Un réseau :
Depuis quelques années, Dieudonné joue constamment sur le registre de la provocation, de la caricature obscène et de l’insulte, en invitant par exemple le négationniste Robert Faurisson, sur la scène du Zénith (le 26 décembre 2008), ou en comparant la Shoah à une « pornographie mémorielle » (à Alger, le 16 février 2005). Il laisse aussi le soin à ses amis d’accumuler les provocations à même de susciter des réactions et de leur permettre de se présenter en victimes du « sionisme » (entendre par là, des Juifs).
De toute évidence, Dieudonné n’a pas simplement pour but de se faire un nom et une réputation il mène une stratégie politique. Il est aussi encouragé par Alain Soral (ex communiste devenu conseiller de Jean-Marie Le Pen, avant de quitter le FN, pour rejoindre Dieudonné), qui sait allier lui aussi stratégie et méthodologie afin de susciter des réactions, et de jeter l’opprobre sur les Juifs. Dieudonné c’est aussi la synthèse entre des militants qui proviennent de l’extrême-droite, (notamment du Front national, comme Cyrille Rey-Coquais (1) ou Michaël Guérin(2)) et d’autres qui sont issus plus ou moins de quelques mouvances de l’extrême-gauche.
Le 21 mars 2009, Dieudonné annonce, lors d’une conférence de presse organisée au Théâtre de la Main d'Or, dont il est le propriétaire, qu’il entend conduire, pour les élections européennes du 7 juin, une liste de 26 noms dans la circonscription Île-de-France. Durant sa conférence de presse, Dieudonné met l’accent sur le caractère anti communautariste, mais surtout antisioniste de sa candidature, accusant les « esclavagistes » du « système sioniste » de dominer la métropole tout comme le feraient les Békés (blancs) en Martinique.
Le 7 juin 2009, cette liste réalise un score de 1,30% (en Ile-de-France), soit 36.601 voix. C’est en Seine Saint-Denis que la liste de Dieudonné a réalisé son meilleur score avec 2,83% : Val d'Oise : 1,60% ; Val de Marne : 1,47% ; Hauts-de-Seine : 1,37% ; Dans Paris intramuros, son score atteint 1,02 % ; Essonne : 1,03% ; Seine-et-Marne (0,97%) ; Yvelines (0,88%). A Paris, c’est dans les arrondissements les plus populaires de la capitale (est et nord) que la liste antisioniste obtient ces meilleurs résultats. Dans deux arrondissements (XIXe, XXe), la liste Dieudonné dépasse les 1,5%, dans le XVIIIe arrondissement et dans le XIIIe, elle dépasse les 1,0%. Son meilleur score est atteint à Gennevilliers où elle obtient 6,35 % des voix (3).
Lors de la Campagne européenne de 2009, Claude Guillon a déclaré que les propos antisionistes de Dieudonné ne se situaient pas « dans le registre de la dérision ou de la provocation, mais dans celui de la perversité, ce qui n’est pas une catégorie morale mais clinique (4).»
En novembre 2009, en déplacement à Téhéran pour assister à un festival du court-métrage, Dieudonné a été reçu par le président iranien Mahmoud Ahmadinejad. Lors d'une conférence de presse, il a déclaré avoir reçu des fonds en Iran pour son « combat culturel » contre le sionisme : « Nous avons reçu un budget important qui nous permet de faire des films à la hauteur de ceux d'Hollywood qui est le bras armé de la culture sioniste », déclare-t-il (5).
Mentionnons aussi ce dernier point : le 13 avril 2010, Seyed Mehdi Miraboutalebi, l’ambassadeur de la République islamique d’Iran à Paris, « pour approfondir les relations entre les deux peuples » et « parce que les médias injectent des idées préconçues dans les opinions publiques », se prête à un jeu de questions-réponses dans un bar à vin parisien du 5e arrondissement (qui, pour l’occasion, ne servait pas d’alcool) tenu par un ex-militant du Renouveau Français (groupe pétainiste et antisémite), ex-colistier de la liste antisioniste de Dieudonné, très proche des hooligans du PSG et des ultranationalistes serbes, rapportent Abel Mestre et Caroline Monnot, journalistes au Monde (article publié sur droites-extremes.blog.lemonde.fr.
Cette “causerie” était organisée par le journal Flash, le bimensuel d’une extrême droite qui se veut “altermondialiste” et dans lequel écrivent, entre autres, Christian Bouchet, Philippe Randa, Alain Soral et Alain de Benoist. Ce dernier était d’ailleurs aux côtés de l’ambassadeur. Dans la salle, se trouvaient des têtes bien connues du milieu. Marc George, ex-secrétaire général d’Egalité et Réconciliation, Jacques Bordes, nationaliste-révolutionnaire, proche de feu François Duprat et très introduit dans certains cercles du Proche-Orient, Thomas Werlet du Parti solidaire français, groupuscule “nationaliste-socialiste“, Pierre Panet, ami de Dieudonné et auteur d’un texte intitulé “Faurisson, un humaniste”.
Des liens :
Kémi Séba (de son vrai nom Stellio Gilles Robert) a été le leader de la Tribu Ka, mouvement noir radical s’appuyant sur la spiritualité Kémitique. Lors d’un voyage à Los Angeles, Kemi Seba (qui avait 18 ans) avait assisté à un meeting de la Nation Of Islam de Louis Farrakhan, à la mosquée 27, dirigée par Tony Muhammad.
