Tribune
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Publié le 7 Décembre 2010

Le Djihad Sur Internet, Par Marc Knobel

La plupart des sites Internet qui s’adressent aux musulmans ne développent pas de discours antioccidentaux, il faut donc insister sur ce point. Il ne s’agit donc pas de généraliser et encore moins de considérer que tous les sites se livreraient au Djihad et à une guerre contre les « mécréants ». Cependant, les islamistes ont vite compris le parti qu’ils peuvent tirer d’une utilisation rationnelle et systématique d’Internet. Aussi, dans les pays francophones, par exemple, plusieurs sites fondamentalistes (une trentaine au moins) qualifient l’ennemi, en appellent au Djihad et encouragent les attentats terroristes. Ces sites développent des thèses qui trouvent leur justification, sous une forme ou sous une autre, dans les textes sacrés, vus et corrigés par leurs auteurs. De fait, cette courte étude a un seul but : comprendre comment et pourquoi les fondamentalistes utilisent le Web.




Il y a peu, sur le site d’Al Mourabitoune, un internaute rappelait que l’un des prédicateurs d'une des mosquées d'Europe avait déclaré qu'il n'est pas permis de considérer les juifs et les chrétiens comme des mécréants. Comme l’internaute estimait que la majeure partie des gens qui s'occupent des mosquées en Europe sont des « ignorants », l’auteur du texte ci-dessous publia un extrait de la Fatwa « l-Islamiya » du Cheikh Mouhammad Saleh Ibnoul Outhaymine :
« Ce qu'a dit cet homme induit en erreur son auditoire. En fait, on peut considérer ceci comme un kufr (blasphème) car Allah a déclaré que les juifs et les chrétiens sont des incrédules (koufar) dans Son Livre. Les juifs ont été décrits comme ceux qui ont mérité la colère d'Allah. C'est parce qu'ils ont su la vérité et ont choisi d'aller à son encontre. Les chrétiens ont été décrits comme ceux qui se sont égarés. C'est parce qu'ils ont cherché la vérité mais se sont trompés. Maintenant, tous savent la vérité et le reconnaissent. Cependant, ils vont à son encontre. Par conséquent, ils méritent tous d'avoir la colère d'Allah sur eux. J'appelle tous ces juifs et chrétiens à croire en Allah et tous ses Messagers. »
Sur les sites fondamentalistes, d’autres textes véhiculent la théorie du grand complot. Ce complot serait fomenté pour déstabiliser le monde et selon les auteurs de ces textes, la troisième guerre mondiale sera forcément dirigée contre l’Islam et les pays musulmans. Aussi, plusieurs rumeurs se développent-elles. Elles reprennent à leur compte la fameuse thèse qui a été développée par Thierry Meyssan, qui prétend dans son livre « l’effroyable imposture » (Carnot, 2002) qu’aucun avion ne se serait écrasé sur le Pentagone, le 11 septembre 2001, et que l’explosion serait en réalité un attentat qui aurait été perpétré par des militaires américains poursuivant de sombres dessins antidémocratiques. Sur le site falestine un auteur se demandait à qui ont profité les attentats du 11 septembre 2001 ?



«Aux musulmans ? Non bien sûr, puisqu’ils en sont les grands perdants sur tous les points de vue ! Aux américains et aux sionistes ? Oui, à l’unanimité ! Ils sont les grands bénéficiaires sur tous les points de vue : économique, militaire, en termes de prestige et de communication. Avec ces attentats se sont définitivement tues les sympathies et les voix des opprimés palestiniens. Et, aujourd’hui, les crimes continuent de plus belle sans qu’aucune voix dans le monde ne s’élève pour condamner ces crimes ! »
Sur ces différents sites, il se développe donc une argumentation que nous pourrions résumer de la manière suivante : les attentats du 11 septembre 2001 servent les intérêts américains et Juifs. Ils sont un prétexte pour envahir l’Afghanistan puis l’Irak. Et, au nom de la lutte antiterroriste, les américains vont envahir d’autres pays arabes et l’Iran. Ils surveillent également les sites nucléaires pakistanais et empêchent l’Iran de se doter de l’arme nucléaire. Par ailleurs, les américains continuent de soutenir Israël, qui jouit ainsi d’une immunité totale. Les Américains préparent ainsi militairement et psychologiquement leur peuple à affronter l’Islam. La troisième guerre mondiale surviendra alors. Pour les auteurs de ces textes, il semble évident que les attentats du 11 septembre ont été perpétrés par des agents de la CIA ou du Mossad. Mais, l’argumentaire sur les attentats du 11 septembre reste marqué par l’ambivalence. La négation de l’implication de musulmans se conjugue à un contentement, « justifié » par la persécution des musulmans dans le monde qui ont enfin donné une bonne leçon aux USA et par des fatwas légitimant de tels actes.



