Tribune
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Publié le 9 Mars 2004

La presse en folie Revue de la presse (Début mars 2004)

Et si nous parlions des deux mosquées d’Annecy qui ont été incendiées ?


Dans la nuit de jeudi à vendredi (5 mars), la salle de prière musulmane de Seynod (Haute-Savoie) et la mosquée d'Annecy (Haute-Savoie) ont été incendiées. Les incendies sont probablement d'origine criminelle et l'oeuvre des mêmes auteurs, note Catherine Coroller de Libération (06 mars). Pourtant et de leur propre aveu, les musulmans d’Annecy s’estiment bien intégrés note La Tribune de Genève (8 mars). Aucun incident n’a été déploré ces dernières semaines. Le climat entre communautés est plutôt apaisé. Le responsable de la mosquée souligne seulement que cela fait plusieurs années que les musulmans réclament une nouvelle mosquée. « On n’a plus assez de place. Il faut que le maire fasse quelque chose pour nous. Ce n’est plus l’islam des caves et des souterrains, c’est l’islam de 2004. On veut un lieu de culte plus grand pour pouvoir prier dignement, comme les catholiques et les juifs », déclare Benabdllah Bentaleb.

Jacques Chirac a condamné samedi 6 mars « avec la plus grande fermeté » les incendies criminels qui ont touché deux mosquées d'Annecy et de sa banlieue.


Le chef de l'Etat « exprime sa sympathie et sa solidarité à tous les musulmans de France et les assure de la détermination des pouvoirs publics à retrouver et à punir les auteurs de ces agressions », a indiqué l'Elysée dans un communiqué.


Dalil Boubakeur demande également à la communauté musulmane « de supporter avec calme, dignité et une grande vigilance ces coups du sort » et remercie les auteurs de « très nombreux messages de soutien et de sympathie ».


Parmi ces messages, le Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) « condamne avec force » ces incendies et « assure les fidèles de son entière solidarité ». Le CRIF estime que ces actes « exigent des pouvoirs publics des réponses fortes ».

Et si nous parlions de cette culture juive qui se découvre en Côte d’Ivoire ?

De rivages très lointains nous parvient cette information alors qu’en France, quelques bien vilaines âmes rendent responsables les juifs de la traite négrière (sic): « Voir Israël. Présenter son peuple, à travers sa culture et ses traditions. Tel est le souci de l’ambassade d’Israël, qui a ouvert une exposition, au Musée des Civilisations de Côte d’Ivoire. Elle a pour thème, « Le judaïsme au quotidien ». La première Dame de Côte d’Ivoire, Mme Simone Gbagbo était l’invitée d’honneur. En compagnie d’une forte délégation de membres du gouvernement dont des ministres, elle a franchi les portes de ce pays, par un arc installé à l’intérieur du musée. Dénommé « houppa », il est construit « généralement en plein air, pour abriter une cérémonie de mariage ». Se sont ouverts ensuite à l’invitée de marque, les rites et traditions du peuple juif.


Cette exposition est la seconde, après celle d’il y a quatorze mois, sur les sites historiques et les livres d’auteurs israéliens. Prenant la pleine mesure de l’engagement d’Israël aux côtés de la Côte d’Ivoire, la directrice du Musée, Mme Hortense Zagbayou Bekouan a exprimé sa reconnaissance à l’ambassadeur. Sa « Foi en la Côte d’Ivoire, notre pays et ses institutions socio-politiques et culturelles. Et surtout sa foi en Dieu ». Le représentant du ministre de la Culture, M. Kouakou Konan Antoine a salué le peuple juif pour avoir préservé sa culture. En ce sens « qu’elle permet à chaque peuple, à chaque communauté de trouver des formules originales leur permettant de s’adapter à l’environnement et de nouer de proche en proche, des liens avec d’autres aires culturelles, se fécondant pour engendrer de nouvelles civilisations ». (Fraternité matin et allAfrica.com – 4 mars)

Et si nous parlions de la traite négrière ?

Relevons -sans trop nous appesantir sur Dieudonné et parler de lui, ne fut-ce qu’un peu (ce serait lui faire trop d’honneur)- cette judicieuse volée de Bernard Henri Levy dans Le Point (04 mars) : « Au coeur de l'affaire Dieudonné, l'éternel poison de la concurrence des victimes - l'éternelle bêtise de ceux qui vont partout répétant : « à trop vous occuper des juifs, vous ne vous occupez plus assez des autres ; il est, votre martyre juif, comme une ombre portée sur, par exemple, le malheur de l'Afrique ». Je n'ai attendu personne, grâce au ciel, pour m'occuper des deux. Ne pas céder sur la Shoah ne m'a jamais empêché, bien au contraire, d'avoir le Burundi, le Rwanda, l'Angola, le Sud Soudan, au coeur - ni, aujourd'hui, de me réjouir de voir le peuple haïtien débarrassé de son tyran. »

Et si nous parlions de ce trio musical, juif, Chrétien, arabe ?

