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Une dépêche AFP rapporte que « Des dizaines de bougies ont été allumées par les sympathisants autour de portraits du "Raïs", et des bouquets de fleurs entourent un petit cadre reproduisant l'esplanade des Mosquées à Jérusalem-est, troisième lieu saint de l'Islam ». Le 5 novembre, un collectif d'associations françaises a appelé vendredi à un rassemblement de soutien à Yasser Arafat et aux Palestiniens devant l'hôpital militaire Percy, à Clamart. Selon l’AFP, ce collectif regroupe l'association France-Palestine Solidarité, mais aussi le MRAP, la Ligue des droits de l'Homme et l'Union juive pour la paix. Une autre dépêche fait état de la « visite mercredi à l'hôpital Percy des sénateurs français Halima Boumedienne (Verts, écologistes) et Daniel Goulet (UMP, droite) ». « La secrétaire nationale du PCF Marie-George Buffet, accompagnée d'une quinzaine d'élus municipaux communistes d'Ile-de-France, s'est rendue lundi à la mi-journée devant l'hôpital militaire Percy de Clamart pour "dire (son) affection" à Yasser Arafat ». Le 6 novembre, ce sont 300 personnes qui viennent lui apporter leur soutien et « Des élus communistes de Clamart, le secrétaire général du MRAP Mouloud Aounit, des militants de l'Union juive française pour la paix, notamment, ont rejoint vers 17H00 la dizaine de sympathisants pro-palestiniens présents toute la journée sur un coin de trottoir, entre un mur de l'hôpital et des barrières de sécurité ».
Plus consternant encore, ces sympathisants ne se contentaient pas de cris « Arafat vivra, Palestine vaincra », ou d’un drapeau palestinien de cinq mètres de long tendu sur un mur de l'hôpital. Toujours selon l’AFP, ils avaient accroché des pancartes proclamant « Palestine a vaincu Rome, elle vaincra Washington. Arafat nous a ouvert les portes de Jérusalem. Arafat = Jésus, Sharon = Barrabas, voleur et criminel, Bush = Ponce Pilate, lâche, assassin et bête... » sans que cela ne dérange ni la police ni les nombreux visiteurs.
Après l’annonce de sa mort, il n’est pas jusqu’au plus infime des journaux de province qui n’ait consacré la moitié de l’édition du jour à l’événement. A titre d’exemple le journal local L’Echo de l’Hérault lui consacrait ses dix premières pages. On se souvient des titres de la presse française à la mort de Staline. Même le très prudent Figaro avait titré sur la mort d’un grand combattant.
On pouvait à la rigueur s’accommoder du fait que, lors du départ de sa dépouille vers l’Egypte, son statut de chef de l’Autorité palestinienne valent les honneurs dus à un chef d’Etat. Un « cercueil porté par huit soldats de l'armée de terre, descendu au son de la marche funèbre de Chopin alors que trois compagnies de la garde républicaine, en tenue d'apparat, rendaient les honneurs, accompagné du chef de la diplomatie française Michel Barnier, la sonnerie aux morts, les hymnes nationaux palestinien et français joués par la fanfare militaire », tout cela pouvait cependant sembler excessif pour un homme directement responsable de la mort des athlètes israéliens lors des Jeux Olympiques de Munich ou de celle des enfants de Maalot, ou encore de celle de cet américain impotent dont le corps a été jeté à la mer – sans compter sa responsabilité dans le déclenchement de l’Intifada.
Que dire alors de ce portrait géant du « grand révolutionnaire » qui aurait été tendu sur l’immeuble du parti communiste, comme ils l’avaient fait à l’époque pour Staline ? Dans son édition du 15 novembre, l’Humanité annonce une veillée en hommage au président Arafat au siège national du PCF.
Que dire aussi de cette dépêche AFP datée du 14 novembre qui affirme : « Les musulmans du monde entier ont vécu dimanche 14 novembre, un triste Aïd al-Fitr, marquant la fin du mois de ramadan, le mois sacré du jeûne musulman, endeuillé par la disparition du président de l’Autorité palestinienne Yasser Arafat et l’offensive meurtrière contre Fallouja en Irak » ? Comme s’il était admis sans le moindre doute possible que chaque Musulman dans le monde – parce que Musulman - se devait de porter le deuil de Yasser Arafat et de condamner l’attaque américaine sur Fallouja. D’ailleurs, le fil de la même dépêche ne prend aucune précaution permettant de faire la part entre le propos du journaliste et la déclaration du « guide suprême iranien » selon qui les Etats Unis et Israël sont engagés dans une « guerre non déclarée contre l’Islam ».
Cette dépêche n’est pas sans rappeler le titre de l’édition spéciale de l’Humanité annonçant la mort de Staline : « Deuil pour tous les peuples qui expriment dans le plus grand recueillement leur amour pour le grand Staline ».
Tout est fait pour entretenir le mythe. Le chef des Palestiniens pouvait-il être né ailleurs que dans la capitale revendiquée de la Palestine ? On entérine dans l’acte de décès enregistré à Clamart une tromperie qui le prétend né à Jérusalem. Cet acte serait établi à partir du passeport de Yasser Arafat transmis par l’administration française selon une dépêche AFP du 15 novembre à 11h04, à partir d’un livret de famille délivré par le ministère français des Affaires étrangères en 1996 corrige une dépêche du même jour à 12h23. Toujours selon l’AFP qui semble avoir du mal à se déterminer entre légende et « faits » incontournables, « la plupart de ses biographes considèrent que Yasser Arafat […] est né en août 1929 au Caire ». Pour les autorités françaises, « un acte officiel délivré par un pays étranger fait foi ».
