Ce texte est publié dans la rubrique Tribunes Libres réservée aux commentaires issus de la presse. Les auteurs expriment ici leurs propres positions, qui peuvent être différentes de celles du CRIF.
Le 3 novembre 2011 dernier, Gilles-William Goldnadel dénonçait la subjectivité de l'émission de France 2 "Un œil sur la planète" dans son reportage consacré au conflit israélo-palestinien. L'avocat rend aujourd'hui publique la réponse des dirigeants de la chaîne... et persiste et signe.
J'avais annoncé que je ferai connaître la réponse qu'a faite Thierry Thuillier, es qualité de Directeur Général adjoint en charge des rédactions de France Télévision à la critique à laquelle je me suis livré de ce reportage controversé. Ci-après, en conséquence, ladite réponse agrémentée de mes commentaires…
Pour plus de clarté, avant cela, je rappelle que le point central de ma critique portait sur le fait, qu'à l'intérieur de l'émission incriminée, avait été diffusé et commenté un reportage n'émanant pas directement des journalistes de France 2 mais d'un tiers.
Ce document mettait en cause gravement l'armée israélienne en ce que, tout en montrant des images peu démonstratives, il était assorti à son appui d'un commentaire de France 2 dans lequel il était affirmé que des soldats israéliens tiraient à vue sur des agriculteurs palestiniens désarmés.
Alors que, pour seule source de ce document, il était indiqué qu'il émanait d'une « ONG internationale », renseignements pris, il avait été réalisé, avais-je écrit, par une organisation extrémiste palestinienne à l'objet délibérément propagandiste. Je considérais donc que cette dissimulation permettait d'accroître le crédit et la fiabilité d'un document accusateur invérifié.
Ci-après, en conséquence, la réponse (datée du 22 novembre 2011), puis, mon analyse.
« Monsieur le Président,
Nous avons lu avec attention votre courrier du 24 octobre 2011 et vous répondons comme il se doit.
Nous ne souhaitons pas entretenir la polémique et acceptons la critique, mais nous jugeons vos propos excessifs.
Ainsi, vous pointez « un déséquilibre flagrant de point de vue opposant les tenants de la politique israélienne à leurs contradicteurs. »
Deux remarques, si vous le permettez :
- Le déséquilibre est visiblement apprécié de très diverses manières :
5% de temps de parole octroyé aux tenants de la politique israélienne dites-vous dans votre courrier, 20% nous a écrit le CRIF.
- Mais surtout le thème de l'émission n'était pas « Israël-Palestine, quel avenir ? » mais « Un état palestinien est-il encore possible ? ». Il n'est donc pas étonnant, que, de fait, la très grande majorité des intervenants soient palestiniens.
Pour mémoire, je vous rappelle que dans un précédent numéro d'un Œil sur la planète consacré à Israël et diffusé en février 2004, l'ensemble (100%) des intervenants étaient des citoyens israéliens. »
Mes commentaires :
Ma critique principale était loin de porter sur l’aspect déséquilibré de l’émission, mais puisque Thierry Thuillier y revient, j’observe :
La différence d’évaluation entre le CRIF et nous mêmes porte sur le fait que nous n’avons comptabilisé dans les 5% que les points de vue « pro israéliens », ne comptabilisant pas les israéliens hyper-critiques ou antisionistes. Mais j’accepte la remarque de France Télévision sur ce point. Pour autant 20%, ce n’est pas beaucoup…
En ce qui concerne le fait que la thématique « Un état palestinien est-il encore possible ? » serait réservée aux seuls commentaires des arabes palestiniens, qu’il me soit permis d’en être étonné compte tenu des enjeux politiques et sécuritaires pour la partie israélienne.
Enfin, Thierry Thuillier croit devoir rappeler un précédent numéro d’un «Œil sur la planète » consacré à Israël diffusé en 2004.
Là encore, parmi les 100% des israéliens consultés, la majorité était constituée par la minorité hyper-critique précitée.
Mais surtout, puisque Thierry Thuillier croit devoir revenir sur cette émission de 2004, il m’invite, en conséquence, à en rappeler le caractère littéralement calamiteux qui avait obligé, déjà, France Télévision à présenter ses excuses, en suite d’une désinformation commise au détriment de la partie israélienne.
