Tribune
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Publié le 10 Mars 2010

Femmes d’Iran

La journée internationale de la femme a pris cette année en Iran un sens particulier tant la réélection contestée de Mahmoud Ahmadinejad a renvoyé les femmes iraniennes vers l'aggravation que connaissent leurs conditions et les restrictions incessantes qui s’opposent à elles chaque jour un peu plus.




Intimement liée aux valeurs humanistes auxquelles se rapportent les idéaux démocratiques du Mouvement vert, l'égalité des droits entre hommes et femmes que réclament les Iraniennes, et même nombre de leurs compatriotes masculins, s'est illustrée par leur présence massive en première ligne des manifestations qui ébranlent la République islamique depuis dix mois maintenant.



Symbole de cette jeunesse éprise de liberté, la jeune Neda Agha-Soltan, tombée au mois de juin dernier sous les balles des miliciens du régime, a donné aux manifestants le visage qu'ils se voulaient. Belle, souriante et sensible, Neda est à l'image de cette jeunesse iranienne qui, sans distinction de sexe, de croyance et d'origine, a entrepris de renverser tous les obstacles que les lois archaïques de la République islamique ont, toujours par la force, imposées.



Le combat féministe est né en Iran au lendemain de la victoire de la Révolution islamique sur le régime du Shah. Promettant pourtant de ne jamais imposer aux femmes la moindre discrimination, l'Ayatollah Khomeyni s'est empressé dès son arrivée en Iran de restreindre la condition féminine pour ne la mettre qu'au service des hommes. C'est ainsi qu'il y a tout juste trente et un ans, le 8 mars 1979, des milliers de femmes s'étaient rassemblées à Téhéran pour protester contre ces restrictions dont elles allaient être dès lors victimes.



Cette réalité contraste avec celle que connurent les femmes sous le règne des rois Pahlavi. "J'eus l’impression que le Shah couronnait toutes les femmes d'Iran" déclara après son couronnement en 1967, l'Impératrice Farah qui, à cette occasion, devint la première femme à acquérir dans un pays musulman le droit de régence dans le cas où le roi venait à disparaître avant la majorité légale du Prince héritier.



En 1936 déjà, Reza Shah entreprenait la mise en place d'un système éducatif mixte et permit l'accès des femmes aux universités. Avec la "Révolution blanche" engagée dès 1963 par son fils Mohammad-Reza Shah, les femmes acquirent le droit d'éligibilité et le droit de vote. En 1967, la "Loi de protection de la famille" constitua un progrès substantiel dans l'émancipation des femmes tant elle rendit difficile pour les hommes le droit à la polygamie et le droit de décider du divorce par décision unilatérale. Tout l’ordre familial hérité de siècles de traditions patriarcales fut mis en branle au profit d’une société nouvelle intégratrice de ses citoyennes.



En 1974, l'âge légal du mariage pour les femmes fut élevé à dix-huit ans et l'ensemble des secteurs d'activités professionnelles leur devint accessible aux mêmes conditions que celles imposées aux hommes. La vie politique fut également ouverte au début des années 1970 aux voix féminines avec vingt-deux femmes députées et deux sénateurs. Farroukh-Rou Parsa devint la première femme ministre en Iran.



Avec la Révolution islamique et l'avènement du nouveau régime théocratique, la loi de Protection de la Famille est abrogée et cette abrogation emporte avec elle les années de luttes qui permirent aux Iraniennes de s’affranchir de l’ordre patriarcal. L'âge légal du mariage est abaissé à neuf ans, la ségrégation est institutionnalisée dans toutes les instances de l'Etat. Les sociétés privées sont contraintes de limiter l'accès des femmes à certains postes et la valeur de leur existence est réduite pour ne valoir que la moitié de celle d’un homme.



