Tribune
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Publié le 5 Mai 2009

Durban II : au final un semblant de calme mais trompeur ?

La Conférence d’examen sur le racisme tenue au Palais des Nations à Genève, du 20 au 24 avril 2009 était chargée d’examiner les progrès et d’évaluer la mise en œuvre de la Déclaration et du Programme d’action adoptés à la troisième Conférence mondiale contre le racisme, la discrimination raciale , la xénophobie et l’intolérance qui s’était tenue en 2001 à Durban (Afrique du Sud).

La Déclaration finale de Durban 2001 avait été marquée par de graves tensions internationales et faillit ne pas être adoptée. Le texte intergouvernemental contenait une longue partie sur le Proche Orient, citant Israël comme étant un Etat « raciste », accusé de crimes contre l’humanité envers les Palestiniens, seul pays et seule région cités dans le document. Par ailleurs, le Forum des organisations-non-gouvernementales s’était illustré, à Durban, par de graves débordements antisémites et antioccidentaux, dans des manifestations et des stands hors de la conférence officielle de l’ONU.

En raison de la réprobation internationale qui suivit, la Conférence d’examen n’a pu se tenir que huit ans plus tard, particulièrement devant la difficulté de trouver un pays d’accueil. Sa préparation, pendant plus d’un an, sous l’égide de la nouvelle Haut commissaire aux droits de l’homme, Mme. Navi Pillay a été marquée par deux phénomènes internationaux nouveaux :

- L’apparition, sur la scène internationale, d’un groupe d’Etat musulmans sous l’égide de l’Organisation de la Conférence Islamique (OCI) qui prend, dans ce contexte, le même statut que les groupes régionaux (Afrique, Amériques, Europe, Asie-Pacifique). L’OCI a joué un rôle déterminant dans la phase préparatoire, d’autant plus que le Comité préparatoire (PrepCom) était présidé par la Libye avec un bureau comprenant l’Iran et la Syrie. Ces groupes régionaux ont produit des projets de résolution finale : Celui de l’OCI, appuyé initialement par le groupe africain a proposé un texte introduisant deux aspects hautement conflictuels : le Moyen Orient avec de virulentes condamnations d’Israël, particulièrement après l’opération de Gaza, et une condamnation de toute libre opinion sur une religion, particulièrement qualifiée d’islamophobie.

- Le second point de friction est justement la tentative d’introduction d’un nouveau délit pénal international qualifiant de raciste toute critique contre la religion musulmane, ou blasphème de l’Islam. Jusqu’a présent c’était la haine contre les personnes qui était qualifiée de raciste et condamnée, et non pas la diffamation d’une religion, ou d’un groupe religieux. La conséquence immédiate était la limitation de la liberté d’expression et d’opinion et l’introduction de valeurs religieuses se substituant à celles des droits de l’homme.

Dans un premier temps, le PrepCom avait présenté un projet de résolution finale comme une juxtaposition de tous les textes y compris celui de l’OCI. Le projet de texte de l’Union européenne avait fixé des « lignes rouges » excluant le Proche Orient et protégeant la liberté d’expression. Sous la pression de nombreux gouvernements, en particulier de la France et de l’Union européenne, un médiateur –russe- a présenté un projet de texte éliminant toutes les questions conflictuelles. Avant même l’ouverture de la Conférence Durban II, neuf pays se sont retirés, parmi lesquels les Etats-Unis, Israël, l’Allemagne, les Pays Bas, l’Italie la Pologne, la République Tchèque)

