Tribune
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Publié le 22 Septembre 2003

La presse en folie que tu as tant aimé… Revue de la presse (mi-septembre 2003)

Et si nous parlions de ce journaliste anglais qui ne lira plus le courrier qui soutient le gouvernement israélien s’il est signé par un nom à consonance juive ?




C’est un vieil article, pourtant, c’est le genre d’article qu’il faut garder en mémoire : et c’est le quotidien israélien Haaretz (5 août 2003) qui révélait cette ténébreuse histoire. Richard Ingrams, un journaliste de l'hebdomadaire britannique The Observer recevait quelques lettres désobligeantes de lecteurs qui furent mécontents de quelques uns des articles qu’il venait de publier sur le conflit israélo-palestinien. Débité, le journaliste fit savoir haut et fort qu’il ne souhaitait plus lire de lettres qui soutiennent le gouvernement israélien… si elles sont signées par des noms à consonance juive. Il écrivit également que chaque personne s'exprimant sur la question devrait déclarer au préalable si elle est juive ou non.


Cette ahurissante réaction fut néanmoins légitimée par la très officielle Commission des plaintes de la presse (sorte d’organe de « surveillance » de l'éthique des medias), qui estima que la réaction du journaliste ne pouvait être assimilée à de l’antisémitisme. La réponse ne se fit pas attendre. Neville Nagler, directeur général du Board of Deputies (l’équivalent du CRIF en Angleterre) écrivit un article pour se plaindre de ce comportement et de la réaction de la Commission : « … Il n’est pas acceptable de discriminer les gens, uniquement parce que le nom de famille pourrait « sonner » juif. Si une personne d’origine juive choisit de soutenir le gouvernement israélien, ces arguments ne seront pas moins légitimes qu’une personne qui n’est pas juive et qui soutient le gouvernement israélien... Je serai intéressé de savoir, poursuit le directeur du Board, si le journaliste accepterait de discriminer une personne dont le nom aurait une consonance arabe et qui accepterait de soutenir une cause arabe ? », conclut Neville Nagler.


Et si nous parlions de Le Pen ?


Tête de liste du Front national aux régionales en Provence Alpes Côte d’Azur, le chef de l’extrême droite estime qu’une victoire en PACA aurait surtout valeur de symbole, rapporte le journaliste Elie Barth (Le Monde, 20 septembre 2003) : « Ce serait un signal de redressement de la nation qui serait interprété ainsi à la fois dans le pays et dans le monde », s’est plu à imaginer Jean-Marie Le Pen. Comme nous espérons grandement que Le Pen sera finalement vaincu, demandons-nous plutôt comment serait interprété son laminage électoral ?


Et si nous parlions des juifs de France ?


Philippe Broussard a mené un travail de longue haleine. Il sonde intelligemment et interviewe de nombreuses personnalités et membres de la communauté juive pour évoquer (en presque deux pages) dans l’édition du samedi 20 septembre 2003 du Monde, le malaise persistant des juifs de France. Dans cette série d’articles, les juifs de France évoquent cette « rupture », ce « choc », cette « fissure » dont ils estiment être les victimes : un chambardement de vie ou, en tout cas, la chose est perçue comme telle, depuis le début de la seconde Intifada. Ce quelque chose de définissable ou pour d’autres, d’indéfinissable et malheureux, et qui a trait à la fois à Israël et à la place des juifs dans la France d’aujourd’hui. Ce quelque chose pourtant rend leur vie plus difficile, qu’elle ne l’était auparavant.


Aussi, explique le journaliste, des juifs ont peur, peur parce qu’ils ont entendu que les violences antisémites pouvaient redoubler ou qu’elles dureraient ; peur parce que des amis ont été agressés ou que quelqu’un de leur entourage a reçu des menaces. Ils éprouvent aussi de la rancœur à l’égard de la gauche, accusée en son temps de passivité, et les médias sont trop souvent mis en accusation, toute une vision « caricaturale » de la presse se développe.


Philippe Broussard remarque alors très justement que les juifs se replient sur eux-mêmes, comme s’ils avaient besoin de se ressouder, de se rassurer. Le repli communautaire est indéniable dans une partie de la jeunesse. La tentation du départ à l’étranger (vers Israël ou l’Amérique) existe bel et bien, même si le passage à l’acte est relativement limité. Et puis, des parents placent leurs enfants dans des écoles communautaires, parce qu’ici au moins, les enfants ne seront pas agressés. Mais finalement et comme le remarque très justement Valérie, étudiante en droit, qui est interrogée par le journaliste, et « jusqu’à preuve du contraire, la France reste notre pays. »


Et si nous parlions de Kippour ?