En règle générale, ces sites s’identifient d’abord à la cause palestinienne. Le sionisme est globalement vu et perçu comme la manifestation contemporaine et ultime de cette aspiration occidentale à dominer le cœur du monde islamique et arabe. L’identification est à cet égard incomparablement plus forte qu’elle ne l’est pour les musulmans bosniaques (tardivement islamisés) ou les Tchétchènes, pour les habitants du Cachemire ou pour les groupes fondamentalistes qui combattent aux Philippines ou en Indonésie. Et cette cause n’est pas essentiellement présentée comme une cause nationale (un pays à créer, la Palestine), mais comme la défense d’un Islam assiégé par les Croisés (juifs et chrétiens).



Aussi de fil en aiguille et à force de prétendre que l’Islam est assiégé et qu’une guerre totale est engagée contre les musulmans, les fondamentalistes encouragent le Djihad ainsi conçu.



Si l’on tape par exemple, dans le moteur de recherche Google « Faire le djihad », on reçoit, en vrac plus de 300.000 réponses. L’une d’entre elles pose une question : « Le Djihad apporte t-il plus de mal ? » Ouverture de la page d’accueil : « Bienvenue au site Coran et Sunnah ». Puis, la réponse est donnée par le Cheik Ali Ben khudeir Al Khudeir :



« Le fait de dire que le djihad apporte des inconvénients entraîne l’abolition du djihad et l’abolition des opérations qui dérangent et affaiblissent l’ennemi. En fait, il n’existe aucun acte de djihad qui n’entraîne pas des pertes matérielles et/ou humaines. Si l’on présume que les victimes (du 11 septembre 2001) sont innocentes et que les opérations ont apporté du mal (aux musulmans), il ne faut pas oublier que les innocents tués par l’Amérique sont beaucoup plus nombreux et le mal qu’ont causé l’Amérique et ses alliés est plus terrible et plus abominable. »
Sur le site francophone islamiya.net les internautes pouvaient poser des questions et soumettre leurs remarques au cheikh Muhammed Saleh Al Munajjid. Officiellement, le site condamnait les attentats sur sa page d’accueil. Pourtant on pouvait lire :



« …Peut-on considérer le djihad comme une obligation pour nous tous, étant donné que les droits des musulmans sont bafoués, en raison notamment de l’invasion étrangère ? …S’engager dans le djihad pour élever le mot d’Allah, protéger l’islam, assurer les moyens de sa diffusion et sauvegarder ses institutions sacrées est une obligation pour celui qui est capable. Mais, il faut que d’abord les oulémas incitent les chefs musulmans à créer des armées bien organisées et disciplinées. Si les chefs prennent cette initiative, ceux qui sont aptes à se battre doivent les suivre. Dans ce cas, quiconque refuse d’y participer sans excuse est sous doute un pécheur….Si vous deveniez un soldat chargé de combattre les juifs ou d’autres infidèles, soyer sincère dans le combat que vous leur livrez, ayez l’intention d’assurer le triomphe de l’islam et des musulmans et de faire en sorte que le mot d’Allah soit le plus élevé et le mot de la mécréance sera alors pour la cause d’Allah »
Dans le texte intitulé « L’avis islamique concernant la permission de réaliser des opérations martyrs », sur un autre site, l’auteur sacralisait les opérations « martyrs » et réfutait la dénomination « d’attentat suicide » qui en est faite :



