Tribune
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Publié le 25 Mars 2005

L’extrême droite soutient « l’humoriste » Dieudonné Par Marc Knobel

Ces dernières semaines, nous avons assisté à un étrange échange d’amabilités entre « l’humoriste » Dieudonné et le délégué général du Front national, Bruno Gollnisch. Dans ce document, nous revenons sur leurs propos respectifs et ce qui pourrait apparaître comme une obsession particulière… les Juifs ?




Bruno Gollnisch tient des propos inadmissibles. Il est suspendu de l’Université :

Le 11 octobre 2004 lors d'une conférence de presse qui s’est tenue à Lyon, Bruno Gollnisch, délégué général du Front national, a réagit au rapport de l’historien Henry Rousso sur le négationnisme au sein de l'université Lyon-III (1). A cette occasion, Gollnisch a déclaré qu'« il n'y a plus un historien sérieux qui adhère intégralement aux conclusions du procès de Nuremberg ». « Je ne remets pas en cause l'existence des camps de concentration mais, sur le nombre de morts, les historiens pourraient en discuter. Quant à l'existence des chambres à gaz, il appartient aux historiens de se déterminer », a poursuivi le numéro 2 du parti d'extrême droite, dauphin probable de Jean-Marie Le Pen.

Suite aux propos tenus par Bruno Gollnisch, la présidence de l’université Lyon-III a annoncé le 14 octobre 2004 qu'elle a demandé au ministre de l'Education nationale la suspension du délégué général du FN « pour ces propos inacceptables tant en eux-mêmes que par la grave atteinte qu'ils portent à l'honneur et au crédit de l'université ». La section disciplinaire de Lyon-III a également été saisie. Le jeudi 3 mars 2005, le délégué général du Front national a été suspendu, pour une durée de cinq ans par la section disciplinaire de cette université, et son traitement a été diminué de moitié. Cette sanction intervient après quatre mois d'une procédure cahotante, mais elle est importante : c'est la première fois, dans l'histoire de l'université française, qu'un enseignant soupçonné de propos négationnistes écope d'une sanction aussi lourde.

Par ailleurs, Bruno Gollnisch pourrait comparaître devant le tribunal correctionnel de Lyon « d’ici deux mois » pour répondre de ses propos sur les chambres à gaz, tenus le 11 octobre dernier. Cité devant la justice pour contestation de crimes contre l’humanité, le numéro deux du FN pourrait être jugé « d’ici à l’été ».


Jean-Marie Le Pen défend son dauphin :

Le 27 octobre 2004, Jean-Marie Le Pen a écrit au président du parlement européen Josep Borrell pour protester contre la condamnation par ce dernier des propos de Bruno Gollnisch sur les chambres à gaz : « Je vous demande qu’elles sont les opinions qu’il est interdit d’exprimer ou les sujets qu’il est interdit d’aborder, sous peine de prendre le risque de vous révulser, de vous interpeller, de vous choquer. »

Le 1er mars 2005, lors d’une conférence de presse, Jean-Marie Le Pen rend hommage à Bruno Gollnisch, Jean-Marie Le Pen a déclaré que « sa persécution est une preuve morale et patriotique. »


Dieudonné fait un parallèle entre sa situation et celle de Bruno Gollnisch :


Interrogé à sa descente d'avion sur son agression en Martinique, Dieudonné a fait un parallèle le 6 mars (2005) à l'aéroport d'Orly entre sa situation et celle de Bruno Gollnisch : « Je me suis battu politiquement contre l’extrême droite à Dreux. J’ai des positions politiques qui sont radicalement opposées, mais quand je vois ce qui se passe aussi avec M. Gollnisch – retirer son travail à quelqu’un sans que la justice ait pu se prononcer… On est dans un Etat de droit, sous la pression d’un lobby qui se croit tout permis dans ce pays (…) c’est ce qu’on me fait à moi, on m’interdit de jouer dans des salles simplement parce que je déplais à un petit groupe d’individus » a-t-il ajouté.


