Tribune
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Publié le 8 Juin 2004

Europalestine, danger absolu par Michel Gurfinkiel

Hier en fin de journée, je me promène dans mon quartier, en compagnie de ma femme. Il fait beau, il fait bon. Le temps qui convient (à un jour près) au soixantième anniversaire du débarquement de Normandie.



Nous passons le long d’une école. Les panneaux électoraux, sortis depuis plusieurs jours, commencent à se couvrir d’affiches et de professions de foi. L’une d’elle, pour de multiples raisons, retient notre attention : Euro-Palestine. A ce moment, trois jeunes gens passent sur le même trottoir. Deux jeunes hommes et une jeune femme. L’un des hommes est de type européen, la jeune femme aussi. L’autre homme est, de toute évidence, un Français issu de l’immigration maghrébine. Bien habillés tous les trois, pour ne pas dire élégants. Un langage d’intellectuels. Peut-être des étudiants ; peut-être même des étudiants de grande école. Les voici à notre hauteur. C’est alors que le jeune homme d’origine maghrébine, lance, à pleins poumons : « Je ne sais pas pour qui je vais voter aux prochaines élections. Ah si ! Je vais voter pour EUX ! ». Et joignant le geste à la parole, il frappe violemment, de la paume de la main, le panneau Euro-Palestine.

Représentez-vous bien la scène. Il y a devant ce panneau deux personnes – ma femme et moi-même -, un couple d’une cinquantaine d’années. Pour frapper comme il le fait, le jeune homme doit littéralement faire passer sa main, pour ne pas dire son poing, sous leur nez – sous notre nez. Dans des circonstances ordinaires, cette attitude serait déjà incroyablement brutale et insolente. Mais il n’est pas nécessaire d’être psychanalyste pour comprendre que cet acte va bien plus loin. Nous avons l’air un peu juifs, ma femme et moi. Symboliquement, ce sont ces deux juifs d’un certain âge que ce jeune homme visait. Symboliquement, il n’a pas frappé le panneau Euro-Palestine mais nous l’a au contraire asséné sur la tête. Sa provocation exécutée, il s’en est allé, du pas rapide de la jeunesse. Ses deux amis l’ont suivi, vaguement gênés, en parlant d’autre chose.

Heureux, me direz-vous, ceux qui ne subissent que des agressions symboliques. La veille, vendredi, un adolescent de dix-sept ans, élève d’une yéshivah d’Epinay-sur-Seine, est poignardé en pleine rue par un énorme gaillard, aux cris d’ « Allah Ou-Akbar ! ». Par miracle, le couteau, une lame de trente centimètres, ripe sur la côte au lieu de s’enfoncer dans le poumon ou le cœur. Quelques jours plus tôt, c’était le fils du rabbin de Boulogne qui, toujours dans la rue, était roué de coups, par des agresseurs décrits comme des Maghrébins et des Africains. La violence antijuive, une violence au faciès, peut désormais frôler le meurtre.

Certes, le gouvernement actuel de la République réagit plus fortement que le gouvernement qui fut en place jusqu’en 2002. Dans le cas de l’agression d’Epinay, les ministres de l’Intérieur, de la Sécurité intérieure et de la Santé ont immédiatement exprimé leur dégoût et se sont rendus auprès de la victime. C’est mieux, infiniment mieux, que la distanciation quasi-brechtienne avec laquelle d’autres ministres traitaient, voici près de quatre ans, les incendies à la chaîne de synagogues et d’écoles juives. Mais est-ce assez ? Non, malheureusement. Pas de pogrome sans incitation au pogrome. Pas de situation de prépogrome, comme celle dans laquelle nous sommes en train de descendre, sans l’impunité avec laquelle certains, en France, peuvent se livrer à des campagnes antijuives explicites ou à l’apologie à peine voilée du terrorisme. Le Crif a très justement « constaté », après la tentative d’assassinat de vendredi, que « cette escalade de la violence antijuive intervient alors que de récentes décisions de justice ont pu donner le sentiment qu’on pouvait s’attaquer aux juifs en toute impunité ».

Le respect des décisions de justice, quelles qu’elles soient, est l’un des fondements de l’Etat de droit. Mais l’histoire offre bien des précédents où des juges, tout en s’inscrivant dans la lettre de la légalité, font passer une idéologie avant le bien public. Sous la République de Weimar, les juges allemands innocentaient sans cesse les extrémistes de droite. Après la tentative de coup d’Etat de 1923, Hitler ne fut condamné qu’à deux ans et demi de détention quasi-luxueuse, en compagnie d’une petite cour d’affidés : peine si légère qu’elle lui permit, en fait, de rédiger Mein Kampf.

Aujourd’hui, de nombreux juges européens ont tendance à innocenter ou à relaxer des extrémistes de gauche, ou proches de la mouvance islamiste. Le phénomène a pris récemment tant d’importance que deux ministres européens de l’Intérieur, le ministre allemand Otto Schily et le ministre français Dominique de Villepin (oui, Dominique de Villepin), ont été amenés, le premier après la relaxe en appel de deux Marocains condamnés par un premier tribunal pour complicité active dans la préparation des attentats du 11 septembre 2001, le second après la décision du tribunal administratif autorisant le retour en France de l’imam de Vénissieux, à déclarer, chacun de son côté, que si la loi empêchait les autorités démocratiques d’assurer la sécurité des citoyens, il fallait la changer. Bénéficiant d’une relaxe, un ex-comédien devenu agitateur antisémite peut aujourd’hui prendre la tête d’une liste aux européennes, la fameuse liste Euro-Palestine dont je parlais un peu plus haut. Nous verrons combien de voix il récoltera. Mais au-delà des résultats immédiats, le voici entré, à travers cette candidature, dans le jeu politique officiel. Comment voulez-vous que cette promotion – fulgurante - ne soit pas interprétée par certains comme un encouragement à narguer les juifs, à les insulter des juifs, à les frapper et même à les tuer ?

Je vais vous dire, maintenant, ce qui retenait notre attention, hier, dans l’affiche de la liste Euro-Palestine. D’abord le graphisme. Le texte et les photos des têtes de liste se détachent sur un fond vert semé d’étoiles dorées disposées en cercle. En d’autres termes, sur un drapeau européen où le bleu de l’Occident et de la tradition judéo-chrétienne est remplacé par le vert de l’islam. Une logique de communautarisme pur et dur.

La seconde chose, c’est le slogan : « Pas de paix en Europe sans justice au Proche-Orient ». En d’autres termes, si l’Europe veut échapper à des attentats analogues à celui de Madrid, elle doit sacrifier Israël. Une logique de soumission au terrorisme.

Voilà qui devrait faire réfléchir de nombreux citoyens de ce pays, et pas seulement les citoyens juifs. La présence d’une telle liste aux élections de 2004 constitue, en soi, un basculement. Derrière le bouc émissaire juif, c’est bien la République, la nation française et des millénaires de civilisation européenne qui sont visés.

© Michel Gurfinkiel, 2004.

Diffusé sur RCJ le 6 juin 2004.