Nous publions ci-dessous avec l’aimable autorisation de son auteur un chapitre du nouvel ouvrage que le philosophe, politologue et historien des idées vient de faire paraître aux éditions Les provinciales (sortie le 15 juin 2011), 281 pages, « Israël et la question juive. Boycott pour un massacre. »
Ce nouveau livre explore avec une grande minutie et une immense érudition toutes les innombrables facettes de l’antisionisme obsessionnel, de la guerre idéologique qui est menée contre Israël et les Juifs. Dans ce livre exemplaire, l’auteur montre bien qu’au nom de la sacro-sainte défense de la cause palestinienne, tous les coups sont permis, toutes les vilenies, les accusations les plus perverses et les plus monstrueuses. Nous assistons à un véritable matraquage d’Israël et il ne s’agit pas de critiquer une politique mais bel et bien de diaboliser et délégitimer cet Etat. Ce livre magistral doit être lu, impérativement.
Nous publierons prochainement d’autres extraits de cet ouvrage.
Marc Knobel
I. L’autocritique de Richard Goldstone : la fin d’une imposture
Nul ne s’attendait, dans les milieux pro-israéliens comme dans le monde des ennemis d’Israël - le royaume de Hessel -, à ce que le juge Goldstone mette lui-même fin à l’imposture représentée par son rapport de septembre 2009. Cet événement imprévisible a eu lieu. La plus redoutable des machines de guerre inventées contre Israël n’était que le fruit d’une enquête bâclée, fondées sur des informations lacunaires ou non vérifiées, des faits mal établis, des interprétations dictées par la volonté d’accuser à tout prix Israël. Dans une tribune publiée le 1er avril 2011 par le Washington Post, Richard Goldstone reconnaît que son fameux rapport publié en septembre 2009, dont le retentissement mondial a eu des effets désastreux sur l’image d’Israël, s’est fondé sur des informations insuffisantes, douteuses ou fausses concernant le comportement des soldats israéliens lors de l’opération « Plomb durci » à Gaza. Plus précisément, il reconnaît que les « crimes de guerre » imputés au Hamas sont établis, alors que les accusations de « crimes de guerre » visant Israël étaient selon lui infondées [1].
Cette autocritique du juge Goldstone met en évidence le fait que, dans la bataille de Gaza, seul le Hamas a pris intentionnellement pour cibles des civils israéliens, non sans exposer délibérément aux tirs israéliens des civils gazaouis en se servant de ces derniers comme bouclier humain [2]. Cette révision du « rapport Goldstone » par son auteur lui-même, à l’occasion de la publication du rapport définitif qui a bénéficié de nouveaux éléments d’information (le rapport McGowan Davis), fait apparaître comme pure propagande mensongère tout ce qui s’est écrit contre Israël sur la base de ce rapport défectueux, auréolé de son label onusien. Or, la propagande palestinienne et pro palestinienne dans le monde, depuis l’automne 2009, s’était largement reconfigurée autour du « rapport Goldstone », utilisé notamment comme mode de légitimation de la campagne BDS et de toutes les actions d’éclat contre Israël, comme l’opération « flottille de la liberté », présupposant une image victimaire et compassionnelle des Palestiniens de Gaza (conforme au stéréotype du « Palestinien-victime ») et une vision pour le moins complaisante de la dictature du Hamas à Gaza. On notera au passage que cette autocritique du juge Goldstone ôte toute crédibilité aux thèses violemment anti-israéliennes soutenues par le pro palestinien inconditionnel Stéphane Hessel, dont le seul argument, outre ses impressions de voyageur choyé et « promené » à Gaza, était précisément le « rapport Goldstone ». Il l’a dit et répété dans ses causeries de propagande, comme dans son intervention à Paris, le 7 octobre 2010, dans les locaux du SNUipp, affilié à la FSU : « Le rapport du procureur Goldstone ne dit que la vérité [3]. » Voyons ce qu’il en est, de cette « vérité », selon l’auteur du rapport. L’autocritique du juge Goldstone commence ainsi :
