Analyse et décryptage.
Romania Mare :
Dans les quotas de sièges attribués aux deux nouveaux arrivants (la Roumanie et la Bulgarie) figurent cinq membres du parti
Romania Mare (Parti de la Grande Roumanie) dont le leader est
Corneliu Vadim Tudor. Disciple de l’écrivain
Eugene Barbu (qui était un conseiller proche et officieux du dictateur roumain
Nicolae Ceauşescu), Vadim Tudor est un tribun que l'on appelle parfois le
« Le Pen des Carpates ».
Son parti veut réunifier la Bucovine (qui appartient à l’Ukraine) et la Moldavie avec la Roumanie. Par ailleurs, Romania Mare développe ouvertement des thèses xénophobes à l'endroit de ses voisins hongrois, et dénonce très régulièrement le « péril Magyar » (la Hongrie).
Parmi ses cibles favorites, on trouve les juifs « la source de tous les maux ». Mais attention ! Tudor sait aussi garder le sens de la mesure. « Moi antisémite ? Mais j’ai toujours dit qu’il y a aussi des juifs honnêtes », plaide-t-il avec une mauvaise foi qui frise l’écoeurement.
Le mythe de la conspiration juive et capitaliste occupe donc une place importante dans le discours, souvent vulgaire, adoptée par Vadim Tudor dans les pages de son hebdomadaire
Romania Mare. Cependant, dans une lettre du
1er février 2004, il a renoncé à certaines anciennes déclarations qu'il avait faites, jugées comme antisémites.
Ataka :
Plus «modeste» que sa voisine Roumaine, la Bulgarie apporte dans ses valises un représentant du mouvement populiste Ataka de l'ancien candidat à l'élection présidentielle Volen Siderov. Ataka est un parti politique nationaliste bulgare, créé en avril 2005 par l'ancien journaliste anticommuniste
Volen Nikolov Siderov. Ce dernier joue sur les frustrations, les peurs et les angoisses des bulgares accumulées depuis quinze ans. Il a fait campagne contre les Gitans, les Roms et les Turcs, et l'un des supporters d’Ataka s'est «distingué» par des propos révoltants selon lesquels son pays regorgeait de «jolies Gypsies» adolescentes que tout un chacun pouvait s'offrir pour la somme de 5000 euros (!). La coalition électorale « Ataka », qui a remporté 8,75 % des suffrages exprimés (296.848 voix) aux élections législatives du 25 juin 2005.
Peut-on parler de marée brune au Parlement européen ?
Peut-on parler de «marée brune» pour seulement six nouveaux eurodéputés? Pas vraiment. Mais en joignant leurs forces avec les élus d'extrême droite déjà présents à Bruxelles, les cinq Roumains et le Bulgare permettent la création d'un groupe parlementaire en vertu du règlement intérieur qui stipule qu'une telle formation doit être constituée au minimum de 19 élus issus d'au moins cinq pays différents. Bruno Gollnisch, eurodéputé non inscrit, a annoncé le 10 janvier 2007 à Bruxelles la constitution de ce nouveau groupe politique regroupant des « patriotes » et des « nationaux » au Parlement européen. Ce groupe aura pour nom « Identité, tradition, souveraineté », a précisé le délégué général du Front national. Cette appellation semble avoir été préférée au plus «traditionnel» et révélateur «Europe des patries».
Le groupe sera composé de sept Français du Front national, dont son président Jean-Marie Le Pen et sa fille Marine Le Pen, de l'Autrichien (du FPÖ) Andreas Mölzer, des trois Belges du parti flamand Vlaams Belang dont son président Franck Vanhecke, du Britannique Ashley Mote, d'un Bulgare, de deux Italiens, dont Alessandra Mussolini, petite-fille du dictateur, et de cinq Roumains du Parti de la Grande Roumanie de Corneliu Vadim Tudor. Néanmoins, avec 20 élus, le groupe sera le moins nombreux de l'assemblée. Cependant, à l’instar des 7 autres groupes politiques déjà constitués, la nouvelle fraction pourra bénéficier d’un certain nombre d’attachés et d’experts qui seront choisis par ses soins, mais financés sur le budget du Parlement européen. Le futur groupe d’extrême droite devrait également disposer d’un plus grand temps de parole lors des sessions plénières.
Les deux principaux «cerveaux» de l'opération sont l'Autrichien Andreas Moelzer, un ancien proche du leader d'extrême droite Jörg Haider (avant que les deux hommes ne se brouillent) et le Belge Franck Vanecke, le chef du parti séparatiste flamand Vlaams Belang. Détail ironique, le mouvement d'Andreas Moelzer a milité et voté contre l'entrée de la Roumanie dans l'Union européenne, ce qui ne l'empêche nullement de profiter de l'aubaine aujourd'hui! Andreas Moelzer s'apprête à endosser le rôle de secrétaire général pour laisser la présidence du groupe au Français Bruno Gollnisch, numéro deux du Front national de Jean-Marie Le Pen.
Pourront-ils réaliser une synthèse politique ?
Reste le plus dur pour cette myriade d'extrême droite : réaliser une synthèse politique. Sept députés « nationalistes » du FN devront cohabiter avec trois collègues du parti régionaliste flamand Vlaams Belang, qui prône l'éclatement de la Belgique. On trouve également dans ce groupe hétéroclite la petite fille du Duce, Alessandra Mussolini, le député britannique Ashley Mote, dont le parti antieuropéen, l'Ukip, fait son miel des scandales financiers communautaires, ainsi que les cinq députés du Parti de la Grande Roumanie et un Bulgare. « Nos partis d'origine sont très différents mais nous pouvons néanmoins nous reposer sur un consensus politique minimal », affirme l'Autrichien Andreas Mölzer, membre du FPÖ, parti autrefois dirigé par Jorg Haïder. Et le député de citer « l'opposition à l'immigration de masse, à l'adhésion de la Turquie ou à la constitution ». Des députés polonais de la Ligue des Familles, accusée de tenir des propos antisémites et antigays, pourraient, dans le futur, rejoindre ce groupe, rapporte Le Figaro (10 janvier 2007).
« La respectabilisation du FN, c’est du flan »
« Pour le Front national, la création d’un groupe serait une opération réussie, permettant de montrer, à quelques mois des élections françaises, que le parti n’est pas isolé, remarque le politologue Jean-Yves Camus, spécialiste de l’extrême droite en Europe. Mais dans le même temps, le fait que les grands partis populistes qui tentent d’accéder au gouvernement dans leur pays refusent, pour des questions d’image, de s’allier au FN oblige le Front à aller vers des partis beaucoup plus radicaux. Au final, la constitution de ce groupe politique pourrait donner la preuve que la stratégie de respectabilisation du FN, c’est du flan », conclut Jean-Yves Camus (2).
Marc Knobel
Notes :
1. Ce n'est pas la première fois que l'extrême droite aurait un groupe au Parlement européen. Jean-Marie Le Pen avait notamment présidé de 1984 à 1989 le "groupe des droites européennes" et le "groupe technique des droites européennes" de 1989 à 1994.