Je rappellerai qu’en substance, les réalisateurs de « Un Œil sur la Planète » avaient prétendu que trois enfants palestiniens avaient été tués au check-point de Kalandia par des soldats israéliens, pour avoir seulement secoué une clôture…
Cette information présentait malheureusement l’inconvénient d’être dénuée de toute réalité.
C’est dans ces conditions que PRIMO EUROPE, association apolitique non confessionnelle qui lutte contre la désinformation dans les médias s’était adressée à Arlette Chabot, directrice de l’information de France 2, et avait ensuite interpellé le C.S.A.
Le 23 juin 2004, son président, Dominique Baudis, écrivait en substance au responsable de l’association PRIMO : « En tout état de cause, si les auteurs du reportage ont pris conscience d’avoir laissé diffuser une affirmation prêtant à contestation, les modalités permettant de la corriger après coup ne sont guère faciles à trouver. Vous mentionnez que Monsieur Thuillier a admis son erreur au cours de l’émission « L’hebdo du médiateur », ce qui va bien dans le sens de la correction souhaitée.
Cette démarche, de même que les conditions toujours difficiles de réalisation de tels reportages et leur qualité d’ensemble, conduisent le Conseil à estimer qu’il n’y a pas eu intentionnalité de tromper le public.
A toutes fins utiles, je transmets au Directeur Général de France 2 copie de votre courrier ainsi que de la présente réponse, en lui rappelant de veiller à respecter l’esprit de recommandation du C.S.A. qui enjoint au diffuseur d’être très attentif dans leur traitement de l’information sur de tels sujets. »
Il résulte, en conséquence de ce qui précède, que déjà lors de l’émission de 2004 consacrée à une thématique voisine, et que Monsieur Thuillier son réalisateur, croit étrangement devoir mettre en exergue, un grave manquement à une information responsable avait été commis. Le C.S.A., tout en se montant clément, avait attiré l’attention des réalisateurs.
On pouvait espérer que la leçon serait retenue et que les mêmes réalisateurs feraient montre de davantage de circonspection. Peine perdue ! Même cause pro palestinienne, même effet anti israélien…
« Vous vous interrogez par ailleurs sur la diffusion d’images appartenant à l’ONG ʺInternational Solidarity Movementʺ que vous qualifiez ʺd’organisation extrémiste palestinienne à l’objet délibérément propagandisteʺ.
Nous n’avons pas cherché à dissimuler l’origine des images puisque nous avons signalé aux téléspectateurs d’où vient le document (incrustations à l’antenne) ».
Mais nous voudrions plus généralement vous interpeler, Monsieur le Président, sur le fait élémentaire que ce n’est pas parce que les télévisions du monde entier sont amenées à diffuser des images de propagandes (camps d’entrainement d’Al Qaïda, Ben Laden, ETA, etc.) qu’elles soutiennent ces causes.
Si nous avons diffusé ces images, c’est parce qu’elles contiennent des informations.
L’auteur du reportage déclare à l’appui de cette séquence que les soldats israéliens peuvent (1) tirer à vue sur les paysans palestiniens qui pénètrent à l’intérieur d’une zone ʺtamponʺ de 300 mètres de large, en lisière de frontière.
Cette affirmation n’a rien de ʺpéremptoireʺ, c’est un fait établi, reconnu par plusieurs rapports.
Quand à l’ONG en question, elle regroupe des pacifistes palestiniens et internationaux. L’ONG ISM est basée à Ramallah pour des raisons d’efficacité ;
Ce positionnement géographique altèrerait-il la véracité des faits énoncés ?
Nous ne croyons pas.
Dernier élément, d’autres associations, israéliennes celles-ci, fournissent des comptes rendus détaillés des incidents survenus dans les territoires palestiniens. Nous tenons leurs coordonnées à votre disposition. »
Mes commentaires :
1°) Ainsi, ma description de l’Association palestinienne serait subjective et, en réalité, il s’agirait d’une organisation internationale composée de pacifistes…
J’invite donc toutes les personnes de bonne volonté et de bonne foi à visiter le site de « L’international Solidarity Movement » : dès sa page d’accueil, l’ISM se présente de la manière suivante « International Solidarity Movement est une organisation non gouvernementale palestinienne militant pour la fin de l’occupation sioniste en Palestine ». Cette ambigüité se retrouve dans la plupart des textes figurant sur le site. Israël n’étant le plus souvent désigné que sous l’expression « L’Etat sioniste » ou encore « L’ennemi sioniste ».
