Tribune
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Publié le 25 Mars 2010

La porte d’entrée au judaïsme doit rester ouverte, par Dov Zerah, président du Consistoire de Paris et d’Ile de France

« Le thème de la conversion est un sujet de société très sensible, depuis l’Antiquité. Dans mon propos, la conversion concerne seulement l’adhésion à notre foi et à nos communautés de candidats non-juifs. Le processus de conversion pour l’adoption d’une autre religion est un cheminement personnel. Tous les responsables consistoriaux sont régulièrement interpellés par des fidèles sur leur situation ou celle de leurs enfants : un fils pour sa bar mitsvah, une fille, pour sa bat mitsvah, un mariage…J’ai régulièrement été interrogé, au cours de la dernière campagne électorale sur ce sujet…interrogé sur des cas particuliers.




Dans le judaïsme, qui n’est plus prosélyte depuis dix-huit siècles, « est juif celui qui est né d’une mère juive ou a été converti selon la halakha, la loi juive ».



De tous les graves défis et les problèmes auxquels est confronté aujourd’hui le judaïsme, en Israël et peut être plus en diaspora, celui de la conversion constitue sans doute l’un des plus complexes et des plus difficiles à trancher.



Faut-il accepter d’ouvrir largement les portes, de faire preuve de souplesse et de faciliter au maximum l’entrée de ces nouveaux-venus au sein de notre peuple ?



Ou alors, dans le souci légitime et compréhensible, essentiel devrait-on dire, d’être rigoureux, de sauvegarder les bases de notre foi, de préserver l’authenticité de nos convictions, devrait-on manifester prudence et réserves ? Il ne s’agit évidemment pas pour nous de fermer les portes à double tour et de refuser toutes les candidatures et toutes les approches, fussent-elles justes et sincères? Mais d’analyser sérieusement chaque cas et toute candidature, d’en voir les tenants et les aboutissants ?



Il existe au sein des textes du judaïsme des considérations de nature à étayer aussi bien des attitudes foncièrement favorables au prosélytisme que des opinions qui lui sont délibérément hostiles.



Certains parmi les plus grands noms de la tradition juive étaient des descendants de convertis. Ce fut le cas, entre autres, de deux maîtres de la Michna Chemahya et Avtalion ainsi que de rabbi Akiva, maître parmi les maîtres, sans oublier rabbi Meïr, descendant de Néron…Ajoutons à cette liste, le traducteur du Pentateuque en araméen, Onkelos !



Comment ne pas citer également le personnage le plus sublime du panorama biblique que nous évoquons régulièrement au cours de la fête de Chavouoth ? Il s’agit de Ruth, symbole de la conversion sincère. On connaît la formule qu’elle dit à Naomi : « Votre peuple est mon peuple et votre D… est mon D…». C’est d’elle que sortira le Messie, le sauveur d’Israël et de l’humanité



Le peuple juif a été prosélyte…Il ne l’est plus, principalement, parce que nos maîtres ont craint une forme de déperdition de l’essence du judaïsme dans la concurrence à la conversion avec le christianisme naissant. Ce souci de préserver l’authenticité de la foi et des pratiques religieuses a prédominé dans ce choix de refuser le prosélytisme.



Pour le judaïsme consistorial, la conversion doit s’effectuer dans le strict respect de la halakha…Elle incombe au tribunal rabbinique qui doit prendre le temps nécessaire pour se forger son intime conviction sur le candidat à la conversion, sur sa réelle volonté d’embrasser notre foi…La philosophie de la conversion est d’établir de manière non ambiguë que les motifs du nouveau-venu ne sont pas intéressés mais tout à fait sincères.



Il faut reconnaître que ce délai est forcément plus long en diaspora qu’en Israël, car le candidat à la conversion ne vit pas dans le même milieu. En Israël, un candidat à la conversion, lorsqu’il sort du Beth Din baigne dans un milieu juif, et a, à sa disposition, tous les moyens d’accomplir son judaïsme. En diaspora, c’est forcément plus difficile !



Ce problème de la conversion et de ses procédures défraie régulièrement la chronique en Israël, comme en diaspora. Il y a lieu de souligner que le rabbinat israélien a fait preuve de souplesse quand s’est posé le problème des nombreux couples mixtes arrivés dans le pays des anciennes républiques d’URSS...



Pour suivre les candidats à la conversion, les accompagner dans leur cheminement, améliorer l’accueil, nous venons de créer une commission de suivi des conversions. Elle sera co-présidée par le Grand rabbin de Paris et moi-même, le chef du service des conversions et Yves-Victor KAMAMI en seront les deux chevilles ouvrières.



La mission de cette commission n’est pas de remettre en cause la Halakha.



Il s’agit d’améliorer l’accueil et le suivi des dossiers de façon précise, pour chaque dossier, étape par étape, pour assurer à chaque fidèle la conviction que sa démarche est bien prise en compte, et qu’il est dans un processus qui a une perspective d’aboutir. Cela passe, bien évidemment par une évolution de l’organisation du service des conversions, réorganisation à laquelle le Grand rabbin de Paris et moi sommes en train de procéder.



Aujourd’hui 2000 dossiers sont en cours, avec 250 nouveaux dossiers chaque année.



Nous souhaitons mettre en place une méthodologie de l’éducation à la conversion, avec des cours au Consistoire, payés par le Consistoire. Le service des conversions doit donc être un véritable service public offert par le Consistoire.



Pour la famille consistoriale, nous continuerons à penser que la porte d’entrée au judaïsme doit rester ouverte pour tous ceux qui veulent rejoindre une communauté de croyants et de pratiquants. Que chaque cas doit être étudié avec générosité, sérieux et esprit de responsabilité mais sans légèreté.



Car notre priorité reste d’enraciner les juifs dans leur religion et leur culture. C’est ce qui a permis au peuple juif d’être toujours présent, malgré 3 500 ans de vicissitudes de toutes natures… ! Si, malgré toutes nos pérégrinations, nous sommes toujours là, porteurs du message divin, nous le devons probablement à cette attachement strict et sans concessions à notre foi ! »



(colloque sur les conversions au sein des religions monothéistes, organisé par le B’nai B’rith au sénat le 21 mars 2010 )



Photo : © 2010 Alain Azria