Bruno Gollnisch fait état du soutien de Dieudonné pour s’en féliciter :


Lors d'une rencontre avec la presse (le 23 mars), Bruno Gollnisch a fait état des personnalités qui lui ont apporté leur soutien. Ce soutien émane de députés polonais, de Serguei Babourine, vice-président de la Douma (le Parlement Russe), d’Alexander Fomenko, membre du conseil de l’Union des écrivains de la Russie et député. Le délégué général du FN a également nommé le « militant d’extrême gauche Dieudonné M’ Bala M’ Bala. » « Certains de mes adversaires politiques ont montré davantage de liberté d’esprit que ceux qui ont pourtant la charge d’y veille » a affirmé Bruno Gollnisch (Français d’abord, 9 mars 2005).


Selon Bruno Gollnisch, Dieudonné est « dans la lignée d'une défense des libertés ». « M. Dieudonné a estimé que la persécution dont je faisais l'objet était scandaleuse tout en disant qu'il ne partageait pas mes idées politiques, je ne l'ai pas rencontré mais je constate qu'il est dans la lignée d'une défense des libertés. »


Au même moment, des proches de Bruno Gollnisch soutiennent Dieudonné. « Je soutiendrai sans réserve Dieudonné s'il est poursuivi au nom de la loi Gayssot pour ses derniers propos », affirme Hugues Petit, conseiller régional (FN) Rhône-Alpes et responsable du comité de soutien à Bruno Gollnisch.


La presse d’extrême droite fait un parallèle entre Dieudonné et Bruno Gollnisch :

Rivarol :

Dans sa sélection du n°2707 (11 mars 2005), l’hebdomadaire d’extrême droite Rivarol, chantre du négationnisme (depuis sa création en 1951), s’étonne de la régularité avec laquelle « nos gazettes reviennent sur les « dérapages » de M. Dieudonné M’Bala-Bala » Selon Rivarol, cette régularité « incite à la méfiance ». Surtout quand on observe « avec quel à-propos le gros media sait en tirer avantage pour relancer son parti-pris multiracial. Impossible, d’ailleurs, de ne pas faire la comparaison entre l’hystérie qui suivit les propos bien moins explosifs tenus par Jean-Marie Le Pen à Jérôme Bourbon (2) avec anathèmes ministériels et enquête préliminaire immédiate, et les relaxes qui, depuis dix ans, banalisent les outrances du “comique” franco-camerounais. »
Rivarol s’interroge ensuite, se demandant si Dieudonné est un électron libre ou s’il est instrumentalisé : « En utilisant, dans un pays musulman, l’Algérie, une formule qui n’est pas de lui, et n’est pas pour lui, a-t-il dépassé les limites qui lui étaient imparties? En qualifiant le rappel obsessionnel de la Shoah de “pornographie mémorielle”, s’est-il… disqualifié ? », s’interroge Rivarol. En tout cas, poursuit l’hebdomadaire d’extrême droite, « l’agression dont il a été victime à Fort-de-France le 2 mars (…) a été un avertissement: il doit revenir à son registre anti-Blancs, anticatholique et antifrançais. D’autant que le silence hermétique des media enchaînés sur cette dernière agression montre qu’ils ont, eux, bien compris qui étaient les donneurs d’ordres. »


Avec ses circonlocutions habituelles, Rivarol élabore alors une « théorie » conspirationniste dont il a le secret : « On ne nous enlèvera pas de l’idée néanmoins que M. M’Bala M’Bala n’est pas un électron libre et que ses apparents débordements relèvent d’une stratégie globale bien établie (..). Une partie de l’opinion publique semble lasse d’un antiracisme qui se dit stimuler par les formules de Jean-Marie Le Pen dans lesquelles, néanmoins, des millions de Français se retrouvent. On lui oppose donc un métis qui, pendant des années, s’est structuré dans une bave anti-européenne irréprochable, la manœuvre est habile. Ses propos en effet offrent les mêmes possibilités d’indignation que ceux du président du Front national. Mais, exprimés par une “victime”, ils donnent à la critique une sérénité impossible avec un Jean Marie Le Pen dont la seule présence prouve qu’il existe une alternative aux vérités assénées par la Pensée Unique. » Et l’hebdomadaire de poursuivre : « En dénonçant le rôle des Juifs dans la Traite des Nègres, Dieudonné déplace le débat. Sans en écarter la responsabilité des Blancs, qui va de soi, mais en l’excluant de ce débat. L’important n’est ni l’Histoire ni la Vérité. C’est d’enfoncer dans l’inconscient collectif des Européens un sentiment de culpabilité et de mortification indispensable à leur dépossession. C’est là toute la mystification d’une idéologie métisse omniprésente, qui entend bien que cette culpabilisation devienne instinctive. En vertu d’une véritable catéchèse de l’antiracisme emplie de dogmes, d’a priori et de falsifications a-historiques. »


