Tribune
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Publié le 20 Mai 2009

La terrible obstination du témoignage face à celle du crime

A l’occasion du pèlerinage annuel des camps de Pithiviers et de Beaune-la-Rollande, le 17 mai 2009, une cérémonie a eu lieu en présence de Richard Prasquier, président du CRIF, du sous-préfet de Pithiviers représentant le préfet de Région, d'élus de la Région, du Président de l'UDA, de Raphaël Esraïl, secrétaire général de l’Amicale d’Auschwitz, et de Serge Klarsfeld, président des FFDJF... Eliane Klein, déléguée du CRIF pour la région Centre a souligné le rôle fondamental des témoins, qui comme l’a dit Georges Bensoussan « en écrivant le passé, mettent des mots là ou, jadis, le silence prévalait ».

Je dédie mes paroles à Guilad Shalit, toujours prisonnier du Hamas et qu’aucune organisation humanitaire n’a pu visiter depuis bientôt 3 ans !

Cela fait maintenant 12 ans que je viens chaque année, en mai, à Beaune la Rolande et Pithiviers et je ne peux commencer sans évoquer ceux qui m’ont conseillé, encouragé, soutenu dans mon travail de Mémoire et d’Histoire, ceux qui, vivants ou disparus, restent à jamais pour moi, un modèle de courage, d’engagement, de générosité. Je parle de Zalman Brajer, d’Henry Bulawko et de toutes celles et ceux qui ont consacré une grande partie de leur vie à témoigner, qui, face à la terrible obstination des nazis d’effacer toutes les traces de leurs crimes, ont répondu par leur formidable volonté de vivre, leur volonté d’œuvrer pour que la mémoire de la Shoah ne s’efface pas et soit transmise aux futures générations.
Aussi, le geste que nous accomplissons ici, chaque année, en mai, s’inscrit dans notre volonté de ne pas figer la mémoire et de la banaliser en nous tenant aux formules compassionnelles, moralisatrices ou incantatoires, au sempiternel « plus jamais ça » qui n’engagent à rien, qui sont souvent sources d’oubli ou de bonne conscience.
Il s’agit, ici, d’une démarche qui nous oblige, un témoignage de notre fidélité et de notre dette envers ceux qui ont été assassinés, ont disparu, sans sépulture, sans cimetière où nous recueillir.
Il s’agit de réfléchir sur ce crime unique, irréparable, perpétré sur le sol européen, meurtre de masse advenu dans le silence des nations, la Shoah, l’anéantissement programmé de tout un peuple, d’une langue, d’une culture, avec la complicité active du Régime de Vichy.
A la source de notre réflexion, il y a l’impératif de la connaissance rigoureuse des faits, de leur chronologie, du cheminement idéologique qui a entrainé l’exclusion de presque tout un peuple, le peuple juif.
Dans cette démarche, il ne s’agit pas de raisonner en termes de chiffres, mais de penser aux hommes, femmes et enfants qui ont été « interdits de vie ».
Pour connaitre et transmettre cette Histoire – tout en sachant qu’il y aura toujours quelque chose d’intransmissible dans le calvaire vécu dans les camps de la mort ou sous les balles des Einsatzgruppen-, il nous faut prendre le temps de l’écoute, de la lecture et de la réflexion.
Ecouter la parole des derniers survivants, lire les récits, poèmes, chroniques, écrits avant et pendant la Shoah, est fondamental : c’est la « terrible obstination du témoignage face à la terrible obstination du crime » (Albert Camus).
La voix des témoins-survivants s’affaiblissant, le rôle des historiens est primordial aujourd’hui dans notre quête de sens.
Leur travail s’oppose à la tendance à l’oubli, voire à la négation, car « en écrivant le passé, ils mettent des mots là où, jadis, le silence prévalait » (Georges Bensoussan). Ils soulignent la singularité de cette catastrophe où, contrairement aux massacres précédents, le projet démentiel fut d’aller chercher les juifs partout où ils se trouvaient, les convoyer jusqu’au lieu de leur assassinat et les réduire en cendres pour effacer jusqu’à la trace de leur mort : la destruction des Juifs était un but en soi pour les nazis.
Le récit historique nous fait appréhender cette terrible vérité : la barbarie a coexisté avec le progrès technique dans une nation civilisée de l’Europe du XXème siècle.
Aussi se pose la question de l’enseignement de la Shoah, au programme des CM2 en particulier.
C’est une tâche difficile pour des enseignants dont l’une des missions est de transmettre des valeurs universelles fondées sur le respect de la dignité humaine.