Claude Vigée (écrivain et universitaire), passe sa vie entre Jérusalem et Paris. Dans la relation qu’il fait de ce qu’est Kippour et de la manière dont on le pratique à Jérusalem, l’auteur rappelle ce que représente Kippour pour chaque Juif. Chaque juif demande pardon trois fois à celui qu’il a offensé. Ce jour-là, il est confronté à lui-même et à son prochain. Pour devenir un homme restauré… D’autres articles du Monde des religions, une toute nouvelle publication (septembre octobre 2003) sont à signaler et à lire ainsi que le dossier de Une sur les rénovateurs de l’Islam qui concilient Coran et modernité.


Et si nous parlions de la laïcité face à l’Islam ?


Sous les plumes de Besma Lahouri et Eric Conan, L’Express consacre sa une au sujet (18/9/2003), relevant dans le chapeau de l’article que « sous les assauts répétés des islamistes, les principes républicains reculent tant à l’école que dans la vie publique. » Et, alors que généralement on n’entend que la voix des musulmans les plus radicaux -pourtant moins nombreux que les modérés- le magazine donne la parole à ces derniers. Alors qu’Ali Bouamama (directeur du département des études islamiques de l’université de Marc-Bloch de Strasbourg II) note que « la France n’est pas un Etat théocratique du Moyen-Orient », Latifa ben Mansour (écrivain) rappelle que « l’Islam bien vécu est serein, paisible, nullement agressif », tandis que Samia Labid (écrivain) stigmatise « ces ignorants qui veulent imposer leur loi. » Abderrhame Dahmane (Conseiller principal d’éducation et président du Conseil des démocrates musulmans) explique que « l’Islam doit être traité comme toutes les autres religions et ne peut être considérée comme une exception. Les politiques ne doivent pas tenir compte des discours démagogiques favorisant ce qui n’est rien d’autre qu’un poujadisme islamiste au profit des fondamentalistes et des intégrismes qui foisonnent déjà sur le place londonienne. » Rachid Kaci (Secrétaire général de la Droite libre, au sein de l’UMP) estime qu’il « ne se sent absolument pas représenté par ce Conseil français du culte musulman, constitué de représentants de nations étrangères dans lesquelles la démocratie et la laïcité ne sont même pas respectées et qui défendent les valeurs des mouvances wahhabites, dont je me sens éloigné et qui sont dangereuses pour la République. » Quant à Sarah Oussekine (Présidente de l’association Voix d’elles rebelles), elle refuse quant à elle, de se voir étiqueter musulmane. « J’ai certes un nom à consonance maghrébine, mais je suis peut-être bouddhiste. La pratique religieuse est une affaire personnelle et ne doit surtout pas être rendue publique … »


Et si nous parlions du dialogue qui est instauré avec les musulmans de France ?


Dans un long entretien qu’il accorde au Figaro (jeudi 18 septembre 2003), le ministre de l’Intérieur revient sur la création du Conseil Français du Culte musulman. Le ministre réfute l’idée qu’il pourrait négocier avec des radicaux : « je ne négocie pas avec les radicaux », affirme-t-il mais « je dialogue avec la communauté des musulmans de France telle qu’elle est dans sa diversité et sa réalité. » Et de préciser qu’il y a « 5 millions de musulmans en France. Que cela plaise ou non, c’est encore une réalité. Je crois à l’importance du spirituel dans la République. L’idéal républicain ne peut satisfaire à toutes les demandes de l’homme. Le droit de croire est un droit fondamental. Les musulmans ne sont pas au-dessus des lois, mais ils ne sont pas au-dessous non plus. » Et Nicolas Sarkozy d’ajouter aussitôt qu’on « ne peut inviter les musulmans de France à respecter les valeurs de la République si on ne les invite pas à la table de la République ». Le ministre précise néanmoins qu’il peut être « ferme » contre tout mouvement intégriste : « les mosquées où l’on prêche l’intégrisme seront fermées, les imams qui tiennent des discours radicaux seront expulsés ; et els conférenciers qui ne présentent pas de garanties de respect des règles républicaines se voient systématiquement refuser leur visa d’entrée en France. »


Et si nous parlions d’Arafat ?


Dans les « débats » du Nouvel Observateur (18-24 septembre 2003), l’hebdomadaire reproduit un court texte de Saïd K.Aburish. Ce journaliste a publié de nombreux livres, notamment « le Vrai Saddam Hussein » (Editions Saint-Simon, 2003, 593 pages, 24 euros). Le texte reproduit ici est extrait de la dernière biographie qu’il consacre à « Yasser Arafat », aux Editions Saint-Simon (516 pages, 22 euros).