Pour terminer, Rivarol se lâche : « Aussitôt dégainé le mot Juif, la riposte jaillit. On fait donner la grosse artillerie intellectuelle »

Français d’abord :

Français d’abord
(le journal du FN) dans son édition du 2 » février revient longuement sur le sujet :

« Vendredi la plupart des officines anti-nationales, oubliant pour un temps leurs haines recuites sur fond de conflit israélo-palestinien, ont annoncé qu’elles avaient l’intention de broyer Dieudonné M’ Bala M’ Bala, qu’elles étudiaient la possibilité d’engager des poursuites judiciaires pour faire rendre gorge au métis franco-camerounais. Cette unanimité touchante du Mrap, de Sos racisme, de la Licra et de l’UEJF a son explication officielle. Elle a été donnée par l’actuel patron de SOS racisme, le socialiste Dominique Sopo: « Ces propos (du comique) sont une nouvelle preuve de dérive antisémite (la preuve d’une) volonté d’inciter à la haine raciale, de favoriser une opposition entre juifs et noirs qui est inquiétante d’autant que contrairement à Jean-Marie Le Pen, il tient ses propos au nom de l’antiracisme » a-t-il ajouté. Bref, si en attaquant Dieudonné pour « crime de lèse antiracisme officiel », on peut au passage citer et mouiller le président du FN, c’est tout bénéfice. Même manipulation le même jour de la part du très anti-FN député UMP de Paris, l’atlanto-mondialiste Pierre Lellouche. Sur radio J, à l’instar du porte-parole du PS Julien Dray, M. Lellouche a souhaité que M. M’ Bala soit traîné devant la justice : « Dieudonné pratique une sorte de lepénisme noir (sic). Il a un discours encore plus radical que Le Pen. C’est un discours complètement délirant et fou qui probablement prend dans certains secteurs fragilisés de la société ».


Et très cyniquement, Français d’abord de conclure : « D’ici à ce qu’on nous démontre bientôt que le cas Dieudonné est du ressort de la psychiatrie et qu’il est urgent de l’interner, lui et ses propos « fous » et « délirants »…



Le 9 mars 2005, Français d’abord cite les propos de Dieudonné lorsque celui prend la défense de Bruno Gollnisch. Pour Français d’abord, « Dieudonné n’a pas molli » et parle de « liberté d’esprit ». Le 25 mars, Français d’abord s’étonne néanmoins que « certains journalistes manifestent une monomanie qui les a poussé à interroger le Délégué général du FN sur « l’affaire Dieudonné.»

Garde Franque :

Dans un éditorial du mois de mars, le site Internet de Garde Franque (qui est apparemment hébergé en Russie), -mouvement catholique (d’extrême droite) de formation politique nationaliste et contre-révolutionnaire- se demande si Dieudonné, lorsqu’il a été agressé par quatre personnes en Martinique, a bel et bien échappé à un « attentat pour avoir trop parlé (des juifs) et pas assez écouté les appels au calme de ses amis artistes. »


Garde Franque fait aussitôt un parallèle avec Jean-Marie Le Pen et Bruno Gollnisch « qui ont fait eux aussi les frais d’une trop grande liberté de parole, que l’on ne tolère plus en France, depuis que nos dirigeants ont fait allégeance au B’nai B’rith. »


« Dieudonné, fils de Le Pen » ?

Pour conclure provisoirement sur le sujet, il nous paraît intéressant de citer in extenso l’article qui a été publié par Jérémie Zeitoun, Secrétaire général de l’UEJF-Lyon (Union des étudiants juifs de France)(28/02/2005), dans le quotidien Metro :

« Ainsi Bernard-Henri Lévy titrait-il son « Bloc-notes » du Point le 3 février dernier. Plus les jours passent, plus cette affirmation s’impose comme une déconcertante évidence. Les thématiques sont communes, les techniques de communication également. Les jeux de mots ignobles de Dieudonné sur Bruel ou Finkielkraut résonnent comme un terrible écho à l’infâme « Durafour crématoire » de Le Pen. La « pornographie mémorielle » de Dieudonné s’inscrit dans la plus parfaite continuité du « débat sur la manière dont les gens sont morts pendant la Shoah » de Gollnisch.