Shirin Ebadi, lauréate en 2003 du Prix Nobel de la Paix pour son combat en faveur des femmes, des enfants et des prisonniers politiques, raconte dans son livre "Iranienne et libre" : "Ces lois inflexibles que je passerais le reste de ma vie à combattre étaient imprimées noir sur blanc : la vie d’une femme valait la moitié de celle d’un homme ; la déposition d’une femme au tribunal comme témoin d’un crime ne valait que la moitié du témoignage d’un homme ; une femme devait demander à son mari la permission de divorcer. Les rédacteurs du code pénal avaient manifestement consulté des conseillers juridiques du VIIème siècle. Ces lois nous faisaient revenir quatorze siècle en arrière, aux premiers jours de l’expansion de l’Islam, une époque où lapider une femme coupable d’adultère ou couper les mains d’un voleurs étaient des sanctions justes". Plus encore, l’Ayatollah Mohammad Yazdi répondant à une interview en septembre 1986 déclarait ainsi : "votre femme, qui est votre possession, est en fait votre esclave".



Ces propos démontrent combien la République islamique voit dans l’égalité entre hommes et femmes une profonde menace tant pour son existence et que pour l’ordre théocratique qu’elle fait régner. Représentant néanmoins près de la moitié de la population iranienne, les Iraniennes et la condition féminine sont rapidement devenues des enjeux de politique majeur que les dignitaires du régime n’ont pu ignorer.



Les années 1990 ont vu l’émergence en Iran d’un mouvement féministe aspirant à la reconquête des droits que les femmes s’étaient vues confisqués dix ans plus tôt. Percevant en elle une force sociétale désormais incontournable, la mouvance réformatrice du régime mit en avant, sur le fondement de ces revendications, une interprétation nouvelle des préceptes coraniques prétendant alors donner aux femmes iraniennes des droits nouveaux. Si la Présidence de 1997 à 2005 de Mohammad Khatami apparut comme une période au cours de laquelle davantage de libertés leur furent accordées, celles-ci furent en réalité des conquêtes reconnues et entérinées par la faction réformatrice qui s’était appuyée sur le vote des femmes pour parvenir au pouvoir.



La récompense de Shirin Ebadi constitua cependant une épreuve à laquelle le Président Khatami répondit par une réaction de nature à remettre en cause la réelle conviction des réformateurs pour les droits des femmes. "Le prix Nobel de la Paix n'est pas si important que ça, les prix décernés pour la science et la littérature le sont davantage" déclara M. Khatami qui, par ces propos, minimisa la prestigieuse distinction dont Mme Ebadi et des millions de femmes à travers l’Iran furent honorées, mais dénia également la réalité de leurs conditions.



De nombreux projets ont depuis agité la sphère politique de la République islamique. La campagne "Un millions de signatures" que de jeunes activités féministes ont engagé et la désobéissance civile qu’elles ont depuis longtemps initié a démontré leur capacité à faire bouger ces lignes que l’intransigeante République islamique a strictement définies.



A l'étranger, de nombreuses activistes iraniennes ont pu donner des conférences dans les plus grandes universités et centre de recherches pour alerter l'opinion publique mondiale sur les droits des femmes en Iran. Nombre d'Iraniennes ont développé leur talent d'écrivain ou d'artiste. Marjane Satrapi, Chadortt Djavann, Shirin Neshat, Vanecha Roudbaraki ou encore Nazanin Afshin-Jam sont toutes autant d'exemples de femmes iraniennes qui ont relayé à l'étranger le combat de leur compatriotes en Iran.



L’actuelle contestation qui a gagné toutes les couches de la société met aujourd'hui en lumière le nouvel ordre institutionnel dans lequel les Iraniens, femmes et hommes réunis, désirent vivre. Ayant fait des droits des femmes une lutte aux couleurs des revendications démocratiques et laïques, il est aujourd’hui certain que la lutte pour l’émancipation des femmes constitue le vecteur du projet démocratique iranien.
Par Sahand Saber (article publié sur lemonde.fr, mardi 9 mars 2010 ), sahandsaber.wordpress.com



Photo : D.R.