La guerre permettait de manifester des qualités viriles telles le courage et l’honneur, la bravoure et l’esprit de sacrifice, sans parler de la saine camaraderie que l’approche des durs combats étaient censée faire régner dans les casernes et sur les champs de bataille! En ces temps là, il n’était pas rare de partir à la guerre comme on part à la chasse. La guerre était le but, la raison officielle du conflit n’était qu’un prétexte. Bien que celui-ci pu être varié, le plus mobilisateur était sans conteste le motif religieux. Lorsque le monothéisme triompha, ce fut donc au nom de ce Dieu unique dont Israël leur avait révélé l’existence, que la Croix et le Croissant se firent la guerre des siècles durant.
Lorsqu’enfin l’Occident annonça « la mort de Dieu », les guerres ne cessèrent pas. Au contraire, elles redoublèrent de violence et, la technologie aidant, d’efficacité meurtrière. Simplement, ce n’était plus au nom de Dieu que l’on massacrait, mais au nom de la Révolution qui éclatait tantôt à Paris, tantôt à Berlin et tantôt à Moscou. On se battait alors officiellement pour de généreux principes, le plus populaire étant celui de l’Egalité des hommes (principe que dès sa première page, la Bible des Juifs avait été la première à proclamer). Mais cette égalité tardait à venir. La guillotine tombait, les canons tonnaient, les chars déferlaient mais l’âge d’or sans cesse était remis aux calendes, comme le remarquera judicieusement Brassens qui ajoutait, lucide: « encore s’il suffisait de quelques hécatombes pour qu’enfin tout changea, qu’enfin tout s’arrangea, depuis tant de Grands Soirs que tant de têtes tombent, au Paradis sur terre, on y serait déjà! ».
Si bien que les Juifs qui, plus que d’autres, avaient mis bien des espoirs dans ces révolutions successives, en vinrent à réfléchir sérieusement à l’audacieux projet de mettre fin eux-mêmes à leur long et douloureux exil.
C’est à ce moment là que l’occident représenté par le peuple devenu souverain, était à la recherche d’une nouvelle bonne cause. Dieu étant mort, l’Egalité se révélant par trop utopique, on inventa le Patriotisme. Il devint bon de mourir et de tuer pour la Patrie. Mais voilà qu’au moment même où les Juifs parvenaient finalement à ressusciter la leur, les guerres patriotiques perdaient leur popularité. Il faut dire que les dernières en date avaient été si saignantes, que l’occident, écœuré, semblait en avoir été définitivement saturé. On était donc passé successivement de : « il est bon de combattre » à « il est bon de combattre pour Dieu », « il est bon de combattre pour la Révolution », « il est bon de combattre pour la Patrie », avant d’arriver au « il n’est plus bon de combattre du tout » actuel.
Les grandes idéologies étaient toutes mortes, suite aux catastrophes qu’elles avaient engendrées. Dans l’Europe d’après 1945 (mais on en percevait les signes annonciateurs dès les années 30) rien ne justifiait plus la guerre. Tout lui était préférable. Seuls les Etats-Unis d’Amérique semblaient, pour quelques décennies encore, moins touchés que les Européens par la grâce de la nouvelle religion pacifiste, sans doute parce que les boucheries du vingtième siècle auxquelles ils avaient également participé, n’eurent pas lieu sur leur sol et n’avaient pas donc pas eu sur eux le même effet traumatisant. Le slogan « plutôt rouges que morts » n’avait pas vraiment traversé l’Atlantique. Ainsi en menaçant d’engager l’Union Soviétique sur une guerre des étoiles qu’elle n’était pas en mesure de mener, les Américains provoquèrent finalement son implosion. Le nuage rouge qui pesait sur l’Europe s’était évaporé à son tour.
Le Vieux Continent, tout à l’euphorie de sa réunification, célébra la chute du Mur qui l’avait divisé sans s’apercevoir que la menace avait déjà changé de couleur, préférant l’étendard vert aux drapeaux rouges ou aux chemises brunes de naguère. Mais il n’était plus question de s’opposer à elle par la force. L’Europe ayant enfin compris que l’usage de la force rendait les hommes sauvages, que le soldat n’a le choix qu’entre mourir ou tuer, perdre sa vie ou perdre son âme, il ne restait, pour contrer la menace, que la possibilité de négocier avec elle. On s’efforça donc de croire aux vertus de la négociation, évitant de reconnaître qu’il devenait évident que celle-ci ne pouvait aboutir qu’à une capitulation.
La présidence d’Obama, sans que l’on puisse encore prédire quelle en sera la durée, ayant depuis un an aligné la grande puissance outre-Atlantique sur les positions pacifistes du Vieux Continent, l’observateur n’a plus qu’à constater que toutes les démocraties ont choisi la capitulation pour éviter la guerre. Sauf une qui, comble de l’outrecuidance, se situe en plein Moyen Orient, donc au cœur même de ce que les musulmans appellent le dar-al-islam! Israël, plus que toute autre démocratie, aurait donc dû depuis longtemps déposer les armes pour sauver son âme. Or voici qu’il s’obstine à résister à la menace par la force. Pour un esprit européen du vingtième siècle, il s’agit là d’un impardonnable anachronisme!