Attaques contre Israël
A l’ouverture de la Conférence de Genève, le président de la République islamique d’Iran, Mahmoud Ahmadinejad a tenté de renversé le consensus préparatoire et de réintroduire la condamnation d’Israël et des considérations religieuses.
Il a soutenu la thèse qu’au lendemain de la Seconde guerre mondiale, le Conseil de sécurité de l’ONU a « créé un gouvernement totalement raciste dans la Palestine occupée, en réalité pour compenser les conséquences du racisme européen, en participant à la mise en place en Palestine des racistes les plus cruels et répressifs ». Ajoutant : « Le régime sioniste a été autorisé à poursuivre ses crimes durant les soixante dernières années (…) et à perpétrer un génocide envers les Palestiniens…à Gaza». Pour Ahmadinejad « il est temps que l’idéal du Sionisme, qui est le sommet du racisme, soit brisé ».
A propos de la Shoa, le président iranien la qualifiait « de question ambiguë et douteuse ».A propos de la crise financière et économique mondiale, il dénonçait un complot mondial « de l’influence économique et politique et du soutien des médias mondiaux au régime Sioniste ». Le président iranien consacrait la seconde partie de son discours à l’avènement « d’un monde nouveau » bâti sur les cendres du capitalisme et du communisme « grâce aux valeurs de Dieu ».
Dès les premières attaques contre Israël, les ambassadeurs des pays de l’Union européenne présents se sont levés et se sont retirés sous les huées des supporters iraniens et de certains pays musulmans.
Au cours des interventions qui ont suivi, il faut souligner que la majorité des pays arabo-musulmans qui ont pris la parole ont repris des thèmes accusant Israël de racisme. Les intervenants occidentaux, particulièrement ceux de l’Union européenne ont explicitement condamné des propos d’Ahmadinejad. En dehors de la Conférence, le secrétaire général de l’ONU M. Ban Ki-Mon, ainsi que la Haut commissaire aux droits de l’homme Mme. Pillay ont exprimé leurs regrets pour les propos du président iranien.

La France est intervenue : Son ambassadeur M. Jean-Baptiste Mattei a déclaré d’entrée : « nous n’acceptons pas que cette conférence soit détournée de son objet, ni prise en otage. Nous n’acceptons pas que cette tribune devienne une tribune de haine. Ceux qui tiennent de tels discours, comme le président iranien, se discréditent eux-mêmes. C’est ce qu’ont rappelé avec une extrême fermeté les plus hautes autorités de mon pays ». La France a rappelé, à cette occasion, ses trois convictions : - que la stigmatisation d’un Etat ne peut être acceptée ;-son attachement indéfectible à la liberté d’expression ; - la mobilisation contre toutes les formes de racisme « y compris bien sur l’antisémitisme. Le souvenir de l’Holocauste, qui a été commémoré hier, est là pour nous le rappeler. Sa négation est inacceptable ».

Résolution finale
Le très fort malaise provoqué par le président iranien a fait voler en éclat la solidarité africaine et asiatique avec l’OCI. Cette situation a permis aux Occidentaux et à certains pays africains et latino-américains de proposer, et de faire adopter la Déclaration finale rédigée par le facilitateur russe, texte modéré excluant toute allusion au Moyen Orient et à Israël et toute référence au blasphème de l’Islam.
Il est resté dans le texte adopté par consensus- avant même la conclusion des travaux- une référence à la Déclaration initiale de Durban, que la Haut Commissaire n’a pas réussi à gommer, ainsi qu’un article (5) faisant allusion au racisme « dans toutes les régions du monde, y compris toutes celles sous occupation ». Un paragraphe (12) mentionne les « cas d’intolérance et de violences raciales ou religieuses, notamment d’islamophobie, d’antisémitisme, de christianophobie et d’anti arabisme, se manifestant en particulier à l’égard de personnes, par des stéréotypes (…) fondés sur leur religion ou convictions ». Mais un autre article (68) mentionne l’incitation à la haine « dirigée contre des communautés raciales et religieuses(…) dans les médias… ».
Il faut souligner qu’en dépit des pressions de l’OCI, le paragraphe (66) a été maintenu. Il rappelle que « l’Holocauste ne doit jamais être oublié ».

La conférence intergouvernementale, à laquelle participaient les ONG accréditée à l’ONU, dont le CRIF, s’est achevée dans un semblant de calme, mais un calme qui pourrait être trompeur si l’Iran et les pays de l’OCI décident de prendre une revanche, particulièrement au Conseil des droits de l’homme.

Gérard Fellous