Tribune
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Publié le 18 Mai 2010

L’identité juive : une identité hors normes

Un texte d’une adhérente de l’AJCF paru dans la revue « Foi et Culture » de Mars 2010.

La revue « Foi et Culture » est publiée sous la responsabilité de l’Observatoire Foi et Culture, organisme créé par l’assemblée des évêques de France en 2006 et qui dépend directement de la CEF.

Dire ce qui constitue mon identité juive est un exercice difficile. Il s’agit pour moi de surmonter ma pudeur et de livrer une réflexion intime tout en sachant qu’une partie du contenu résiste forcément à l’explication, se soustrait à l’analyse.

S’interroger sur son identité, c’est l’avoir déjà perdue, disait Emmanuel Levinas. Je ne suis pas sûre que cela soit vrai aujourd’hui. Dans un monde devenu village planétaire, une Europe dont les frontières glissent, il est bon d’essayer de discerner de quoi on est fait.

Pour ma part je pense pouvoir dire dans le désordre que je suis juive, Européenne, Belge, Française, Ashkénaze et enfant d’immigrés. Mes parents étaient rescapés de la Shoah tous les deux et leur silence délibéré sur l’horreur qu’ils ont vécue a peuplé mon enfance. Je suis née après la guerre, mais avec le sentiment que ce qui était arrivé pouvait se reproduire, que nous étions tous des rescapés de cette volonté brutale et illimitée d’effacer jusqu’à la trace de notre existence sur cette terre. La Shoah est à mes yeux un événement singulier dans l’histoire de l’humanité, un mal d’une nature telle que ses conséquences pour l’idée même de la culture et du progrès sont pour l’instant impossible à qualifier. La question essentielle perdure : pourquoi le peuple juif a-t-il fait l’objet de tant de haine ?

Cette question m’habitait dans mon enfance sans que j’en mesure la charge théologique. Elle demeure une interrogation fondamentale et à mes yeux trop peu répandue.

La Shoah fait partie de notre histoire humaine commune. Nous, les Juifs, nous pleurons encore les membres de nos familles assassinés, mais la mémoire si douloureuse de ce que Georges Perec appelait « l’Histoire avec une grande hache » doit être partagée.

Mes parents m’ont élevée dans l’amour de la tradition juive et de la portée humaniste, universelle de nos valeurs. Il ne s’agit donc pas seulement du respect des fêtes ou des mitsvot, les préceptes énoncés par la Torah. Cette éducation ne concernait pas uniquement le fait religieux, mais l’appartenance à un peuple ancien qui occupe depuis son origine une place particulière dans la grande aventure humaine, elle induit une manière juive d’être au monde.

Dès mon enfance, j’ai appris à parler deux langues juives, le Yiddish et l’Hébreu. Toutes les deux participent de cette manière d’être au monde, car elle véhiculent une culture riche, un humour particulier une attention à la pluralité du sens dans un énoncé.

Les personnages de la Bible qui ont peuplé l’univers de mon enfance étaient comme des membres de ma famille, et Israël un pays proche, tellement important, vers lequel se porte la liturgie, les sentiments, une certaine fierté et une grande inquiétude pour sa survie, toujours menacée. L’enracinement biblique de ce lien avec la terre de la promesse est fondamental même pour la Juive laïque que je suis. Après tout même l’Hébreu moderne diffère si peu de l’Hébreu biblique que ce lien est fait d’ancien et de nouveau. L’Israël qui est dans nos cœurs et dans notre liturgie est aussi un jeune état qui connaît à la fois des difficultés énormes et des réalisations exemplaires. Il constitue un lieu de refuge pour le peuple juif, comme en attestent les immigrations récentes d’Éthiopie et de l’ancienne U.R.S.S.. C’est un état souverain qui met un point final à notre errance et aussi à la peur de voir se lever à nouveau la volonté de nous exterminer sans que nous puissions réagir.

Ce lien si fort avec Israël n’empêche en rien mon attachement à la France, où je suis engagée à l’Amitié judéo-chrétienne de France depuis bientôt 20 ans, à l’Europe, à la culture et à l’Histoire que nous partageons tous. Ce qui me fait dire en paraphrasant Raymond Aron que si le peuple juif est bien un peuple il n’y a pas d’autre peuple comme lui. Je tiens à toutes ces fidélités, elles m’enrichissent et ne posent jamais problème. Si ma relation à l’Europe est apaisée, j’ai néanmoins le sentiment que nous sommes (trop) souvent le sismographe de l’état du monde. L’antisémitisme est une pathologie grave, toujours prête à resurgir. Ma pensée cherche à rester libre, elle est cependant une pensée de minoritaire, nourrie d’une certitude : le Judaïsme a des choses essentielles à dire au monde, par son étude constante des textes en quête d’un sens toujours inépuisable tant il est riche. Il sait si bien renouveler le débat avec Dieu, à l’instar du Psalmiste qui Le somme quelquefois de Se réveiller ! Il est la mémoire toujours vivante et active de l’origine du monothéisme. Il ne cesse de rappeler que la tension entre les promesses bibliques et l’accomplissement perdure et que tout reste à faire. Il est ainsi un appel constant à l’éthique et à la responsabilité. Notre émotion religieuse est faite de joie mais aussi de vigilance inquiète pour l’avenir du monde.

Enfin et pour conclure, si je me suis engagée dans le dialogue inter-religieux, c’est pour œuvrer à une relation enfin apaisée avec ceux qui ne sont pas de la même tradition que moi.

Cette démarche est à la fois vocation et conviction. Elle dit mon aspiration à un monde plus fraternel où chacun jouirait d’une égale dignité humaine.

Photo : D.R.

Source : ajcf.fr