Une belle histoire nous fut comptée par la station France 3 de Bourgogne - Franche Comté, le 2 mars. Celle d’une belle aventure humaine et musicale que vit, depuis un an, David Raymond, professeur de musique dans un collège beaunois et musicien bourguignon bien connu : depuis un premier séjour en Israël, il a constitué avec deux musiciens qu'il a rencontrés à cette occasion, un joueur d'oud musulman mondialement connu Mohammad Abu Ajaj, et le mandoliniste juif Jacob Reuven, un trio sans nom qui se produira dans un festival de Prague en juin, dans la Nièvre dont David Raymond est originaire, à Mayence en Allemagne, et, ils l'espèrent, au festival des musiques sacrées de Dijon, en octobre 2004.
Les musiques qu'ils interprètent, c'est David Raymond qui les compose. Né à Decize, il a fondé à Dijon le groupe de gospels All Sing, est actuellement le directeur du pôle « art et savoir » de Pro-G Institut ainsi que le leader de plusieurs formations comme le Dz'R Quartet, le trio L'Auberge espagnole et le sextett La Camarilla.

Et si nous parlions de l’Affaire Dreyfus ?

Le 28 février, le quotidien L’Humanité revient longuement sur l’Affaire Dreyfus. L’avocat et historien Jean-Denis Bredin (également membre de l’Académie Française), est interrogé. Et les réponses de l’un des meilleurs historiens de l’Affaire sont d’une grande pertinence. Nous retenons cette toute dernière question :


« En quoi l'affaire Dreyfus est-elle encore d'actualité ?


Jean-Denis Bredin : Pour une part, cette affaire est enracinée par son histoire dans ce XIXe siècle finissant. Mais nous avons vu comment ce vieil antisémitisme français du XIXe siècle avait pu retrouver toute sa vigueur après la défaite de 1940, pour inspirer et soutenir le gouvernement de Vichy et la politique de collaboration. Si la France avait perdu la guerre, n'était-ce pas le travail des juifs ? Ne fallait-il pas, à tout prix, se débarrasser d'eux, " traîtres en puissance " qui avaient sacrifié la France ? Soixante ans après l'Holocauste, on retrouve l'antisémitisme encore vivant ici ou là. Et il rejoint toutes les autres expressions du racisme. L'antisémitisme que nous observons n'est certes plus l'enseignement de l'Église catholique. Il n'est plus du tout l'exigence de l'armée et de la patrie. Mais observons à quel point il demeure enraciné dans les mentalités et les cultures. Il ne serait pas sans intérêt de confronter la société de la fin du XIXe siècle à celle où nous vivons. La première était une société de très fort chômage, d'exode rural, de dure souffrance des artisans, des commerçants, de développement des banques et des grandes industries. Il lui fallait à tout prix des coupables. Le juif, perçu comme une conception souvent mythique, devait incarner le mal. Notre société d'aujourd'hui est aussi, quoique autrement, une société souffrante, engendrant injustices, misères, exclusions. Apparaît vite l'image du bouc émissaire, qui semble une constante dans l'histoire française. Il faut à tout prix dénoncer un coupable que l'on puisse désigner, détester, et s'il se peut combattre. Ce besoin de chercher des boucs émissaires, il se perçoit au début du XXIe siècle comme à la fin du XXe. Chacun d'entre nous risque, s'il n'y prend garde, d'être porteur, même un bref moment, de cette redoutable idéologie qui croit atténuer le malheur en désignant des coupables à tout prix. »

Et si nous parlions des satellites de la haine ?

En décembre 2003, le président du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), saisit le CSA au sujet de la propagation, par le biais de chaînes étrangères diffusées par satellite, de programmes porteurs de programmes racistes, xénophobes ou antisémites. Le 12 décembre 2003, Roger Cukierman mentionne explicitement la programmation, en octobre et novembre 2003 du feuilleton Al-Shatat (Diaspora), diffusé par la chaîne libanaise Al-Manar TV, chaîne liée au Hezbollah. Dans un long article qu’il consacre à cette affaire, Le Nouvel observateur (4 mars) retrace le déroulement de cette affaire et s’interroge également sur les limites du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel.


Le Nouvel observateur explique ce qu’est la chaîne Al-Manar. En quelques mots, tout est dit. Al-Manar « se présente comme «la première chaîne arabe à assumer l’effort de guerre psychologique contre l’ennemi sioniste». Ses programmes les plus populaires sont les retransmissions des attentats suicides contre Israël des héros certifiés «préparés au sacrifice suprême» et les prouesses de l’équipe de foot du Hezbollah, appelée la Promesse. Financée par des dons, la chaîne diffuse aussi des clips de souscription sans ambiguïté. On y voit un paquet de cigarettes et des balles d’armes à feu accompagnés du slogan suivant: «Ces cigarettes coûtent 1000 livres et font mal à tes poumons. Ces balles aussi font mal quand elles se plantent dans les poumons de ton ennemi.» »


Le journal sénégalais Wal Fadjri (L’aurore), quant à lui, dans son édition du 2 mars revient sur cette affaire. Mais Wal Fadjri remarque que des chaînes qui émettent des pays occidentaux diffusent également des programmes racistes : « Nombre de programmes de chaînes de télévision occidentales sont culturellement agressifs, moralement insultants et quelques fois racistes. Et ceux qui les dénoncent s’entendent rétorquer que c’est la liberté d’expression. Mais elle peut faire mal à ceux qui en usent contre les autres », conclut le journaliste sénégalais.

