En août 1942, les arrestations se multipliant, mon père m'envoie à Tours pour passer en zone libre, avec des cousins. À Chisseaux (Indre-et-Loire), on doit passer par un déversoir sur le Cher, mais une patrouille allemande arrive et nous emmène. D'abord à la prison de Tours, où les enfants et les femmes sont mis à part.
Les hommes se retrouvent au camp de Monts, d'où je m'évade au bout de quinze jours. En plein jour, avec deux camarades, nous passons sous deux rangs de barbelés de ce camp gardé par des gendarmes français. Le père d'un de mes collègues n'a pas voulu venir. Plus tard, il est mort en Allemagne. Sortis, on prend d'énormes précautions pour rejoindre la ligne de démarcation. Des fermiers à qui nous disons être des prisonniers évadés d'Allemagne (sourire) nous donnent des fourches pour qu'on se fonde dans le paysage. Le commissaire de Loches, un résistant, me fournit des faux papiers et envoie un passeur pour que ma famille me rejoigne.
Mon grand-père préfère rester dans l'Orne : « J'ai 70 ans, j'ai fait la guerre de 14, on va me laisser tranquille ! » Quelques mois plus tard, il est mort en déportation. À Argentan, plusieurs juifs ont été dénoncés pendant l'été 1942. Certains ont été raflés, ont disparu à Auschwitz. Moi j'ai eu de la chance. C'est vrai, je l'ai provoquée. Je suis né sous une bonne étoile. »
Propos recueillis par François Boscher (article publié sur ouest-France.fr, le 20 mars 2010)
Photo (Bernard Elias) : D.R.