Tribune
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Publié le 4 Mai 2010

La pétition «appel a la raison» ne fait qu’aggraver l’isolement d’Israël, par Roger Cukierman

Au risque de déplaire à tous les thuriféraires qui se complaisent dans la mode ambiante de la critique du gouvernement d’Israël, je ne signerai pas cette pétition « Appel à la raison » adressée à l’Union Européenne.




Certes ces signataires, parmi lesquels je compte beaucoup d’amis, sont sincères et sont mus par leur amour pour Israël.



Certes ils estiment être dans la tradition de l’éthique et de la morale juive.



Certes les principes qu’ils énoncent sont justes: nécessité d’un état palestinien souverain et viable à côté de l’état d’Israël, urgence de cette création pour la paix et pour qu’Israël reste un Etat juif et démocratique.



Certes une telle création implique pour Israël des concessions importantes, et douloureuses.



Mais les signataires n’éprouvent-ils pas un malaise à demander à l’Union Européenne de faire pression sur Israël ? N’est-il pas gênant de passer au dessus de la tête des citoyens de l’Etat d’Israël, de sa démocratie, de son parlement pour imposer à Israël son « véritable intérêt » ? Comme si le débat politique n’existait pas en Israël.



A la seule exception de Silvio Berlusconi tous les chefs d’état occidentaux critiquent le gouvernement d’Israël et exercent déjà des pressions sur lui. On attend d’Israël des concessions unilatérales. Mais quel chef d’état accepterait de prendre la responsabilité de faire des concessions avant même d’avoir entamé la négociation. Sinon qu’aurait-il à offrir à l’autre partie une fois assis à la table de négociation ?



La délégitimation d’Israël fait des ravages dans l’opinion publique. Le mot sioniste est devenu une insulte. On entend dans nos rues crier Israël Assassin, Israël Apartheid, on brûle le drapeau d’Israël, on boycotte ses produits, le tout sans soulever beaucoup d’émotion. Les signataires sont inconsciemment sensibles à ce climat. Ils vont dans le sens souhaité par le Quai d’Orsay et ses équivalents européens et américains car disent-ils c’est l’intérêt véritable d’Israël. Peut-être ont-ils raison mais n’y a-t-il pas une certaine témérité à décréter, alors que nous sommes bien à l’abri de ce conflit, ce qui est bon pour nos frères israéliens qui risquent leur vie et celle de leurs enfants.



Cette pétition ne fait qu’aggraver l’isolement d’Israël.



Elle a un autre effet pervers. Alors que nous, juifs, sommes si peu nombreux, elle a pour résultat de nous diviser publiquement dans notre soutien à Israël. N’aurait-il pas été plus judicieux que ce débat ait lieu à l’intérieur de la communauté et que les conclusions contradictoires de ce débat soient portées à la connaissance du gouvernement israélien autrement que par l’intermédiaire de la presse internationale au prix d’annonces coûteuses. Ou pire, peut-être, en bénéficiant de la gratuité de journaux enclins à vilipender Israël.



Je regrette qu’un des signataires n’ait pas posé sa candidature à la présidence du CRIF où un vote interviendra en Juin. C’eut été le moment et le lieu d’un débat politique fructueux. On me dit qu’on ne débat pas dans les institutions car le soutien à Israël y est inconditionnel. C’est faux : Shalom Ahchav, le Cercle Bernard Lazare, le Cercle Léon Blum, Judaïsme et Socialisme, l’UEJF notamment le prouvent chaque jour. Personne n’interdit la critique. Ces organisations s’expriment au CRIF et ailleurs. La critique est souhaitable et cette élection eut été le bon moment.



Certes la question de la construction de logements à Jérusalem est importante. Mais Israël est le seul pays au monde menacé de destruction par un autre état qui se dote de l’arme atomique. N’était-ce pas un sujet plus légitime et plus grave pour nos pétitionnaires. Le sujet choisi n’est pas le bon. L’adresse, l’Union Européenne non plus n’est pas la bonne. On est dans une vision passéiste du monde où seule l’Europe comptait. L’Europe aujourd’hui est divisée. Elle vieillit. Elle fait des pétitions. Les pôles d’influence et de puissance sont ailleurs, notamment en Asie où les préoccupations concernant les droits de l’homme passent au second plan.



La méthode, la pétition, non plus est désuète. On croit se rendre utile mais c’est un leurre. Rien de positif n’en sortira. Décidément je ne signerai pas cette pétition.



(Judaiques FM, 3 mai 2010)



Photo (Roger Cukierman) : D.R.