« Nous en savons bien plus aujourd’hui sur ce qui s’est passé en 2008-2009 au cours de la guerre de Gaza qu’au moment où je présidais la mission d’enquête du Conseil des droits de l’homme des Nations unies. Si j’avais su alors ce que je sais aujourd’hui, le document qu’est le rapport Goldstone eût été différent. Le rapport définitif qui suivit - celui de la commission d’experts indépendants des Nations unies présidée par la magistrate new-yorkaise Mary McGowan Davis -, sur recommandation du rapport Goldstone, a conclu qu’Israël “avait doté l’enquête portant sur les 400 allégations de fautes dans la conduite des opérations à Gaza de moyens importants”, alors que “les autorités de fait (à savoir le Hamas) n’avaient pas mené la moindre enquête sur les tirs de roquettes et de mortier contre Israël”. Notre rapport a mis en évidence de possibles crimes de guerre, “voire des crimes contre l’humanité”, commis tant par Israël que par le Hamas. Que les crimes imputés au Hamas aient été intentionnels va sans dire - ses roquettes prenaient délibérément et sans distinction des civils pour cibles. Les allégations d’intention israélienne délibérée se fondaient sur les morts et les blessures infligées à des civils dans des circonstances où notre commission d’enquête ne disposait d’aucun élément menant à quelque autre conclusion raisonnable que ce fût. Si les investigations rendues publiques par l’armée israélienne et entérinées par le rapport de la commission des Nations unies ont établi la réalité de certains des événements sur lesquels nous avons enquêté dans des cas impliquant des soldats à titre individuel, elles montrent également que prendre des civils pour cible ne relevait pas d’une politique délibérée. »
Alors que son rapport a incendié les esprits et alimenté puissamment la diabolisation d’Israël, Goldstone se contente de regretter, bien tardivement, de n’avoir pas eu à sa disposition les éléments d’information nécessaires :
« Bien que les témoignages israéliens venus au jour depuis la publication de notre rapport ne démentent pas la perte tragique de vies civiles, je regrette que notre mission d’enquête n’ait pas disposé de tels éléments expliquant les circonstances dans lesquelles nous avons dit que des civils ont été visés à Gaza, car cela aurait probablement infléchi nos conclusions quant à l’intentionnalité et aux crimes de guerre. »
Le juge Goldstone déplore, sans détour mais non sans naïveté (possiblement feinte), le parti pris anti-israélien du Conseil des droits de l’homme des Nations unies, en même temps qu’il reconnaît le droit de l’État juif de se défendre contre ses ennemis, ce qui est la moindre des choses :
« L’objectif du rapport Goldstone n’a jamais été de démontrer des conclusions toutes faites hostiles à Israël. J’ai insisté pour que soit modifié le mandat initial du Conseil des droits de l’homme, qui était dirigé contre Israël. J’ai toujours été clair quant au fait qu’Israël, comme tout autre nation souveraine, a le droit et le devoir de se défendre et de protéger ses citoyens face aux attaques venues de l’étranger ou de l’intérieur. »
Tout en cherchant à se justifier, Goldstone semble enfin découvrir ou reconnaître la véritable nature du Hamas, branche palestinienne des Frères musulmans plus ou moins autonomisée, refusant la démocratie pluraliste, pratiquant le terrorisme au nom du jihad et visant la destruction d’Israël, dure réalité difficile à admettre pour les milieux pro palestiniens et ses « belles âmes », gênante réalité régulièrement mise entre parenthèses dans le discours diplomatique sur le conflit israélo-palestinien. Mais ce qui est le plus étonnant dans ce qui ressemble à un aveu du juge Goldstone, c’est que ce magistrat doté d’une longue expérience semble s’étonner de ce qu’il a pu constater à propos du Hamas. Il ose confier qu’il attendait de cette organisation islamo-terroriste qu’elle se comportât en formation politique respectueuse des règles de la démocratie libérale. Le magistrat voyait le Hamas en rose, et prenait ses espoirs pour la réalité. Le prix à payer pour cette méconnaissance de la réalité politique, c’est la déception. Goldstone nous fait ainsi part de ses espoirs déçus :
« Il n’a pas été assez dit que notre rapport constitue la première circonstance où des actes illégaux de terrorisme émanant du Hamas ont été soumis à examen et condamnés par les Nations unies. Je nourrissais l’espoir que notre enquête sur tous les aspects du conflit à Gaza inaugurerait une ère nouvelle d’impartialité au sein du Conseil des droits de l’homme des Nations unies, dont le parti pris passé à l’encontre d’Israël ne fait pas de doute. (…) En fait, notre recommandation essentielle fut que chacune des parties enquête dans la transparence et en toute bonne foi sur les incidents auxquels notre rapport faisait référence. Le rapport McGowan Davis constate qu’Israël l’a fait en bonne mesure ; le Hamas n’a rien fait.
