qui a concerné des hommes ».



Nous rappelons que les propos cités dans les tribunes et les interviews n’engagent que leurs auteurs.