« En fait, les Juifs ont choisi ce mot pour dissuader les gens d’y recourir. O combien est notoire la différence entre celui qui se suicide parce qu’il est malheureux … et celui qui fait sacrifice de sa personne en se lançant dans l’opération – parce que sa foi et sa conviction sont fortes et qu’il désire donner victoire à l’Islam en sacrifiant sa vie pour que la parole d’Allah soit la plus élevée ! »
Dans ces pages on apprend que le Djihad est une obligation, et non une option facultative pour tous les musulmans mâles, sains, et matures :
« Nos frères martyrs ont écrit de leur sang une histoire dont nous pouvons être fiers et le sacrifice de leur personne ne fait qu’accroître notre désir de mourir en martyr, afin de rencontrer Allah et d’être ressuscité en compagnie du Prophète (paix et bénédiction sur lui), de ses compagnons et de tous les autres prophètes, des martyrs et des pieux. »
Sur un autre site (sajidine.com), le djihad est présenté comme « la voie de Dieu » :
« Le djihad islamique, avec ses conditions, ses règles et ses usages, fut une source bienfaitrice et une bénédiction générale pour le monde, une grâce pour l'humanité. Depuis qu'il a cessé d'être observé, le monde est privé de ses profits et de sa bénédiction. Les guerres ethniques, nationales, lucratives et politiques, ainsi que les révolutions locales ont pris sa place, par lesquelles ce n'est guère la face de Dieu qui est désirée ni la suprématie de la Parole de Dieu qui est visée, ni le fait de sauver l'humanité de la Grande ignorance (al-Jâhiliyya) et de l'adoration des idoles, ni la purification de l'âme et sa quiétude. L'humiliation toucha ainsi les musulmans ; ils perdirent leur valeur et le poids qu'ils représentaient, suite à son abandon…. Or, le djihad ne se limite pas au combat, lequel peut constituer sa meilleure forme lorsqu'il est nécessaire. En fait, tout effort engagé pour la suprématie de la Parole de Dieu et de sa religion fait partie du djihad… Il n’est pas permis aux musulmans de rester indifférents à ce qui arrive à leurs frères en religion et aux opprimés parmi eux, ceux qui subissent l’injustice, l’humiliation, la persécution et toutes sortes de cruautés dans un pays quelconque, leur sort étant de professer l’Islam… »
Mentionnons également la Fatwah de cheikh Salman ibn Fahd al-'Awdah Hafizahullah sur le statut des opérations martyrs en Islam :



« Quant à celui qui frappe jusqu'à la mort, alors ça doit être sous le contrôle de gens qui ont de l'expérience comme nous l'avons cité, pour s'assurer qu'il y aura des morts et des blessés, qu'il y aura de gros dégâts, que la terreur soit répandue chez les ennemis, que ça les pousse à rentrer chez eux sans pour cela engendrer des représailles graves de leur part, tel que se venger en tuant des innocents, ou la destruction des villes et des villages, ou toute chose semblable. »
Un rapport édifiant



Dernièrement, grâce à des spécialistes de l’islam radical, le journal Le Parisien-Aujourd’hui en France avait pu accéder à divers sites intégristes sur Internet et avait rapporté cette enquête dans son édition du 20 septembre 2010 (p. 2-3). La mouvance islamiste utilise le « réseau des réseaux » et les sites qu’elle rassemble sont foisonnants et terriblement dangereux. Sous couvert de pseudonymes, les journalistes avaient pu durant plusieurs semaines consulter les différents discours et messages de propagande et échanger avec des internautes. Le rapport qu’ils font de cette expérience est édifiant.



