Le moment d’émotion, d’abord. C’était lundi soir, lors du très beau concert donné par la chanteuse Talila au théâtre de l’Européen, à Paris. On définit souvent Talila comme une «chanteuse yiddish», et de fait la majeure partie de son tour de chant, comme du disque qu’elle vient de sortir, est en yiddish. Mais l’atmosphère qui régnait dans la salle, lundi soir, était tout sauf la commémoration mortifère d’une culture assassinée. Pas seulement en raison du style «jazzy» adopté par Talila avec son arrangeur et accompagnateur, l’admirable Teddy Lasry. Et pas seulement parce que le spectacle, comme le disque, associe le yiddish au français et à l’anglais. Il s’agit d’autre chose.
Un «autre chose» que j’avais entendu, il y a quelques années, lors d’une mémorable soirée consacrée au malouf, à l’Espace Rachi à Paris. Un «autre chose» que je retrouve dans un récital de musique judéo-espagnole. Dans tous ces cas, la dimension folklorique ou provinciale (et je ne méprise ni le folklore ni les provincialismes) est dominée par une dimension qui les transcende toutes, qui est la dimension identitaire, c’est-à-dire la recherche d’une identité commune.
Identité juive, d’abord. Le fait est que, lundi soir, la chanson de Talila qui fut la plus longuement applaudie par le public était aussi la seule à être en hébreu : c’était un magnifique «Ani Maamin», la profession de foi partagée par tous les Juifs. Et je me disais, en écoutant les applaudissements, que la présence du yiddish – ou du judéo-arabe, ou du judéo-espagnol – ne fait que renforcer une telle profession de foi.
À l’identité juive s’ajoute, par ailleurs, une identité universelle. Sans être grand physionomiste, on pouvait deviner lundi soir que les spectateurs n’étaient pas tous juifs. Et Talila nous a raconté comment, avec Teddy Lasry, elle est allée enseigner des chansons en yiddish à des petits écoliers de Bourg-en-Bresse qui n’avaient jamais vu un Juif de leur vie. Bourg-en-Bresse, rappela-t-elle, n’est pas très loin d’Izieu, où en 1944 des enfants juifs ont à jamais cessé de chanter.
C’est ainsi que la parole s’entretient et que l’identité se transmet. Identité yiddish, identité juive, identité humaine. Tout cela par la grâce de quelques chansons.
Billet diffusé sur RCJ le 1er décembre 2010
Photo : D.R.