À en entendre certains, il était absurde d’attendre du Hamas, organisation dont l’objectif est la destruction de l’État d’Israël, qu’il enquête sur ce que nous avons qualifié de graves crimes de guerre. Je nourrissais l’espoir, fût-il irréaliste, que le Hamas le ferait, surtout si Israël menait ses propres investigations. Au minimum, j’espérais que le Hamas, confronté au clair constat de graves crimes de guerre commis par ses membres, limiterait ses attaques. Il est triste de voir que tel ne fut pas le cas. Des centaines d’autres salves de roquettes et de mortier ont pris des civils pour cibles dans le sud d’Israël. Que relativement peu d’Israéliens aient été tués par les attaques de roquettes et de mortier illégalement tirées depuis Gaza ne les rend pas moins criminelles. Le Conseil des droits de l’homme des Nations unies devrait condamner ces actes de haine dans les termes les plus forts. »
Le dernier mot de Goldstone, c’est donc la tristesse. Le magistrat découvre que le monde n’est pas seulement peuplé d’âmes angéliques, de boy-scouts dévoués, de magistrats naïfs et de diplomates habiles. La part démoniaque de l’humain, celle que rend visible l’assassinat d’enfants israéliens dans leur sommeil par des « combattants » palestiniens, même la « belle âme » qu’il est doit en reconnaître l’existence. Le juge Goldstone continue de rêver, en déplorant le fait qu’une organisation terroriste n’enquête pas sur ses « crimes de guerre » et ses « éventuels crimes contre l’humanité ». L’expérience historique du nazisme n’aura ainsi compté pour rien. Laissons-le donc conclure :
« Au final, il se peut qu’il ait été vain de demander au Hamas d’enquêter. Le Conseil des droits de l’homme des Nations unies devrait donc également condamner l’impardonnable massacre, récemment perpétré de sang-froid, d’un jeune couple israélien et de trois de leurs enfants en bas âge dans leurs lits [le massacre de la famille Fogel, à Itamar, dans la nuit du 11 au 12 mars 2011 [4]]. (…) Il est regrettable que le Hamas n’ait pas fait l’effort, à Gaza, d’enquêter sur les imputations à son encontre de crimes de guerre et d’éventuels crimes contre l’humanité. »
Encore des regrets, seulement des regrets. Un tel aveu, qui suppose un certain courage, appelait plus de hauteur de vue, et plus de détermination. Le juge Goldstone aurait dû, lui-même, tirer clairement les conclusions de la fin d’une imposture à laquelle son nom reste attaché. Ce juridico-moralisme coloré de repentance est l’expression même de l’impolitique qui domine dans la « communauté internationale ». Le juge sud-africain aurait dû être le premier à considérer que son rapport incendiaire, fondé sur des données fausses ou falsifiées, était nul et non avenu, et à le déclarer tel sans ambiguïté [5]. La politique de l’espoir forcé, de la déception fatale et du regret sentimental est une impolitique. La grande politique se fait ailleurs.
Il reste à s’interroger sur le stupéfiant silence des médias et la gêne des milieux politiques et diplomatiques à la suite de la tribune du juge Goldstone, dont le rapport était devenu l’une des références fondatrices de toute mise en accusation d’Israël. La rétractation du juge aurait dû conduire l’ONU, pour le moins, à considérer son rapport comme caduc. Richard Prasquier, actuel président du CRIF, a justement fait remarquer que, devant cette rétractation imprévue, « le devoir de la presse eût été de traiter l’information avec le même intérêt, sinon le même enthousiasme, que celui avec lequel elle avait géré – à charge contre Israël - les conclusions du rapport initial [6] ». Il n’en a rien été, preuve s’il en est de la partialité avec laquelle la presse – en particulier la presse française, à quelques rares exceptions près – traite tout ce qui touche au conflit israélo-palestinien. On ne manquera pas non plus, avec Richard Prasquier, d’ironiser sur la position fort inconfortable dans laquelle se trouve désormais Stéphane Hessel qui, dans son libelle Indignez-vous !, paru en octobre 2010, a donné ce conseil aux membres de son fan-club : « Il faut absolument lire le rapport Richard Goldstone de septembre 2009 sur Gaza, dans lequel ce juge sud-africain, juif, qui se dit même sioniste, accuse l’armée israélienne d’avoir commis des “actes assimilables à des crimes de guerre et peut-être, dans certaines circonstances, à des crimes contre l’humanité” pendant son opération “Plomb durci” qui a duré trois semaines [7]. » Or, Goldstone a reconnu clairement qu’il avait été abusé, ce qui l’amenait à retirer ses accusations contre Israël qui ont tant réjoui Hessel et ses semblables. Le grand légitimateur de la criminalisation et du boycottage d’Israël serait assurément « bien venu à demander dans la prochaine édition de son pamphlet que l’on lise aussi la rétractation de celui-ci [Goldstone] et à en tirer des conclusions [8] ». L’honnêteté devrait le conduire à s’excuser auprès d’Israël [9]. Mais on ne saurait rien demander de tel à une « icône » donneuse de leçons pour qui le propalestininisme inconditionnel est une carte à jouer dans son ultime course aux honneurs : obtenir le prix Nobel de la paix. L’extrême vanité n’a que faire de l’honnêteté intellectuelle et de la bonne foi.
Notes :
[1] Richard Goldstone, « Reconsidering the Goldstone Report on Israel and War Crimes », The Washington Post, 1er avril 2011,
[7] Stéphane Hessel, Indignez-vous !, Montpellier, Indigène éditions, 2010, p. 17.
[8] Richard Prasquier, art. cit.
(Pierre-André Taguieff, « Israël et la question juive », Les provinciales, 2011. Extraits : chap. 7, 11 et 12)
Photo : D.R.