Dans un article du 18 juillet 2011 intitulé : « Etat juif signifie racisme juif, fascisme juif et même nazisme juif », l’ISM dénie tous droits aux juifs de constituer un Etat.
L’ISM soutient également la campagne BDS de boycott des produits israéliens. Les militants de l’ISM affirment tout à la fois organiser des actions non violentes mais légitiment dans le même temps la violence par les armes : « Nous reconnaissons aux palestiniens le droit de résister à la violence israélienne et à l’occupation par tous moyens armés légitimes. Cependant, nous pensons que le non violence peut-être une arme puissante pour combattre l’oppression et nous nous sommes engagés sur des principes de résistance non violente. » (charte de l’ISM).
L’échange du « criminel Guilad Shalit » contre « 1027 combattants » est présenté comme « une victoire de la résistance » (12 octobre 2011).
Un autre article daté du 15 octobre 2011, reprenant une déclaration du chef du Hamas Khaled Meschaal, qualifie « la libération des prisonniers » de « fruit de la lutte armée ».
13 octobre 2011, le site ISM a traduit et publié un communiqué des brigades Ezedine Al Qassam (branche armée du Hamas) intitulé « Shalit ne sera pas le dernier » et appelant à de futurs kidnapping de soldats israéliens.
L’ISM est également partenaire de la campagne pour la libération du terroriste pro palestinien Georges Ibrahim Abdallah qui purge une peine de prison à perpétuité en France.
Le terrorisme palestinien est minimisé voire nié, toujours présenté sous le vocable « lutte armée » : « la réponse palestinienne depuis des années s’est traduite par quelques tentatives de lutte armée (ce qui est leur droit) mais fut principalement des protestations pacifiques, des manifestations et des appels devant les tribunaux israéliens. »
L’ISM soutient les derniers attentats sanglants qui ont visé des israéliens : le 19 août 2011, au lendemain de l’attaque sanglante de deux autobus et d’une voiture sur une route d’Eilat ayant fait 8 morts dont 5 civils israéliens, l’ISM a publié deux articles intitulés :
- « Un commando de fedayin frappe l’ennemi sur son flanc sud-est : le cauchemar des sionistes se précise »
- « Les Palestiniens et leurs frères arabes des pays alentours s’organisent et entament la guerre de libération pour récupérer la terre usurpée et le droit à la souveraineté nationale ».
L’ISM reprend les analyses du Hamas contre l’Autorité palestinienne :
Le 15 août 2011, l’ISM publie un article du journaliste palestinien Khaled Amayre intitulé « les gesticulations oiseuses de l’Autorité palestinienne » qui condamne la politique de Mahmoud Abbas.
Le 21 janvier 2009, l’ISM avait publié un communiqué pour saluer la libération de Khaled Amayre, détenu par l’autorité palestinienne en raison de ses liens avec le Hamas. Dans ce communiqué, l’ISM se félicitait que : « la collaboration de l’Autorité Palestinienne avec l’ennemi sioniste et ses rafles parmi les partisans du Hamas, a été arrêtée par les milices d’Abbas ».
D’une manière générale, la consultation du site de l’ISM permet de constater sa totale identité de vues avec le Hamas et l’on peut affirmer sans craindre de se tromper que l’ONG constitue l’un des relais d’opinion de l’organisation islamiste, considérée comme une organisation terroriste par l’Union Européenne.
L’ISM affiche clairement ses méthodes : l’instrumentalisation des médias :
Le document vidéo remis à France 2 s’inscrit sans ambigüité dans la stratégie de promotions des thèses extrémistes de l’ONG et de diabolisation d’Israël.
Le point 2 des « missions » que se fixe l’ISM indique clairement :
« Mettre la pression sur les médias pour qu’ils se focalisent sur l’illégalité et la brutalité de l’Occupation, et ainsi changer l’opinion publique pour qu’elle demande à Israël de respecter la loi internationale, et que l’Amérique cesse de financer Israël avec ses milliards de dollars chaque année. »
En conséquence de ce qui précède, qui dit la vérité, qui raconte des histoires ? Celui qui a présenté cette association comme « une organisation extrémiste palestinienne à l’objet délibérément propagandiste » ou un journaliste du service public qui prétend être sérieux et qui la présente, de manière consternante, comme « une ONG qui regroupe des pacifistes palestiniens internationaux, basée à Ramallah pour des raisons d’efficacité ».
