Marine Le Pen est-elle habile dans ses positionnements et affichages médiatiques ? Oui, sans aucun doute. Profite-t-elle, mécaniquement, et sans le moindre effort, de la faiblesse des acteurs politiques de l’arc républicain, des effets conjugués de la crise financière globale et des événements extraordinaires survenus au sud de la Méditerranée et parfois perçus comme des sources d’instabilité ? Sans aucun doute, oui.
Faut-il pour autant être dupe d’une stratégie de « notabilisation » du Front national, accompagnée d’une banalisation de ses thèses ? Pour tout responsable républicain, doué d’une conscience historique et civique, la réponse devrait être évidemment non. Comme l’a a très juste titre souligné Richard PRASQUIER, le Président du CRIF, devant l’European Jewish Press, l’invitation faite à Marine Le Pen par Radio J (de participer à son émission du 13 mars), relève de « l’irresponsabilité » et, rajouterais-je, d’une certaine inconscience.
Comment en effet considérer, surtout pour une radio phare de la communauté juive de France, que quelques postures médiatiques et superficielles de Marine Le Pen puissent gommer la doctrine, les comportements et les écrits d’un mouvement politique qui puise ses racines, historiquement et idéologiquement, dans les tréfonds du racisme et de l’antisémitisme ? Comment considérer que les sourires d’affiches électorales de la fille puisse effacer les penchants négationnistes du père et surtout d’un parti dans son ensemble, dont elle a pris la tête sans aucune rupture avec son passé et sa tradition ? Comment ne pas voir, aujourd’hui, que le Front National utilise toutes les interstices de la vie politique et médiatique pour avancer ses pions, masqué, pour mieux déployer encore, dans une France troublée, ses thèses fondées sur l’exclusion et la xénophobie ?
Les médias dans leur ensemble ont d’ailleurs une responsabilité dont ils doivent avoir davantage conscience et qu’ils doivent aujourd’hui assumer. Le cas de Radio J ne doit pas faire exception à la règle mais au contraire devenir exemplaire, et ainsi s’illustrer positivement. Evidemment, il sera objecté que tout acteur politique non condamné ou dont le parti n’est pas interdit, fait partie du domaine public et peut donc être invité par les médias comme tout autre. Mais il peut sincèrement être répondu qu’au nom d’un certain nombre de valeurs, au nom d’une histoire qui ne peut pas être nié d’un trait de plume sous prétexte de campagne électorale où tout deviendrait permis, il doit être fermement rappelé que Marine Le Pen, non pas en tant que personne, mais en tant que présidente d’un des premiers mouvements xénophobes d’Europe, ne peut sans risque avoir le même traitement médiatique qu’un responsable politique républicain. Parce que ce parti d’extrême droite instrumentalise honteusement le rejet de l’étranger – et ce qu’il amalgame sans cesse à lui – parce que ce parti continue d’utiliser et de cautionner les thèses racistes, antisémites et négationnistes, parce que ce parti continue de mettre en cause, de ce fait, le pacte républicain et la cohésion nationale française, il serait du devoir de Radio J de prévoir, en lieu et place de l’émission programmée autour de Marine Le Pen - qui en ferait bien sûr un argument électoraliste de plus - une émission spéciale sur le sujet, bien insuffisamment traitée à l’heure de la déplorable personnalisation et «pipolisation» de la vie politique : « quelles sont les particularismes politiques du Front national, qui en font encore un parti d’extrême droite, donc extrêmement condamnable ? »
Il y a suffisamment d’experts, avisés et compétents, journalistes, chercheurs et fins observateurs en ce domaine pour éclairer l’opinion, afin qu’elle soit moins dupe de la vaste entreprise de «washing démocratique» que tente, avec trop de complicités, de mener Marine Le Pen. Cela conduirait très utilement à ce que la présidente du FN réponde à cette occasion à une série de questions très précises sur les références, d’hier et d’aujourd’hui, du parti qu’elle dirige.
Auteur, directeur d’un Master, Jean-Philippe Moinet est fondateur de la Revue Civique. Il a été Secrétaire général du Haut Conseil à l’intégration et fondateur de L’Observatoire de l’extrémisme.
Photo : D.R.