Tribune
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Publié le 12 Mars 2010

Juifs de Pologne, de France et du Nord - Pas-de-Calais

Charles et Arlette Testyler ont fait le voyage de la douleur et de la mémoire, à Auschwitz, Birkenaü et Majdanek. C'est leur dernier. Ils l'ont fait avec leur ami également rescapé, Coco Fainzang. Récit et confidences aux confins de l'Europe.




Le repas du soir dans un restaurant juif de Cracovie, touche à sa fin. Charles Testyler murmure : « Les Polonais auront toujours besoin des Juifs et les Juifs des Polonais. C'est comme ça depuis mille ans... » Alors que vient de débuter le colloque Mille ans de Juifs en Pologne, il nous a semblé intéressant et utile de retourner dans ce pays.
Avec les derniers témoins de l'époque la plus pénible, celle de 1939 à 1945, nous avons tenté de comprendre le rapport polono-juif tant imprégné de clichés.



Qui mieux que Charles Testyler, Juif né en Pologne en 1927 à Sosnowiec, battu, torturé, humilié, puis chef d'entreprise français, pour partager les sentiments les plus profonds ? Peut-être son ami Jules Fainzang, dit Coco, né en 1922 à Varsovie. Avec ces deux hommes hors normes, nous avons parcouru cette Pologne de la douleur, d'Auschwitz à Majdanek.



Quand Charles est retourné en 1995 (avec sa femme Arlette, raflée au Vel' d'Hiv') à Slawkow, le village où il a grandi, une vieille Polonaise est sortie en courant vers lui, tout en se signant trois fois : « Un Testyler vivant, c'est un miracle ! » Plus de cinquante ans après, elle le reconnaît. L'émotion est énorme. Ces retrouvailles exceptionnelles vont donner des ailes au couple Testyler. Le père de Charles était le président élu de la communauté juive de Slawkow. Il y dirigeait la plus grande entreprise métallurgique, ainsi qu'un journal en yiddish. La vie était sereine jusqu'à l'agression nazie de 1939 sur la Pologne.



Déporté, humilié et affamé, Charles survivra à sept camps de travail et de la mort. Comment ? Il ne le sait pas lui-même. Probablement grâce à une rage de vivre rare. Après des errements dans toute l'Europe, sans le sou, il apprend que la soeur de sa mère, Tani, vit en France depuis 1922, à Lenz. En fait, c'est dans le Pas-de-Calais, à Lens, rue du Stade. Le contact est renoué mais Charles construit sa nouvelle vie à Paris, avec Arlette.



Artisan, puis industriel textile, il négociera avec les plus grands du Nord, la Lainière, Cauliez-Delahoutre, Vandeputte. Il alimentera en vêtements les commerçants polonais du bassin minier nordiste. Pologne, France, Nord - Pas-de-Calais, tout semble attirer sans cesse Charles dans cet espace.



Mission accomplie



Aujourd'hui, il se sent apaisé, tout en étant sans cesse sur ses gardes. Un gardien polonais qui refusait de lui ouvrir les portes des fours crématoires de Majdanek s'en souvient encore... Mais Charles a accompli sa mission. Il est revenu dans le village de son enfance, en Pologne, où la vie de son père est mise en valeur au musée. Il y est toujours accueilli comme un roi par les autorités. Il a déposé sur deux monuments une gerbe de fleurs aux couleurs d'Israël, offerte par la municipalité de Slawkow.



Son association de vigilance et de mémoire a accompli le travail : informer les jeunes sur ce qui s'est passé dans les camps, pendant ce XXe siècle terrible. Son vieux complice, Jules, après avoir vécu à Varsovie, en Palestine puis en Belgique avant ces événements, a connu également les camps. À 88 ans, il fait régulièrement des voyages avec des jeunes pour expliquer l'inexplicable. Après la guerre, il a créé son entreprise de dépannage de téléviseurs, en région parisienne où il vit toujours.



Charles et Jules ont souvent marché bras dessus, bras dessous la semaine dernière, échangeant intimement leurs sentiments.



Il restera de cette semaine particulière cette phrase de Charles sur les Polonais et les Juifs. Pendant plusieurs jours, l'université Lille III tentera de vérifier la justesse de son propos.



Par Henri Dudzinski (article publié dans l’édition de la Voix du Nord du mercredi 10 mars 2010)



Photo : D.R.