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Dès le lendemain de la manifestation du 14 février, le Journal du Dimanche racontait en effet : « Une femme hurle dans un micro : Résistance de Bagdad à Gaza. Rejoignez vos frères combattants. De nombreux drapeaux palestiniens s’agitent. Et sur tous les tons : Bush Sharon assassins. Quelques personnes s’en offusquent, dénonçant une récupération de cette marche pacifiste. Le cortège descend vers la Seine. Un homme sort d’un café en criant ; Et Saddam Hussein, hein, vous en faites quoi de Saddam ? Les manifestants se regardent : ils ont oublié les slogans contre le dictateur irakien ».
Comme la plupart des hebdomadaires, le Nouvel Observateur consacre dans sa livraison du 27 février un dossier à la probable guerre, dont un article sur le projet américain. Claude ASKOLOVITCH s’intéresse lui à « Ces Français qui choisissent l’Amérique ». « Aujourd’hui » dit ce journaliste, « Goupil se retrouve dans le camp d’Alain Madelin – qui baroudait à Occident quand lui faisait le coup de poing à la LCR. Etranges détours » et plus loin, « Madelin la semaine dernière, visitait le Kurdistan irakien comme on allait soutenir, jadis, les dissidents du bloc soviétique ». Comment ne pas rapprocher ce commentaire de l’article du Figaro du 22 février relatant l’arrivée en Irak de « boucliers humains », qui note : « Les boucliers humains ont été précédés de quelques semaines à Bagdad par Jeannie Le Pen et Alain Krivine. (…) La politique fait d'étranges compagnons de lit!, commente une militante de Boucliers humains ».
Ce n’est pas le dossier sur l’Irak qui a retenu notre attention dans le dernier numéro de l’Express (27 février) mais l’entretien avec l’économiste libanais Georges CORM qui affirme « L’Occident a planté les graines de la violence » au Moyen-Orient. On pourrait abonder dans son sens s’il ne commettait pas au passage quelques grossières erreurs historiques. Ainsi quand il affirme qu’en 1917, Lord Balfour avait assuré « que la Palestine irait aux communautés juives d’Europe », alors que la déclaration Balfour disait seulement : « Le gouvernement de Sa Majesté envisage favorablement l'établissement en Palestine d'un foyer national pour le peuple juif, et emploiera tous ses efforts pour faciliter la réalisation de cet objectif, étant clairement entendu que rien ne sera fait qui puisse porter atteinte ni aux droits civils et religieux des collectivités non juives existant en Palestine, ni aux droits et au statut politique dont les juifs jouissent dans tout autre pays. » Ce qui avouons le n’est pas exactement la même chose ! Il affirme ensuite que « En Palestine, la Grande-Bretagne met en place des structures communautaires juives, embryons d’Etat ». Pourtant, dit-il encore, « il n’y a pas d’hostilité à une présence juive et une immigration modérée ». Selon lui, en 1948, l’ONU demande l’internationalisation de Jérusalem et garantit aux Palestiniens expulsés un droit au retour qui ne sera pas respecté ». De fait, la résolution 194 (on peut en voir le texte sur le site www.Proche-Orient.info ) est une base de discussion mais elle définit la formation d’une « commission de conciliation » chargée d’organiser les modalités pour arriver aux différentes recommandations. Cette commission n’aboutit à rien du fait du refus des Arabes de rencontrer les délégués israéliens. Enfin, il rejette sur Israël la responsabilité de la guerre civile libanaise.
Le 27 janvier, Luc FERRY et Xavier DARCOS ont présenté des mesures pour lutter contre le racisme et l’antisémitisme dans les établissements scolaires. Les relations qui en sont faites dans Le Parisien, le Monde et l’Humanité montrent bien les approches différentes du problème. Pour le Parisien qui revient sur le cas de ce collégien obligé de changer d’école et sur les difficultés d’enseigner la Shoah, il n’y a aucun doute, les faits existent et en banlieue il y a, selon un professeur, « résurgence d’un discours antisémite tenu par une partie de la communauté maghrébine » au sujet duquel « fermer les yeux c’est la pire des choses ».