Difficile aussi d’admettre que ce chef de guerre « immortel » serait mort de maladie dans son lit. Leila Chahid lance alors cette rumeur sur son « empoisonnement » par les Israéliens. Là encore, l’AFP qui n’en est pas à une contradiction près, affirme le 15 à 11h04 qu’elle est responsable de cette rumeur, et à 12h18 qu’elle a « déclaré que Yasser Arafat n’avait pas été empoisonné ». A moins que ce ne soit la dame elle-même qui ait tenu à démentir des propos que tous ont pu entendre sur LCI ou sur les ondes de divers radios et lire dans les colonnes de l’Humanité. On sait qu’elle n’est pas avare de mensonges, soit qu’elle prétende avec le sourire que l’OLP n’a jamais voulu rejeter les Juifs à la mer (voir « sondages, laïcité… », Crif, 03/12/02) ou qu’elle affirme deux jours avant l’annonce officielle de la mort de Yasser Arafat que son état s’améliore.
Là encore, les similitudes avec la mort de Staline sont impressionnantes. Comme Arafat, Staline était malade, il avait 73 ans et il souffrait d'hypertension artérielle et de troubles circulatoires. La congestion cérébrale était de l'ordre du possible et du plausible. Pourtant les partisans de la thèse de la « mort aidée » n'ont jamais désarmé. Première rumeur : un mois avant sa mort, « on » aurait fait le vide autour de lui, liquidé ses médecins privés, les chefs de sa garde personnelle. Ensuite, tout devenait facile. Autre version, celle de l'ambassadeur de l'URSS à Varsovie, Ponomarenko. La mort de Staline serait liée à l'affaire du prétendu « complot des blouses blanches » - des « médecins juifs » accusés, entre autres, d'avoir assassiné tel et tel dirigeant soviétique en faisant mine de le soigner. Il s'agirait [déjà !] d'un complot judéo-américain avec en toile de fond l'Intelligence Service. Ceux qui savent comment il est mort se tairont.
A cet égard, bien que les services de santé français refusent de diffuser des informations qui pourraient mettre fin à la rumeur, une petite phrase de Jean-Daniel Flaysakier lors de l’émission du médiateur de France 2 le samedi 13 novembre est intéressante. Selon lui, c’est dès le début qu’il y a eu mensonge, car s’il est probable qu’il y a eu une grippe intestinale qui l’a affaibli et a révélé « l’autre pathologie », on ne déplace pas un avion militaire et « on n’hospitalise pas d’urgence dans un service spécialisé dans les leucémies pour une grippe intestinale ». Il faudrait que le secret médical soit rompu pour couper court aux rumeurs, dira-t-il aussi.
La même France 2 diffusait, au milieu de toute la grande messe entourant la mort du grand « résistant », un reportage destiné à l’évidence à démontrer que Juifs et Israéliens seuls n’y participent pas et se réjouissent du « malheur palestinien ». On y voyait d’une part 5 ou 6 juifs appartenant à une secte ultra-orthodoxe dansant dans les rues et d’autre part le sourire de Sharon au cours d’une conférence de presse. De nombreux téléspectateurs s’étant émus de l’impact de ces images – au demeurant filmées dans un contexte assez indéterminé - le magazine du médiateur a fait intervenir Charles Enderlin. Celui-ci admet que ces images ne venaient pas de ses services et étaient diffusées sur décision de la rédaction parisienne ; il avoue même que lui ne les aurait pas diffusées et qu’elles n’avaient rien de représentatif de la société israélienne. Cela ne l’empêche pas de les justifier par la diffusion quelques temps auparavant d’images de liesse après un grand attentat en Israël, et Jean-Claude Allanic ne manque pas de faire le parallèle avec les images amplement censurées (sous la menace) par le même Yasser Arafat, de Palestiniens se réjouissant après le 11 septembre. Faux équilibre de l’information, bien sûr, qui impose le postulat qu’une émotion identique serait de mise pour la mort naturelle d’un vieux dictateur d’apparence cacochyme - mais responsable directement ou indirectement de l’assassinat de centaines de civils, et s’obstinant à conserver âprement (fût-ce par le sang) le pouvoir (et l’argent) entre ses mains tremblantes - et pour celle d’innocents massacrés par des terroristes. Sans compter l’hypothèse non démontrée que ceux qui se réjouissent d’attentats visant des enfants et ceux qui auraient dansé à la mort d’Arafat ont, dans leurs sociétés respectives, le même degré de représentativité.
Interpellé sur la responsabilité du journaliste face aux conséquence des images qu’il diffuse, Charles Enderlin explique que l’antisémitisme et le racisme sont l’affaire de la justice française et que le travail des journaliste ne doit pas être influencé par ça, qu’il doit montrer ce qu’il désire montrer en fonction de l’actualité sans se censurer en fonction des conséquences que cela pourrait avoir ici ou là. Dirait-il la même chose de la responsabilité des chercheurs par rapport aux conséquences de leurs inventions ?
Qu’à Ramallah chacun ait voulu toucher son cercueil, rien de plus normal, qu’en Egypte on lui ait réservé des funérailles dignes d’un chef d’Etat peut aussi sembler dans l’ordre des choses. Que la presse arabe s’empare des rumeurs d’empoisonnement ou sombre dans l’hystérie, passe encore. Ce qui se produit ici depuis plus d’une semaine est bien plus inquiétant. Notre société en mal de héros semble vouloir s’en construire un sur mesure.
Anne Lifshitz Krams