Et si nous parlions de ce que pense Amos Oz de l’Europe et d’Israël ?

De passage à Paris, le nobélisable israélien Amos Oz répond avec l’attention bienveillante qui le caractérise aux questions que le quotidien helvétique 24 heures lui pose. De toutes les réponses, nous extrayons cette réflexion, que nous devrions méditer.

« Quelles réflexions, Amos Oz, vous inspire votre actuel séjour en Europe?

Amos Oz : Nous vivons des temps très difficiles dans nos rapports avec l’Europe. Les médias, une partie de l’intelligentsia occidentale et beaucoup d’Européens tendent à montrer du doigt Israël, ou les Arabes, comme le feraient des juges s’adressant à des prévenus. Cette attitude ne nous est pas utile. Ni les Juifs ni les Arabes n’ont actuellement besoin de leçons: ils ont besoin de faire la paix. Les uns et les autres savent qu’ils n’ont plus d’autre choix qu’un compromis douloureux. Il y aura une partition, et qui va faire mal. Les deux parties vont subir de véritables amputations. Il ne s’agit plus de prendre parti pour un camp ou un autre: il s’agit de faire la paix. Dans cette perspective, l’Initiative de Genève, appuyée par le gouvernement suisse, a représenté l’aide constructive dont nous avons besoin les uns et les autres. L’Europe oublie que nos peuples sont victimes et non coupables. Tant les Arabes que les Juifs continuent de subir les séquelles du colonialisme et de l’antisémitisme, et pourtant c’est nous qui devons nous justifier. Je suis las, pour ma part, d’être interpellé pour me démarquer de la politique d’Ariel Sharon ou répéter que mon pays n’est pas le Rosemary’s Baby des Etats-Unis, autrement dit l’enfant du diable... »

Et si nous parlions de cette Suisse qui avait été condamnée à une peine légère en 1945 pour avoir aidé des Juifs ?

Aimée Stauffer-Stittelmann, une Genevoise qui avait été condamnée à une peine légère en 1945 pour avoir aidé des juifs fuyant le régime nazi, a été réhabilitée, a annoncé la prestigieuse Commission des grâces de l'Assemblée fédérale suisse.

Ayant la double nationalité française et suisse, âgée aujourd'hui de 79 ans, Aimée Stauffer-Stittelmann avait aidé 15 enfants juifs -la plupart orphelins - à franchir clandestinement la frontière entre la France et la Suisse entre 1942 et 1945. En mars 1945, elle avait fait passer à plusieurs reprises la frontière à des personnes fuyant le régime nazi. Elle avait également apporté son aide à un réseau de passage de frontière clandestin vers la France.
Elle avait été arrêtée en 1945 alors qu'elle tentait elle-même de franchir clandestinement la frontière pour se rendre à Grenoble en France. Après avoir passé 18 jours en détention préventive, elle avait été condamnée à 15 jours d'arrêts de rigueur par un Tribunal militaire pour violation des prescriptions sur la fermeture partielle de la frontière. Ce jugement pénal prononcé le 11 juillet 1945 est donc désormais annulé. (The Associated Press)


Et si nous ne parlions pas de la Passion du Christ ?

Nous ne dirons (presque) rien sur ce film ; un petit quelque chose quand même que nous avons lu sur… le site Internet Yabiladi.com. Il s’agit du point de vue de l’écrivain marocain, Abdellah Taïa, qui a retenu notre attention : « Mel Gibson n’a jamais caché sa grande foi chrétienne (il appartient même à une secte très extrémiste qui ne reconnaît pas le Pape), et elle est plus que visible dans ce film. Il est sincère dans sa démonstration, mais il ne s’arrête pas là. Il veut manifestement convertir d’autres personnes, les amener à croire aux mêmes dogmes, jugés par certains comme archaïques. Et “The Passion“ devient franchement dangereux. Pire : une gigantesque mission d’évangélisation à l’échelle mondiale. Le film, on s’en rend compte après, une fois qu’on est en dehors de la salle de cinéma, dans les rues agitées et excitantes de New York un vendredi soir, ne dépasse pas le seuil du premier degré. Il n’y a aucune distance par rapport au sujet, aucun questionnement. Et ce n’est pas un hasard si les institutions chrétiennes ici aux Etats-Unis l’ont plus que soutenu. Contrairement au magnifique « La Dernière tentation du Christ » de Martin Scorsese, (poursuit Abdellah Taïa) tourné en 1987 à Ouarzazate, qui s’interrogeait sur la question de la foi et qui proposait un Christ doutant de sa mission au moment de sacrifier sa vie, allant jusqu'à reprocher à Dieu de l’avoir abandonné, le film de Gibson est bien naïf, ou plutôt se veut naïf, innocent, et est finalement plus que dangereux : une infernale machine de propagande. »

Marc Knobel