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La veille, au Soir 3, Agnès Levallois, journaliste à la revue Risques Internationaux, spécialiste du Moyen Orient, nous avait expliqué que Ahmed Yassine était plutôt un modéré puisqu'il avait à plusieurs reprises "négocié des trêves avec l'autorité palestinienne à la demande des israéliens" pour que puisse reprendre "le dialogue politique". Selon elle, il est "dangereux" de faire le parallèle entre Ben Laden et Cheikh Yassine, car "la nature de la revendication n'est pas la même", l'un voulant "provoquer un chaos sur la scène internationale" alors que "les mouvements palestiniens même les plus radicaux veulent récupérer une partie du territoire pour leur propre peuple alors on ne peut pas comparer le combat politique mené par les Palestiniens - même si on peut contester la façon de mener ce combat politique avec l'utilisation de ces attentats suicides qui sont une catastrophe pour les Israéliens mais également pour les Palestiniens - à la stratégie de Ben Laden qui est vraiment une stratégie de chaos généralisé".
Jean-Paul Chagnollaud, autre « spécialiste de la question palestinienne » invité à C dans l’air le 23 mars ne voit en Yassine que l’ennemi d’Israël et balaye d’un revers de main ses prétentions à une « grande Palestine » et sa revendication des attentats : « il n’est pas sain de faire un décompte des morts, chacun a les siens » dit-il.
Alors même qu’ils critiquaient vertement le film de Mel Gibson pour son apologie du martyr, plusieurs journaux (Libération, le Journal du Dimanche) ont de leur côté publié récemment des biographies très ambiguës de candidat(e)s kamikazes pouvant justifier, dans l’esprit de certains, les attentats suicides et l’appel au martyr dès lors ils étaient l’œuvre de Palestiniens.
Rien d’étonnant alors que madame Leila Shahid pleure, le 28 mars sur le plateau de Ripostes, la perte « d’un grand résistant ». C’est aussi de « résistants » que seront qualifiés les preneurs d’otages irakiens dans le flash spécial pour les sourds et mal-entendants de France 2 de mardi 13 avril.
Le même jour Elie Barnavi répond aux questions de Karl Zero. Celui-ci l’interpelle sur « le rêve pulvérisé par les missiles qui ont déchiqueté Cheikh Yassine », ajoutant « peut-on considérer Yassine comme le nouveau Ben Laden ou faut-il condamner cet assassinat ? » puis sur le lien entre ces événements et une éventuelle flambée d’antisémitisme. A l’étonnement de son interlocuteur Elie Barnavi répond à la première question « On peut penser les deux. Yassine était bien une sorte de Ben Laden, mais était-il tactique de l’éliminer maintenant » ; à la deuxième : « l’antisémitisme c’est votre problème, il faut s’occuper de l’antisémitisme comme si le Proche-Orient n’existait pas ».
Le 14 avril, Arte consacrait une soirée aux théories du complot. Après deux documentaires successifs (le premier intitulé « le 11 septembre n’a pas eu lieu » et le second « Le grand complot »), trois « experts » entament un débat sur le plateau. Le plus sévère est probablement Emmanuel Val, directeur de rédaction de Charlie Hebdo. Pour lui, il y a un lien indéniable entre anti-américanisme et antisémitisme, et la théorie du complot américain n’est « qu’une resucée du complot juif mondial ». Il n’hésite pas à mettre en cause l’extrême gauche qui « mélange anticapitalisme et antisémitisme » et « utilise ses anciennes grilles d’analyses pour décrypter un monde nouveau » pour ne pas se donner la peine de faire une nouvelle analyse. Tous mettent en cause les éditeurs qui éditent ces thèses, Internet qui les propage, mais aussi les journaux qui en font des « marronniers », et surtout des émissions comme les « Guignols de l’Info » ou « Tout le monde en parle » (Thierry Meyssan a vendu 130 000 exemplaires de son livre après son passage à cette émission). Pour Emmanuel Val, Thierry Ardisson n’est pas un naïf, « C’est bien plus grave que ça. C’est une propagande pour des choses dangereuses comme le terrorisme. Donner une parole comme ça, sans contradiction, sans critique dans le service public, c’est très grave ». Car, ces adeptes de la théorie du complot expriment avant tout une « haine de la démocratie » et sont « complices des terroristes ».
Arte toujours, propose le lendemain à 21h35 un reportage sur un village palestinien où les habitants « privés de toit et de ressources » du fait des Israéliens qui détruisent leurs maisons, se retournent vers les mouvements islamistes qui s’occupent d’œuvres de secours. Depuis l’assassinat du Cheikh Yassine, nous dit le reporter, « les Palestiniens ont de nouveau les armes à la main » et « les extrémistes ne se cachent même plus ». Il interviewe finalement un chef religieux qui lui dit qu’après la reconquête des territoires palestiniens, le seul moyen d’avoir la justice sera un Etat islamique. « Les Juifs pourront continuer à y vivre », cependant dans le monde entier, on a vu que « quand les Juifs se sont trouvés à un endroit, ils les ont corrompu ». « C’est ce discours antisémite qui est enseigné aux enfants » nous dit le commentateur tandis que la caméra s’attarde sur des enfants qui commentent un mur où figurent des photos des martyrs et sur d’autres porteurs « de vraies armes ».
Thierry Ardisson s’était, paraît-il, excusé de son « erreur » concernant Thierry Meyssan. Pourtant, samedi 10 avril il recevait le comédien Albert Dupontel. Complètement hors de propos, celui-ci revient sur l’incident au cours du quel « Alain Finkielkraut a fait pleurer Juliette Binoche en parlant des Palestiniens qui n’avaient pas de politesse dans leur désespoir puisqu’ils allaient se faire sauter chez les autres ». Selon lui « c’était indécent car il faut vraiment être désespéré pour se faire sauter avec un bâton de dynamite ». Thierry Ardisson opine et le public applaudit à tout rompre.
Puisqu’il est question d’experts, comment ne pas mentionner qu’un aréopage d’experts (en fait, trois réalisateurs) vient d’attribuer le Grand prix du 2e Festival international du film des droits de l'Homme à « Route 181 ». Ce film pose en principe premier le « crime originel d’Israël » que représente sa création. A partir de là, il incite à la haine des Juifs, « «nazifie» une population entière, accumule des désinformations faciles à démontrer, des vérités historiques très contestées, sans compter un plagiat avéré et sans doute passible d'un procès » (Anny Dayan Rosenman, Libération 1er avril). On peut par exemple y entendre que les Juifs ont quitté les pays arabes par un « phénomène de mode » et qu’ils ont conçu le projet de coloniser la Palestine et d’en chasser les Palestiniens dès 1850. Les organisateurs du Festival sont l’association Alliance qui a pour objet « d'augmenter la visibilité des programmes concernant la solidarité, les droits de l'Homme, les enjeux humanitaires et le développement durable dans les media », aidée par Terre des Hommes France, la mission cinéma de la Mairie de Paris, Arte, l’Alliance des éditeurs indépendants, Alternatives Internationales (sous produit de Télérama), radio France Internationale, RMC et TV5.
Anne Lifchitz-Krams