Différents discours des figures majeures de la nébuleuse islamiste sont accessibles. Ces textes, parfois longs de plus de cinquante pages, sont traduits en français. Ainsi, sur un « forum islamique », l’Égyptien Ayman al-Zawahiri (le numéro deux d’Al-Qaïda) répond longuement (mais pas en direct) à des questions d’internautes ; l’un d’eux demande s’il faut « partir au combat ». « Oui, l’assure Zawahiri, il y a la possibilité de partir en Irak ou en Afghanistan si la personne trouve un guide de confiance. » Parmi des récits de « référence », on trouve aussi un « Message à la jeunesse » d’Abdullah Youssouf Azzam, cheikh palestinien qui fut à l’origine du premier jihad en Afghanistan. « Rien que le jihad et les armes. Pas de négociation, pas de discours, pas de dialogue », répète celui qui fut l’un des modèles de Ben Laden. « Allah nous prépare pour la victoire », détaille pour sa part, sur une trentaine de pages traduites à partir de cours enregistrés, l’Américain d’origine yéménite Anwar Al-Awlaki –cet imam extrémiste de 38 ans a été abattu au Yémen fin 2009. Propagandiste jihadiste, il avait fait de la Toile son principal outil d’influence, et passe pour avoir été le « conseiller spirituel » de trois des auteurs des attentats du 11 Septembre 2001 et, plus récemment, de Nidal Malik Hassan – ce psychiatre de l’armée américaine a tué treize personnes en 2009 au Texas.



Si, en apparence, la tonalité religieuse domine sur la plupart des sites radicaux, l’un d’entre eux est ouvertement guerrier. Le discours jihadiste prône de combattre « Juifs, croisés et sionistes ». Mais l’ennemi est aussi « intérieur » : toute autre lecture de l’islam est rejetée, car définie comme « égarée » ou « déviante » (et ses responsables sont mis à l’index). L’incitation qui est fait est de combattre à l’étranger, auprès des « frères » en Palestine ou en Afghanistan, mais aussi « les gouvernements arabes corrompus » (Maghreb, Arabie saoudite…). Les discours guerriers s’adressent également aux femmes, les « cavalières de l’islam » (combattantes tchétchènes ou palestiniennes). Un « cheikh martyr » détaille ainsi leur rôle « dans le combat contre l’ennemi », tout de « sacrifice » à l’époux et au fils. Un texte signé de l’épouse d’Al-Zawahiri et adressé aux « sœurs musulmanes » vilipende « l’Occident impie qui ne veut pas que tu te pares de ton hijab, car cette pratique divulgue leur déclin et la bassesse de leurs mœurs », rapporte Le Parisien.



Chercheur au Centre d’études et de recherches internationales de l’université de Montréal (Canada), Samir Amghar est membre de l’Institut d’études de l’islam et des sociétés musulmanes (IISMM). Interrogé par le quotidien, il estime qu’« Internet est devenu la principale source d’information religieuse, mais aussi le principal pourvoyeur de radicalité. Ce n’est plus tant dans les mosquées, lieux traditionnels du débat mais aussi du recrutement des jihadistes avant le 11 Septembre 2001, et où les imams se savent aujourd’hui très surveillés par les services de renseignement, que le jeune musulman français se rend ».



À la question de savoir pourquoi une telle personne pourrait être sensible à ce discours, il répond : « Ce jeune âgé de 15 à 35 ans, souvent issu de la deuxième ou troisième génération de l’immigration, est mû par un double besoin de rupture : à l’égard de ses parents, dont il considère l’islam routinier, et du fait de sa quête d’identité. Sa revendication d’un islam éclairé comporte une forte dimension protestataire. »



À la question de savoir quelles tendances de l’islam on trouve sur la Toile, Samir Amghar répond : « Toutes. Mais un site sur deux est, selon moi, de tendance salafiste. Car le salafisme, mouvance fondamentaliste qui a pour référence les théologiens d’Arabie saoudite, a été le premier à fonder son mode de prédication et de recrutement de fidèles sur cet outil. On y distingue deux tendances : le salafisme jihadiste, minoritaire, qui prône la violence comme moyen d’imposer la primauté de l’islam dans le monde, et le salafisme quiétiste, qui récuse la violence terroriste tout en préconisant la distance avec l’Occident impie et ses valeurs. Cette mouvance supplante deux autres tendances : les Frères musulmans, dont l’influence s’exerçait par les cours, la diffusion de cassettes et DVD, et les conférences ; et le Tabligh, qui utilisait le porte-à-porte. »



Photo : D.R.