La martyrologie est leur spécialité partagée. Le n° 2 frontiste se déclare victime d’une persécution politique menée par les autorités en place, le militant antisémite Dieudonné s’enorgueillit de dire tout haut ce que les autres penseraient tout bas, dénonce le complot dont il est la cible.

C’est également avec stupeur qu’on remarque la similitude de l’auditoire des deux extrémistes. Un parterre de militants antisionistes applaudissent pour « soutenir Dieudo » en conférence de presse, pendant que leurs frères jumeaux antisémites se retrouvent pour « protéger Bruno » à l’entrée des amphithéâtres de Lyon-III. Il ne serait d’ailleurs pas surprenant que mardi 1er février, lors du rassemblement FN en soutien au professeur Gollnisch, certains se laissent aller à quelques cris de sympathie envers leur nouvelle égérie. »

Et Jérémie Zeitoun de prévenir : « La haine négationniste se révèle polymorphe. Sa rhétorique nauséabonde exhale avec la même vigueur le souffle tantôt de la bête immonde, tantôt de prêcheurs de pacotille dont les spectacles ne sont rien d’autre que des meetings xénophobes. Entre fêter Jeanne d’Arc place des Pyramides le 1er mai et applaudir Dieudonné au Zénith, il n’y a désormais plus de distinction. Le mariage est consommé. »


Notes :

1. Selon le rapport remis par la commission présidée par l'historien Henry Rousso, l'université Jean-Moulin n'est pas une «fac facho» infestée par l'extrême droite (Libération, 6 et 12 octobre 2004). En revanche, écrit la commission, « il est incontestable que les fondateurs de Lyon-III ont plus que toléré l'expression des idées d'extrême droite [...] Celles-ci ont été constitutives de sa création ». Née en 1973 d'une scission avec l'université Lyon-II, réputée « de gauche », Lyon-III abrite dès 1981 un Institut d'études indo-européennes, propice aux recherches produites par des membres du GRECE (Groupement de recherche et d'études pour la civilisation européenne), un courant païen de l'extrême droite. Dissous au bout de dix ans, l'institut renaîtra sous le nom de Société internationale des études indo-européennes.


En 1985, Jean-Paul Allard, professeur à Lyon-III et membre du GRECE, préside le jury qui valide la thèse, soutenue à Nantes par Henri Roques, ami du négationniste Paul Rassinier. Son « travail » tendait à nier l'étendue des massacres perpétrés dans les camps de la mort pendant la Seconde Guerre mondiale. En 1990, un étudiant, Pascal Garnier, obtient, lui, une maîtrise avec mention « bien » en faisant l'éloge de Georges Montandon, « raciologue » français qui délivrait des certificats d'aryanité sous l'Occupation et expert auprès du Commissariat Général aux Questions Juives. La même année éclate l'affaire Bernard Notin, un enseignant qui réussit à publier un article antisémite et raciste, dans une revue scientifique du CNRS. Mais c'est à Lyon-II que le libraire Jean Plantin réussit à passer un Diplôme d’Etudes Approfondies négationniste sur le... « typhus dans les camps de concentration nazis ».


2. Dans un entretien à l'hebdomadaire d'extrême droite Rivarol (7 janvier 2005) le président du FN a affirmé que « l'occupation allemande n'a pas été particulièrement inhumaine même s'il y a eu des bavures inévitables dans un pays de 550 000 km 2 ». Il a affirmé aussi que, « si les Allemands avaient multiplié les exécutions massives dans tous les coins comme l'affirme la vulgate, il n'y aurait pas eu besoin de camps de concentration pour les déportés politiques ». Jean-Marie Le Pen a mis également en doute la véracité des récits du massacre d'Oradour-sur-Glane, village martyr du Limousin où la 2 e division SS Das Reich, le 10 juin 1944, massacra 642 civils, dont 246 femmes et 207 enfants, en mettant le feu à la grange et à l'église du village où elle les avait enfermés.
Au début du mois de mars, une information judiciaire pour «apologie de crimes de guerre » a été ouverte à Paris contre Jean-Marie Le Pen pour ses propos sur l’occupation allemande.