Comment évoquer l’horreur absolue sans traumatiser ni désespérer les élèves, mais en leur donnant des clés pour déchiffrer le passé et engager l’avenir pour qu’ils deviennent des citoyens au « cœur intelligent » (Hannah Arendt).
Des Institutions ont mis en œuvre un travail de mémoire et d’Histoire exigeant et rigoureux : L’historienne franco-israélienne, Michal Gans, a conçu, pour l’association Yad Layeled France, en particulier, une mallette pédagogique pour les CM2 et le Collège, ayant pour principe de se situer dans une démarche historique, passant par le récit de destins d’enfants, soit survivants, soit assassinés. Il s’agit de susciter le questionnement et la curiosité des élèves et de les inciter à réfléchir sur le racisme et l’antisémitisme, phénomènes d’essence, de nature différentes, mais qui peuvent mener au pire quand ils sont instrumentalisés par des régimes totalitaires.
Dans notre région, le CERCIL, Institution de Mémoire et d’Histoire, qui vient d’acquérir des outils très performants pour la consultation et la numérisation des archives, accomplit depuis 17 ans un travail exemplaire de recherche historique, de recueil de témoignages, de recherche pour les familles, de constitutions de fonds documentaires, de conférences, expositions, (vous pourrez visiter l’expo sur « les enfants dans les camps » au lycée) débats, colloques, présentations de films, de pièces de théâtre et publications d’ouvrages remarquables.
A ce sujet, suivant en cela le chemin tracé par Serge Klarsfeld dans « Georgy », les derniers livres, véritables œuvres d’art, nourrissent notre imaginaire, notre connaissance et notre réflexion.
Chaque année, le CERCIL présente un programme d’activités autour de thèmes spécifiques en rapport avec la Shoah et propose également une réflexion sur le phénomène des génocides (Cambodge) et autres tragédies (l’histoire de la guerre d’Espagne et le sort des Républicains espagnols).
En effet, le travail d’Histoire que je viens d’évoquer est une nécessité absolue pour éclairer notre présent.
Et, en particulier, à l’heure où nous assistons à des phénomènes préoccupants.
Je pense au « comparatisme échevelé », plus pervers que le négationnisme brutal, qui gomme la spécificité de la Shoah en lui assimilant des évènements passés ou actuels. Au nom de l’égalité de toutes les victimes, on banalise les heures les plus sombres de notre histoire. Pire, on établit un parallèle entre sionisme et nazisme. Je pense à des manifestations, en France, où, sous prétexte de soutien à la « cause palestinienne », on a pu voir des banderoles portant l’inscription : « MORT AUX JUIFS » et la croix gammée accolée au drapeau de l’Etat d’Israël.».
Ces paroles haineuses avaient déjà autorisé des actes antisémites – comment oublier la mise à mort du jeune Ilan Halimi en février 2006 par une bande auto-proclamée « gang des barbares », que certains médias ont fait passer pour un simple fait divers, faisant preuve d’un aveuglement inquiétant. L’obnubilation de la Shoah aurait-elle un effet pervers sur certains, les rendant incapables de déchiffrer les calamités du temps présent ?
Comment ne pas évoquer, ici, les inquiétantes dérives observées lors de la Conférence dite de Durban II, à Genève, même si le déchainement antisémite de Durban I a été, dans une certaine mesure, empêché (malgré les propos incendiaires du président iranien).
Au nom d’un relativisme culturel, d’un particularisme fondé sur une interprétation intégriste de la religion, au nom d’un ressentiment, voire d’une haine de l’Occident- en particulier Israël- des Etats semi-dictatoriaux ou dictatoriaux, obscurantistes, corrompus, fanatiques, sexistes, esclavagistes pour certains , se posent en victimes du racisme, et cela avec l’appui de pays « alliés » d’Afrique, d’Asie ou d’Amérique latine : au sein même de l’Onu, ces Etats, véritables violateurs des DDH, portent atteinte à ce qui est au cœur-même de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme : l’UNIVERSALITE de ces Droits. C’est un véritable renversement des valeurs, où » comment des majorités automatiques pervertissent les DROITS DE L’HOMME (Georges Bensoussan).

Mais, cette fois, la plupart des Etats démocratiques ont bataillé dur et ont, en partie, obtenu gain de cause dans la déclaration finale.
Le chemin est encore long pour que les valeurs universelles qui fondent la Démocratie soient reconnues et respectées. Face à ce défi, instruits par la connaissance du passé, nous ne pouvons pas nous dérober.



Eliane Klein