Tribune
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Publié le 12 Mai 2006

La solidarité avec les Arméniens ne doit pas nous empêcher de nous interroger sur l’opportunité de la pénalisation de la loi de 2001

La question de la reconnaissance du génocide arménien est très présente en France. Vous vous souvenez que le législateur est intervenu sur cette question avec une loi purement proclamative, c’est-à-dire énonçant un fait, sans aucune autre disposition législative, et notamment sur le plan pénal. Il y eut aussi la loi Taubira sur l’esclavage, puis la loi sur les effets bénéfiques de la colonisation. Résultat, en décembre dernier , des historiens et des intellectuels se sont émus de la prolifération de ces interventions législatives, y voyant là un danger pour leur discipline, craignant que la vérité historique ne devienne un enjeu politique n’ayant rien à voir avec le véritable travail de recherche. Ils demandaient donc l’abrogation de toutes ces lois et ils incluaient la loi Gayssot.


Il y a quelques semaines, j’ai expliqué que si ces lois, dites lois mémorielles, sont effectivement pernicieuses, la loi Gayssot n’en fait pas partie car celle-ci sanctionne un trouble à l’ordre public, elle sanctionne une forme contemporaine du discours antisémite, et c’est ce discours antisémite qui doit être puni comme toutes les formes d’expression raciste.
Aujourd’hui, nos amis arméniens demandent une pénalisation de la loi qui proclame la réalité du génocide que leurs familles ont subi.
Prenant comme modèle la loi Gayssot, ils revendiquent le même régime juridique contre tous ceux qui nieraient ce premier génocide du XXème siècle. Il faut les entendre. Nous ne pouvons être qu’à l’unisson de la souffrance de ceux qui sont meurtris par cette négation aussi inadmissible qu’intolérable. Je rappelle les manifestations indignes et scandaleuses qui se sont déroulées à Marseille et à Lyon et réunissant quelques centaines de personnes qui voulaient s’opposer à l’érection de monuments en mémoire des victimes arméniennes. Nous ne pouvons que condamner fermement ces comportements racistes. Les juifs de France doivent s’élever avec vigueur contre ces manifestations. Les juifs de France connaissent trop bien les ravages que peuvent entraîner ces négations et ce qu’elles dissimulent. La solidarité avec les Arméniens doit être totale.
Cependant je ne pense pas que la pénalisation de cette négation soit opportune.
Mais que l’on ne me fasse pas un mauvais procès. Mon propos n’a rien à voir avec la fabrication d’une quelconque échelle de valeur ou d’importance dans la comparaison de ces deux tragédies. Ce serait inconvenant, voire obscène à l’égard des descendants arméniens, nos fidèles amis.
Le fou, l’inculte, qui, en France, contesterait ces crimes, devrait effectivement être considéré comme un fou et comme un inculte. C’est un peu comme si quelqu’un venait aujourd’hui nier l’existence de l’esclavage ou des traites négrières. Cela n’aurait aucun sens et personne ne pourrait donner statut à ce type de discours qui ridiculiserait leur auteur, mais malheureusement en blessant les arméniens. Mais, en France, cela ne traduit pas un racisme spécifique contre les Arméniens. Ce racisme-là, en tant que tel, n’existe pas en France, ou alors il émane de quelques centaines de personnes et certainement pas d’éducateurs ou d’intellectuels. Je rappelle qu’en tout état de cause, les associations de défense de la mémoire arménienne peuvent agir en France sur le plan civil, c’est à dire pour obtenir réparation.
En revanche, ce racisme existe en Turquie, et c’est là que le combat législatif doit avoir lieu. C’est surtout là-bas que toute négation doit un jour être pénalement sanctionnée. Jusqu’à présent, les autorités turques ne voulaient pas entendre parler de la responsabilité de la Turquie dans ce génocide et des colloques universitaires sur cette question ont même été interdits l’an dernier.
C’est en Turquie que la négation de ce génocide devra être sanctionnée, car c’est en Turquie que se développe et se nourrit le racisme anti- arménien. Voilà pourquoi nous devons soutenir et aider sans cesse les Arméniens de France dans leur combat contre la position de dénégation des autorités turques. Les juifs de France sont les mieux placés pour comprendre leur douleur et leur exaspération et il faut relire l’admirable livre de Vassili Grossman « Tout passe »pour nous rappeler la solidarité arménienne à l’égard des juifs victimes de la Shoah. C’est fort de cette solidarité sans faille que nous pourrons alors évoquer avec eux la pertinence d’une nouvelle loi Gayssot.
Michel Zaoui
(Judaiques-FM, 12 Mai 2006)
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