Pourquoi ? Arrêtée le 31 janvier 1944 par trois gendarmes français et déportée à Auschwitz à 14 ans, la vie d’Ida Grinspan est dévouée au témoignage de ce qui fut la césure de son histoire et celle de l’Europe dont nous sommes issus.
La mairie de Parthenay a sourcillé à la lecture du texte qu’Ida proposait à l’occasion de la journée la commémoration du souvenir des victimes et des héros de la déportation, le 29 avril.
Ce texte rédigé à la demande d’une enseignante d’histoire géographie du collège de la Couldre devait être lu lors de la commémoration. Ida Grinspan y dit la vérité. Trois gendarmes français l’ont arrêtée, et elle en est la première affligée. Sous deux prétextes inouïs d’éviter la « stigmatisation d’une catégorie professionnelle qui, dans ces temps troubles, avait obéi aux ordres de l'autorité légitime (sic ! )» et d’apaiser « les ressentiments à une époque où le repentir est malheureusement mis en exergue » Ida Grinspan s’est vue demandée de réviser sa copie, en gommant la profession de ses bourreaux pour les qualifier de « trois hommes » …. Pourquoi pas « trois bipèdes » puisqu’on en est là ?… Trois hommes, cela peut être n’importe qui, tout le monde. Donc personne…
Le témoignage n’a que faire des petits arrangements personnels, l’histoire encore moins. Faut-il encore rappeler les mots infiniment justes d’Albert Camus ? « Mal nommer les choses c’est ajouter au malheur du monde. » Mais à ni le maire, ni son « chargé des relations avec les associations patriotiques » n’ont compris qu’une mémoire tronquée est une mémoire vaine.
Ce geste dessert totalement la cause que Xavier Argenton, Maire de Parthenay (Nouveau Centre) prétend servir. Car le mensonge imposé à Ida Grinspan étouffe à jamais les 54 gendarmes français Justes parmi les Nations mis à l’honneur par le Secrétariat d’Etat aux Anciens combattants notamment à travers la présentation d’une exposition « Désobéir pour sauver » inaugurée en décembre dernier. Plus encore, cet argument faible de ne pas vouloir entacher toute une corporation ne peut que nous renvoyer à l’acharnement similaire du régime de Vichy…
Hubert Falco, secrétaire d’Etat aux Anciens Combattants, à la question posée par la news letter du CRIF sur la nécessité de ré-analysée l’image de la police durant la collaboration répondait ceci : « Il ne s’agit pas de réévaluer le rôle des forces de gendarmerie et de police sous le régime de Vichy : les historiens ont mené, sur cette période, un travail considérable : le rôle de l’Etat et de son appareil dans l’application des lois scélérates ne peut pas être sous-estimé. Nous avons voulu rendre hommage à la mémoire des policiers et des gendarmes qui n’ont pas exécuté les ordres qui leur étaient donnés ou qui ont tenté, par tous les moyens, de les contourner. Ils allaient prévenir les juifs avant les rafles et les arrestations, ils les cachaient et les protégeaient. Ils ont agi en hommes et c’est cette humanité que nous voulons donner en exemple. » A moins de considérer le régime de Vichy comme « légitime » et s’offrir l’économie d’une réflexion sur la légalité et la légitimité, retournons à l’histoire à ce qu’elle a d’indélébile et rendons la parole à Ida Grinspan :
"J’ai été arrêtée le 31 janvier 1944 par 3 gendarmes, l’inhumanité même, de ces 3 hommes, le chiffre 3 , chiffre impair qui montre bien la détermination d'être solidaires de ne pas se laisser influencer face à la jeunesse, face aux suppliques de ma nourrice, des demandes insistantes du maire de la commune pour ne pas m’emmener moi, si jeune, si innocente, qui avait la malchance d’être née juive! Alors que les armées alliées sont en train de délivrer l’Europe des allemands, 3 gendarmes français, ont obéit aux ordres de m’emmener à Niort pour connaître le pire : d’abord le camp de Drancy, puis l’enfer d’un voyage de 3 jours dans un wagon à bestiaux, plombé, avec des hommes, des femmes et des enfants pour arriver aux camps de la mort : c’était ça La Déportation. C’était un voyage terrible, où l’on devait apprendre à vivre ensembles, à faire ses besoins dans une tinette qui a débordée au bout de quelques jours, de vivre dans la saleté, le manque d’air !
"On se disait que le pire était derrière nous mais il était devant nous : quand le wagon s’est ouvert un comité d’accueil allemand avec chiens et hurlements nous attendaient pour la sélection. Je me souviendrai toute ma vie de ces hommes et femmes, enfants, vieillards qui sont partis dans des camions, pour les chambres à gaz ; moi, j’ai eu la chance si l’on peut dire, d’entrer dans le camp pour y travailler avec tout ce que l’on sait de la vie quotidienne dans les camps : nous étions des numéros, et non des êtres humains ; la déportation c’est aussi un programme de déshumanisation organisée par le régime nazi.
"La barbarie s était glissée, cette nuit d’hiver, dans un hameau que tout destinait au sommeil heureux des lieux oubliés par l’Histoire ; Oui j’ai donc connu jusqu’à mes 14 ans une vie loin des fracas de la guerre, des privations de nourriture, des rafles, de l’ostracisme du gouvernement de Vichy et derrière tout cela le totalitarisme nazi organisait l’éradication du peuple juif."
Ida Grinspan
(1) Ida Grinspan et Bertrand Poirot-Delpech, J’ai pas pleuré, Robert Laffont 2002
Photo : D.R.