Que Le Pen soit Le Pen est dans l’ordre des choses. Qu’il ne comprenne rien, et avec lui, hélas, une partie de ce pays à l’angoisse laissée en partage par le siècle passé, qu’il n’entende rien à la sinistre nouvelle annoncée au monde par la Shoah, notre condition d’homme réduite à une vision zoologique de l’espèce, là est sans doute le véritable naufrage. Le Pen, d’ailleurs, ne nie plus l’existence des chambres à gaz, il en récuse le caractère central. Il met en lumière, ce faisant, non tant le négationnisme voué à demeurer un objet de délire, qu’un relativisme révisionniste « grand public » prompt à réduire Auschwitz à un « épisode » de la violence humaine. Pour le chœur des indignés, le Pen est le monstre préféré. Avec le temps, il est même un peu de la famille. Il figure cet antisémitisme sale, celui qu’avec la satisfaction du devoir accompli on voue à la vindicte générale. Exutoire conforme, Le Pen permet de fermer les yeux sur cette haine des Juifs qui se dit aujourd'hui, à bas bruit et au quotidien, dans une partie de notre pays. Heureux homme qui nous permet de pourfendre l’antisémitisme honteux pour mieux laisser prospérer dans les « quartiers sensibles » de la novlangue un péril autrement plus massif. Voire s’exposer en pleine lumière comme lors des manifestations anti israéliennes de janvier 2009. Communiant dans la conviction d’une juste cause, les indignés d’aujourd’hui ont peut-être hier, en effet, paradé sous la bannière d’un mouvement fasciste dont la Charte appelle explicitement au meurtre des Juifs et à la destruction d’un Etat souverain. Ils ont peut-être défilé à côté de porteurs de roquettes (en carton, certes…). Ils n’ont pipé mot sur les slogans antisémites (proférés en arabe le plus souvent, il est vrai,), avalisant par leur présence, la haine compulsive qui saisit une partie du monde arabo musulman au seul énoncé du nom d’Israël et du mot juif. Ils n’ont pas davantage ouvert la bouche pour récuser le mariage de l’étoile de David et de la svastika nazie, comme ils ont gardé le silence sur le jumelage de Gaza et du ghetto de Varsovie. Ils se sont tus, enfin, à propos du début d’émeute antijuive à Metz quand, les 3 et 10 janvier 2009, 2 à 300 manifestants se sont portés vers la synagogue de la ville. Vers la synagogue ! Comme au meilleur temps de l’antisémitisme de rue. Et dans la quasi-indifférence des médias. Qu’on nous garde donc ce merveilleux homme qui nous aura appris la nécessaire distinction entre antisémites réactionnaires et antisémites de progrès.Et maintenant, éteignez la lumière et laissez couver en paix l’œuf du serpent.
Georges Bensoussan
Historien
Dernier ouvrage paru : Un Nom impérissable. Israël, le sionisme et la
destruction des Juifs d’Europe, Seuil, 2008.