Si le texte est très sévère à l’égard du Premier ministre israélien et d’Israël « qui s’est mis à occuper des zones qui étaient sous contrôle total de l’Autorité palestinienne, tuant et capturant des citoyens et rasant des maisons », l’auteur est également très sévère à l’égard de Yasser Arafat : « Arafat était rentré à Gaza en août 1994, embrassant le sol palestinien et faisant le V de la victoire. Cinq ans plus tard, le revenu par habitant avait chuté de moitié. Et le leader s’est enfoncé d’avantage dans la mauvaise gestion. Il n’a prêté qu’une attention distraite au Conseil législatif, le petit Parlement élu après son retour et a débarrassé son administration de toutes les personnes de talent capables de penser par elles-mêmes et d’aller de l’avant…. »


Et si nous parlions de ceux qui s’élèvent contre l’amalgame entre antisionisme et antisémitisme ?


Dans les milieux autorisés et bien-pensant, « Antisémitisme : l’intolérable chantage » -qui vient juste d’être publié par La Découverte- devait faire un tabac. Il est vrai que les neuf auteurs -Etienne Balibar (philosophe), Romy Brauman (ancien président de Médecins sans frontières de 1982 à 1994), Judith Butler (philosophe), Sylvain Cypel (rédacteur en chef du quotidien Le Monde), Eric Hazan (directeur de la Fabrique Editions), Daniel Lindenberg (professeur de Sciences politiques à Paris VIII, conseiller de la revue Esprit), Marc Saint-Upéry (journaliste et éditeur), Denis Sieffert (directeur de la rédaction de l’hebdomadaire de Politis), Michel Warschawski (fondateur du Centre d’information alternative de Jérusalem- exaspérés par l’équation antisionisme = antisémitisme, entendaient dénoncer la « manoeuvre » (sic).

Dans le compte-rendu qu’il fait de l’ouvrage, Jean Birnbaum (Le Monde, vendredi 12 septembre 2003) livre son commentaire. Le journaliste juge le recueil « hétéroclite » et « inégal » et relève « le scepticisme systématique devant la réalité des actes antijuifs. » Ainsi Eric Hazan n’y « voit qu’une paranoïa soigneusement entretenue » par Alain Finkielkraut, Alexandre Adler, ou encore Bernard-Henri Lévy, autant d’intellectuels qu’ils croient bon de réunir dans le style qui lui convient au sein d’une « Star Academy sioniste française » C’est un semblable déni qui affaiblit le propos de Michel Warschawski , lequel, pourfendant le CRIF, « M. Cukierman et le quarteron d’intellectuels qui lui mangent dans la main » évoquent à son tour « un supposé renouveau de l’antisémitisme en France ». Jean Birnbaum souligne de « même suspicion » et « mêmes sarcasmes », dans l’article de Marc Saint-Upéry.


Et si nous parlions des « estropiés » israéliens ?

A noter dans l’analyse de Renaud Girard (« Dix ans après Oslo, seule l’Amérique pourrait imposer la paix », Le Figaro samedi 13 – dimanche 14 septembre 2003), le passage émouvant que nous extrayons : « On parle toujours des morts, mais on oublie le nombre encore plus considérable des blessés dans la population civile israélienne. Ces blessés ne sont jamais « légers ». Combien d’estropiés à vie aura provoqué en Israël l’Intifada palestinienne armée ? La France de 1918 connaissait le même phénomène terrible des « gueules cassées ». Israël subira-t-il la même calamité ? Le monde civilisé se résignera-t-il ? »…


Et si nous parlions de la confession d’une femme dangereuse ?

Comme le remarque très justement Marianne (22 au 28 septembre 2003), « après l’affaire Thierry Meyssan, du nom de ce visionnaire qui avait jugé bon de révéler qu’aucun avion ne s’était abattu sur le Pentagone le 11 septembre 2001 ; on aurait pu croire que le monde de l’édition et des médias prendrait toute élucubration avec des pincettes ». On en a la preuve avec le livre (sic) signé Nima Zamar, et intitulé Je devais aussi tuer (Albien Michel). Selon l’éditeur, il s’agit « d’un document unique ». Le témoignage de première main d’une jeune juive française embrigadée dans les services secrets israéliens, formée à l’école du crime, spécialisée dans la torture, infiltrée chez les Palestiniens, et qui aurait appliqué à la lettre les leçons inculquées. Bref, selon Marianne, « on croit lire du John Le Carré et on se retrouve dans une annexe de grand guignol. »

Cela n’empêche pas l’emblématique Mata Hari du Proche-Orient de faire bien des couvertures de News. Hervé Bentégeat dans Le Figaro (samedi 6 – dimanche 7 septembre 2003) consacre à la pseudo espionne un long article. Mais, le journaliste va plus loin et se lâche fâcheusement si ce n’est honteusement, allant jusqu’à juger que « ses méthodes ne sont pas loin de celles que mirent en œuvre les bourreaux de son peuple dans l’Europe hitlérienne… »

Marc Knobel

Observatoire des médias