De retour en France, Séba assiste à un meeting de Nation of Islam à Paris, dirigé par Karim D. Muhammad. A l’âge de 19 ans, Séba intègre les Blacks Muslims en France. Un peu plus tard, il quitte Nation of Islam, parce qu’il pense que l’Islam n’est pas la solution et qu’il serait contre les Noirs « Le problème, c’est que l’Islam fait partie de la matrice sémito-centriste et que cette matrice est de par son essence même contre nous », explique-t-il.
Par ailleurs, il entre en conflit avec Karim D. Muhammad, le représentant de Nation of Islam en France. Il forge alors sa propre opinion estimant « qu’un noir chrétien, musulman et autres ne peut pas lutter correctement pour son peuple ». Il faut dépasser le combat de Malcom X, et Lubumba… Kémi Séba en arrive à rejeter tous les monothéismes. Il entame ensuite des cours du soir à la Faculté de Nanterre, en capacité en droit. Il rencontre 3 personnes (Evens, Raheem, Joce) et en décembre 2002, il fonde le Parti Kemite (la tribu KA), organisation de défense du peuple noir.
La Tribu KA sera dissoute en juillet 2006 sur décision du Conseil des ministres à la suite d'incidents à caractère antisémite qui avaient éclaté deux mois plus tôt à Paris lors d'une manifestation du groupuscule au cœur du quartier juif. Qu’à cela ne tienne, Kémi Seba fonde alors « Jeunesse Kémi Seba. » Cette nouvelle organisation sera à sont tour dissoute le 13 juillet 2009, (par le ministre de l'Intérieur, Brice Hortefeux (6).
Le 22 mars 2008 Kémi Seba lance une nouvelle organisation : le Mouvement des Damnés de l’Impérialisme (MDI). Kémi Séba vient de réaliser une opération politique assez intéressante : rallier à son organisation une partie des déçus de la mouvance Dieudonné.
En effet, le MDI vient de récupérer Ginette Skandrani, qui fut candidate sur la Liste antisioniste aux élections européennes. Plus nouveau : l'arrivée au sein du mouvement de Serge Thion, qui participait en décembre 2006 à la conférence négationniste de Téhéran. Ancien chercheur au CNRS, exclu de cette institution en 2000, cet ancien militant de l'ultra-gauche est considéré comme étant l'un des fondateurs du plus gros site francophone diffusant les idées négationnistes, l'AAARGH.
Enfin, le MDI a une branche spécifiquement vouée au militantisme pour promouvoir son programme de séparation raciale. Celle-ci est prise en mains par Thomas Tribout, alias Thomas Demada. Ancien militant d’un groupe d'extrême-droite, dirigé par Alain Soral, Egalité et Réconciliation, également passé par le groupe nationaliste-révolutionnaire Réseau Radical, Tribout avait collaboré en 2007 au site antisémite de La Banlieue s'exprime, autre pilier du réseau Dieudonné. A noter enfin qu’en juillet 2008, Kémi Seba se convertit à l'islam après son séjour en prison et affirme avoir abandonné ses références « suprémacistes » au profit d'une vision « ethno-différencialiste », ne pensant plus que « l'homme blanc est le diable ».
En juillet 2010, tous les dirigeants de ces mouvements respectifs, constituant le bureau exécutif, nomment au poste de Président Héry Djéhuty Séchat (7) en remplacement de Kémi Séba, celui-ci ayant été promu au poste de Ministre Francophone du New Black Panther Party.
Le communautarisme :
Le Centre Zahra est une association musulmane chiite du nord de la France. Il diffuse une propagande "antisioniste" très virulente. Au centre, se tiennent des conférences dont certains invités ont été condamnés pour antisémitisme.
L’objet du Centre Zahra ? Faire « connaître le message de l'islam ». Ses membres viennent ici célébrer la prière, profiter d'une structure d'accueil à caractère social, familial et religieux. Ils assistent aussi à des colloques, des journées d'étude ou peuvent animer le site Web de l'organisation. La consultation de ce site révèle une autre activité : la diffusion d'images et de déclarations "antisionistes" très virulentes.
Ce site permet également d'avoir un aperçu des conférences qui sont organisées au centre Zahra. On peut y voir défiler des personnages coutumiers de déclarations incendiaires. L'inévitable Dieudonné, Mohammed Latrèche, président du Parti des musulmans de France (PMF) -qui regroupe quelques centaines d'adhérents, par exemple.
A noter que le président du Centre Zahra se nomme Yahia Gouasmi.
Or, le 28 novembre 2009, l'humoriste Dieudonné ainsi que le président du Parti antisioniste Yahia Gouasmi, alors en visite en Iran, avaient déclaré avoir voulu intervenir auprès de l'ayatollah Ali Khamenei pour la libération de Clotilde Reiss.
Bref, Gouasmi apparaît dans de nombreuses vidéos, articles de presse et déclarations tapageuses. Des interventions à la télévision iranienne, des interviews afin de promouvoir le mouvement anti-sioniste, des prises de positions virulentes. Et toujours ce même champ lexical où les mots sont pesés avant d’être posés. Où l’on veille à ne pas être taxé d’antisémitisme (8-9). Qui est-il ? Officiellement, président du centre Zahra, responsable de la fédération chiite de France, fondateur du Parti anti-sioniste et de l’observatoire anti-sioniste, Yahia Gouasmi est l’homme clé de cette mouvance en France…
Notes :
8) Daily Nord, 29 novembre 2009.
9) Voir aussi à ce sujet l’Express du 26 février au 4 mars 2009, « Les nouveaux réseaux antisémites », pp.70-71.
Photo : D.R.