Le Monde est plus nuancé et oscille entre constat des violences, désir de relativiser et tentatives d’explications : « Des lycéens juifs insultés, humiliés, voire frappés par des condisciples d'origine maghrébine, des ruptures démonstratives du jeûne en classe durant le ramadan, des enseignants pris à partie par des élèves contestant - au titre d'une appartenance ethnique ou religieuse - le contenu des cours, des écoliers noirs qui affirment à l'entrée dans l'enseignement primaire : Ici, c'est l'école du Black Power », « les témoignages d'enseignants d'un même secteur géographique se révèlent parfois contradictoires », « La population scolaire d'origine maghrébine doit souvent à la politique urbaine de se retrouver très concentrée dans certains établissements. Peut-on lui reprocher dans ces conditions une attitude communautaire ? », et une enseignante affirme : « Mes élèves ont un souci de réussir plus fort que jamais, dit-elle. La question de l'intégration, c'est la société qui la leur renvoie. Quant aux dérapages de langage, ils existent, mais est-ce du racisme ? ».
L’Humanité, qui titre pourtant « A l’école de la citoyenneté », a choisi : si on parle de ça aujourd’hui, c’est de la faute du CRIF ! « Ce dispositif, qui sera détaillé aujourd'hui, intervient dans un contexte pour le moins particulier. Emaillée par une série d'incidents à caractère raciste, l'actualité aura été marquée par la motion du conseil d'administration de Paris-VI suivie de manifestations violentes de la part des extrémistes pro-Sharon et des déclarations proprement scandaleuses du président du CRIF ». Rappelons qu’il n’y a eu qu’une seule manifestation contre le boycott, qu’elle n’a donné lieu à aucun débordement et que l’UNEF et Shalom Arshav – qui sont tout sauf des extrémistes pro-Sharon - en était partie prenante ; mais le quotidien communiste n’en a cure quand il s’agit de dénoncer les extrémistes juifs, alors même qu’il donne la parole sur la même page à Mouloud AOUNIT du MRAP s’en prenant à « un discours qui stigmatise une population déjà meurtrie par des stéréotypes ». Moyennant quoi, Sébastien Homer cite Françoise DUMONT de la FSU : « Et si l'on assiste à une banalisation inquiétante des propos à caractère discriminatoire, il ne faut pas oublier que, derrière un acte raciste, il y a bien souvent autre chose, des problèmes liés aux origines sociales, des problèmes comportementaux », ouis à Karima DIRECHE-SLIMANI de l’Institut de recherches et d’études sur le monde arabe et musulman : « Si l'on parlait plutôt de la précarisation, des injustices et de la déliquescence sociales. " Pour cette historienne, " les problèmes de racisme et d'antisémitisme sont liés à d'autres problèmes. J'ai enseigné dans des classes où 90 % des élèves étaient d'origine maghrébine, comorienne. Les insultes racistes fusaient. Mais n'avaient pas la même signification que pour nous, adultes ».
Après le Monde qui proposait le 19 février des tribunes sur l’antisémitisme signées de Stéphane MOSES et de Alain CHOURAQUI, c’est au tour du Figaro du 27 d’en débattre avec un textes de Jean KAHN mais aussi avec l’entretien d’Elisabeth LEVY et Jacques TARNERO sur le traitement du conflit israélo-palestinien par les médias ou avec celui de Charles SZLAKMAN qui pose la question de Israël « Juif des Nations »
On ne peut terminer sans s’arrêter sur le Figaro Littéraire de cette semaine. On y trouve un entretien avec Tariq RAMADAN qui affirme « Je refuse le communautarisme », une présentation du roman de Jonathan SAFRAN FOER « Tout est illuminé », voyage à la découverte du Shtetl ancestral, et cette interrogation sur le rôle de l’historien comme témoin dans les prétoires à partir d’un ouvrage d’Olivier DUMOULIN. Notons encore cet article d’Alexis LACROIX sur Walter BENJAMIN, ce « Juif de Hegel » à l’occasion de la parution chez Folio de ses Ecrits français. A tout cela, il faut ajouter une critique sans appel du livre de Joss DRAY et Denis SIEFFERT, La guerre israélienne de l’information : « La guerre israélienne de l’information multiplie les dérapages. Hantés par le « complot », les auteurs signent un compendium de violence idéologique, reprochant notamment à certains intellectuels français de faire le jeu d’Ariel Sharon en accréditant la « thèse » des « concessions généreuses » d’Israël ».
Anne Lifshitz-Krams