Sur le fond, à la lecture des explications de Monsieur Thuillier, il est à remarquer deux éléments fondamentaux :
- France 2 ne prétend toujours pas avoir vérifié le document incriminé.
- Aujourd’hui, dans un mouvement implicite de retraite, France 2 n’affirme plus que ce document établissait que des israéliens tiraient à vue sur des palestiniens désarmés, mais qu’ils « pouvaient le faire », ce qui rappelle, si le sujet prêtait à rire, le célèbre sketch de Pierre Dac… Or, après réécoute du script complet de la séquence litigieuse avec descriptif des images, et contrairement à ce que dit Th. Thuillier, le commentaire ne fait pas qu’affirmer que « l’armée israélienne peut tirer » à trois reprises, en effet, il est indiqué dans le commentaire péremptoire des journalistes de France 2 : « l’armée israélienne qui tire à vue sur quiconque y pénètre »
- « L’armée israélienne peut alors tirer à vue », « Malgré les annonces, l’armée ouvre le feu »,
- Sans oublier la dernière réflexion du militant de l’ISM : « pourquoi vous nous tirez dessus ? ».
Je maintiens, de plus fort, encore, mes accusations : en dissimulant l’identité et surtout la nature d’une association engagée (ce qui est bien son droit) en maintenant, contre toute évidence, cette attitude aujourd’hui encore, France 2 et Thierry Thuillier ont donné délibérément du crédit à un document vidéo qui leur a été remis et qui s’inscrit pourtant sans ambigüité dans la stratégie de promotion des thèses extrémistes de l’ONG et de la diabolisation d’Israël.
En guise de triste conclusion provisoire, je suis conduit à observer qu’il existe une sorte de technique de défense des journalistes de France 2, lorsque leurs affirmations trop rapides, soit par facilité, soit par inclinaison idéologique sommaire, par empathie à l’emporte-pièce, les conduisent à accuser sommairement et sans preuves toujours le même protagoniste : l’esquive par la généralisation. Ainsi, lors du reportage de 2004, Thierry Thuillier et ses amis avaient plaidé auprès du C.S.A. que certes, trois enfants palestiniens n’étaient pas morts comme affirmé lors du reportage, mais que cela était déjà arrivé…
Ainsi, encore, il est intéressant d’analyser l’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 21 mai 2008 qui a sévèrement débouté Charles Enderlin (qui a également participé à l’émission incriminée) de sa réclamation à l’encontre de Karsenty à propos de l’affaire du « petit Mohamed ». Parmi les reproches des juges, d’une sévérité exceptionnelle, on trouve celui d’avoir tenté de justifier abusivement et a postériori son affirmation péremptoire de ce que les tirs meurtriers provenaient de la partie israélienne, ce que Arlette Chabot, directrice de France 2 a reconnu depuis comme rien moins qu’établi : « en répondant...dans le Figaro du 27 janvier 2005 que l' ʺimage correspondait à la réalité de la situation non seulement à Gaza mais aussi en Cisjordanie,ʺ alors que la définition d'un reportage s'entend comme le témoignage de ce que le journaliste a vu et entendu, Charles Enderlin a reconnu que le film qui a fait le tour du monde en entraînant des violences sans précédent dans toute la région ne correspondait peut être pas au commentaire qu'il avait donné »
Mais, là encore, et ainsi que le constatait avec résignation le président du C.S.A., le mal était fait… Dois-je rappeler que le journaliste Daniel Pearl a été égorgé au pied de la photo du petit Mohamed ?
Je pose en conséquence une dernière question, existerait-t-il une sorte de spécificité du service public de l’information nationale (qui ne concerne pas que le Proche-Orient), qui ferait que, non content de ne pas méditer les erreurs du passé, il se sentirait en droit, sinon en devoir, de les réitérer sans fin quitte, au passage, à caricaturer ceux qui, décidément, n’arrivent à accepter ni l’esprit de système, ni l’esprit de caste ?
Photo (Gilles William Goldnadel) : D.R.