Des élèves de l'Ecole normale supérieure régissent à la décision du Conseil d'Etat de rejeter la demande d'un collectif d'organiser des réunions publiques dans les locaux de l'école.
Le Conseil d'Etat a finalement tranché en faveur de la direction. Les événements qui agitent l'Ecole normale supérieure (ENS) avaient pourtant suscité de toutes parts les plus injustes commentaires. La situation à laquelle nous sommes confrontés est sans précédent et cela ne cessera malheureusement pas du fait de l'heureuse décision du 7 mars. Parce qu'elle a tenu à défendre l'intégrité des lieux et le caractère de sérieux universitaire que les conférences qui s'y tiennent doivent avoir, la direction se voit contester, par une poignée d'élèves et d'intellectuels, jusqu'à sa légitimité.
Ceux qui ont écrit, sans réelle connaissance des faits, dans ces pages ou ailleurs, que la censure régnait désormais rue d'Ulm, ne savent sans doute pas les possibles conséquences de leurs actes, les savent peut-être trop bien. Une telle indignation, dépourvue de toute mesure et qui a pour elle le prompt assentiment de ceux qu'offusque le nom même de l'Ecole n'honore pas les bonnes âmes qui ont cru bon de l'exprimer.
Pour notre part, malgré l'admiration et le respect que nous avons pour ces maîtres, nous avons toujours voulu montrer un peu de prudence en ne nous joignant pas à eux. Nous ne pouvons que nous étonner de voir ces affaires devenir sous leurs plumes la preuve en acte que la liberté d'expression a déserté l'Ecole normale. Qu'est-elle devenue, cette liberté d'expression, si un meeting visant à défendre une position unique équivaut à un débat contradictoire ? Qui peut croire un seul instant à la dimension scientifique d'une telle réunion ? Resterait-on fidèle à notre tradition de réflexion et de débat en en faisant la tribune d'appels véhéments ?
Certaines positions réclament en effet un véritable dialogue plutôt que des slogans. Il ne s'agit pas de refuser l'expression de points de vue forts et opposés. Les sciences humaines ont cette double nature, polémique et scientifique : qui niera que faire de l'histoire ou de la philosophie, c'est aussi s'opposer à d'autres dans la recherche de la vérité ? Oui, la vie intellectuelle est violente. Mais cette violence se doit d'obéir à des règles – sans lesquelles nos colloques se changeraient en meetings et les travaux de nos chercheurs en démagogiques vociférations.
Que le Conseil d'Etat ait finalement donné raison à ceux qui, comme nous, craignent l'embrasement et souhaitent que l'Ecole reste ce qu'elle doit être, n'empêchera pas les réactions les plus violentes de se répéter. Plus grave que ces réactions, passées et à venir, c'est d'ailleurs le silence d'une majorité de personnes, élèves et chercheurs, qui a eu de quoi surprendre. Que certains chez nous aient décidé d'en découdre menace la recherche elle-même, et non seulement l'actuelle direction, déjà bien injustement traitée. Prenons bien la mesure de ces actions.
Quant à nous, signataires de cette tribune, quelle que soit la diversité de nos idées politiques, c'est de l'attachement à ce que représente à nos yeux l'Ecole normale supérieure, à savoir l'exigence intellectuelle et morale la plus haute, que nous voulions témoigner. La modération que nous exprimons ici ne nous empêche pas, loin s'en faut, de nous battre le moment venu pour des convictions. Nous prétendons seulement y mettre toujours un esprit de justice et de respect. Aussi, tristes spectateurs d'indignations indignes, c'est à une maxime qui devrait être chère à nos collègues et à nos maîtres que nous voulons nous en tenir – qu'avant de s'indigner, il vaut mieux réfléchir !
Sébastien Justum, ENS promotion 2007 ; David Haziza, ENS promotion 2008 ; Camille Lugan, ENS promotion 2008 ; Joachim Nahum, ENS promotion 2008 ; Raphaël Noiray, ENS ptomotion 2008 ; François Touchard, ENS promotion 2008 ; Quentin Jeantet, ENS promotion 2009 ; Charles Merveilleux du Vignaux, ENS promotion 2009 ; Jean Sénié, ENS promotion 2009 ; Léa Verdy, ENS promotion 200 ; des élèves de l'Ecole normale supérieure (ENS).
Article publié dans le Monde du 9 mars 2011.
Photo : D.R.