Ce n’est pas la première fois que je me rends en Pologne ni sur ces lieux, mais devant l’absence, cette fois-ci, nous avons tenu à parler de la génération de jeunes militants de cette période. De l’Hashomer Hatsair, du Bund, du Beitar, des mouvements sionistes, des internationalistes, des défenseurs du Yiddish, des laïcs et des plus religieux. Et lors de notre cérémonie, de chanter le chant des partisans de Vilnus que nous venons d’entendre.
Pour que ce que nous transmettions ne soit pas seulement le souvenir de leur destruction, mais aussi celui de leur vie, de leurs combats, de leurs grandes différences, de leurs oppositions vigoureuses parfois, de leur vision pour le peuple juif et de leurs valeurs qu’ils ont défendu jusqu’au bout.
Cette transmission est plus que jamais périlleuse pour les étudiants. Le combat que mènent aujourd'hui les étudiants Juifs dans les facultés n'est en aucun cas similaire à celui qu'il fallait mener en Pologne. Mais aujourd'hui notre espace, l'Université, est aux prises avec la propagation des idéologies antisémites et négationnistes. Chaque jour nous entendons se profiler la doxa de la concurrence victimaire : les Juifs insistants avec la Shoah, leur Shoah, masquant ainsi les autres tragédies de l'Histoire. Ou plus insidieux, les Juifs instrumentaliseraient la mémoire de l'extermination pour légitimer la création de l'état d'Israël et la politique que celui-ci conduit. En point d'orgue de cette implacable logique, cette conclusion : la Shoah n'est plus un sujet, puisque son évocation est forcément coupable.
Il n'est pas facile de lutter ces arguments massues. A l'incompréhension suit souvent une forme de fatalisme des militants. Il nous faut fédérer les étudiants pour transmettre la Mémoire de la Shoah, se souvenir de l'histoire dont nous héritons en tant que Juifs, transmettre ce que les leçons ont d'universel. Et avec cette volonté, mettre les mémoires en dialogue. Travailler avec les autres porteurs de mémoire comme nous le faisions il y a quelques jours a l'occasion du 7 avril, jour de commémoration du génocide des Tutsi au Rwanda. Comme une évidence, sans comparer mais en faisant de la mémoire une porte ouverte vers l'Autre et sa douleur.
Ce n'est pas un hasard si les insurgés de Varsovie étaient jeunes, souvent déjà engagés avant la guerre. Certains disent qu’ils avaient moins à perdre : peut-être, mais ils avaient beaucoup à revendiquer aussi.
Ce soulèvement décidé, organisé, fut un combat pour la vie, pour la dignité. Pour que le monde entende et que nous nous souvenions qu’au pire de l’enfer, de jeunes hommes et femmes ont incarné l’espoir et la fraternité. Pour nous étudiants aujourd’hui, il y a un message dans l’insurrection désespérée qu'ont mené ces jeunes Juifs en avril 1943. Un message que les valeurs que l'on défend et l'espoir de les voir révélées au monde peuvent transcender les heures les plus sombres.
C’est cela que nous retenons et qui nous reste dans nos combats d’aujourd’hui. L’attachement aux valeurs juives, françaises, comme un repère pour s’engager. S’engager dans le dialogue et la possibilité de vivre ensemble même lorsque nous sommes moins nombreux à y croire, même lorsque la période justifierait de se replier sur ses certitudes et ses craintes. S’engager pour que le monde juif et la communauté juive restent garants des valeurs humanistes et de transmission qui nous fondent et dont nous héritons.
Il ne s’agit pas de savoir ce que chacun aurait fait il y a plus de 60 ans. Mais aujourd'hui nous savons que les étudiants peuvent jouer un rôle dans l'histoire celui de transmettre la mémoire et de faire vivre les valeurs de liberté et d'humanisme. Aujourd'hui, c'est le triomphe de ce combat que nous étudiants juifs, sommes venus commémorer.
(Arielle Schwab est la présidente de l’Union des étudiants juifs de France. Elle a prononcé l’allocution ci-dessus lors de la commémoration de la révolte du ghetto de Varsovie le dimanche 18 avril à Paris)
Photo : D.R.