La tentation pacifiste était probablement à l’origine de la plus grande crise qui secoua les Hébreux dans le désert du Sinaï et dont les juifs ont lu le récit ce shabbat: les explorateurs envoyés par Moise pour observer le pays reviennent affolés de ce qu’ils y ont vu: 3 géants, d’authentiques brutes, Ahiman, Sheshay, et Talmay, en action dans la région de Hevron. Que le lecteur ne s’imagine surtout pas que cette rencontre leur fait peur, au sens physique du terme. Ils en ont vu d’autres, ces premiers dirigeants de la nation hébraïque naissante! Ils ont vu la puissante armée égyptienne engloutie par les flots, ils ont lutté vaillamment contre les redoutables Amalécites et ce ne sont donc pas ces 3 individus, fussent-ils redoutables par leur taille et par leur force, qui risquent de les impressionner. Mais ce que cette rencontre va provoquer en eux aura pourtant d’incalculables conséquences: à la vue de ces 3 Hercules, nos dix sages décident de renoncer a ce qui fut le but de la Sortie d’Egypte et préparent un rapport si alarmiste sur le pays qu’en les écoutant, le peuple, en proie à une incontrôlable crise d’hystérie collective, décide de laisser tomber l’aventure et de retourner en Egypte! C’est qu’en voyant ces brutes épaisses, les explorateurs ont soudain l’impression de voir leur propre image dans quelques dizaines d’années! Si pour survivre dans l’environnement hostile d’Erets Israël, il faut devenir des Ahiman, Sheshay et Talmay, cela valait-il vraiment la peine de sortir d’Egypte? La Torah reçue au Sinaï et les valeurs de justice et d’égalité qu’elle véhicule pourra-t-elle résister à la dure réalité israélienne? La nécessité de créer une armée et d’y servir 3 ans, d’entraîner des commandos d’élite pour intercepter de provocatrices flottilles en pleine mer et éviter ainsi de favoriser ceux qui par haine ou par plaisir font sauter les restaurants et les bus bourrés de civils, ne risque-t-elle de transformer le peuple en un ramassis de Rambos sauvages, rien dans la tête, tout dans les muscles? Bref, si la « montée » physique en Israël se solde par une chute morale, le jeu en vaut-il la chandelle?
Ils n’étaient que deux à s’opposer à la meute hystérique. Comme quoi la justesse d’une cause ne se justifie pas par le nombre de ses porte-parole! Calev et Josué croyaient en une troisième voie. Ni sauvages, ni capitulards! Combattre s’il le faut mais sans y laisser son âme. Intercepter les provocateurs, idiots utiles ou véritables collabos islamisants, mais en ne tuant que les 9 qui menaçaient directement les hommes sans ouvrir indistinctement le feu en en massacrant dix fois plus! Arraisonner au lieu d’envoyer une torpille. Non pas parce que tu n’en as pas la possibilité technique par parce que tu t’en dénies le droit moral!
Les pieux membres de la nouvelle religion pacifiste des deux côtés de l’Atlantique connaissent les faits. Ils ont vu comme vous et moi, la vidéo. Ils savent aussi que les maîtres actuels de Gaza ne sont pas des enfants de chœur et qu’ils n’attendent que la fin du blocus pour reprendre leurs attaques meurtrières, bombarder à coup de roquettes les populations civiles ou faire sauter les hôtels en pleine fête de Pessah’. Ils les connaissent bien, les maîtres de Gaza: ils côtoient depuis des années leurs émules et leurs disciples dans les rues de leurs cités et écoutent impuissants leurs prêches incendiaires dans certaines de leurs mosquées, situées a deux pas de chez eux. Et c’est justement pour cela qu’ils condamnent Israël avec tant de haine et de véhémence. Car si les Juifs peuvent contrer la menace islamiste sans perdre leur âme, cela signifie qu’avec un peu de courage et un sens aigu de la morale, avec de la détermination et de la retenue, ils auraient pu le faire aussi. Mais le courage des Européens les a définitivement abandonnés un jour d’été 1940 et ce qui leur reste du sens aigu de la morale, c’est la capitulation devant l’inacceptable, hypocritement érigée en valeur suprême de l’humanisme et du respect d’autrui!
Israël les dérange parce que sa simple existence et son simple courage les accusent. Leur haine et leur colère ne sont que l’expression de leur frustration due à un mélange pervers de jalousie et d’admiration envers ce « petit peuple à la nuque raide » qui n’en finit pas de refuser de rentrer dans les rangs du conformisme bien-pensant.
Un peuple qui dans sa majorité a refusé le pernicieux message des 10 explorateurs pour ne retenir que l’exhortation lucide de Calev: « Venez et montons! Installons-nous au pays car nous en sommes capables!… »
Arrêtez-moi si je dis des bêtises…
Elie Kling est né à Lyon. Etudes à la Yechiva de Montreux. Installé depuis 1984 à Kfar-Maïmon, dans le Néguev, il enseigne le Tanah, la Guemara et l'histoire juive à l'Ecole Normale de 'Hemdat Hadarom (http://www.hemdathadarom.com), et dirige la section francophone de cette école. Il prépare actuellement un doctorat centré sur la pensée et la personnalité du Natsiv de Volojin qui fut l'une des personnalités les plus marquantes du judaïsme au 19ème siècle et qui fut notamment le Maître du Rav Kook et de ...H. N. Bialik!
Photo : D.R.