Fort heureusement, ces propos ont soulevé une tempête en Tunisie, aussi bien dans la presse que sur Internet. Mais le mal est fait. Doit-on s’en étonner ?
Non et puisque Hamadi Jebai est une émule de Rached Ghannouchi, le chef du parti Ennhada qui a séduit 41,7 pour cent de l'électorat tunisien lors des dernières élections, examinons ce que Ghannouchi a dit sur l’apostasie, la charia et la laïcité.
Sur l'apostasie:
Rached Ghannouchi a écrit en 1993 dans un livre (1) : « L’apostasie, est le reniement [de l’islam] après qu’on l’a embrassé de plein gré… ou des formes lui ressemblant, des constantes de l’islam, tels ses dogmes, ses charia et ses rituels… Comme porter atteinte à la dignité de Dieu ou à la dignité du Prophète, l’autorisation de braver les interdits [de la charia] ou la négation des devoirs religieux, etc. Des versets du Coran ont énoncé à plusieurs endroits le caractère affreux de ce crime, et menacé quiconque s’en rend coupable du plus atroce des supplices, sans toutefois édicter une peine précise ici-bas. Quant à la tradition, la sunna, elle a exigé la mise à mort [conformément au hadith] : « Tuez quiconque change de religion. » (Rached Ghannouchi, Les libertés publiques dans l’État islamique, Centre d’Études de l’Unité Arabe, Beyrouth, 1993, p. 48).
Sur la charia :
Sur la charia, comme "source principale de législation", Rached Ghannouchi a écrit en 1993 dans un livre (2):
«Comment ne pas stipuler l’islamité d’un chef [de l’Etat], dont la tâche essentielle est d’accomplir la religion, d’orienter la politique de l’Etat dans les limites de l’islam, d’éduquer l’umma selon l’islam, d’être son imam pour la prière, de la prêcher ex cathedra […] et d’être pour elle l’exemple à imiter ? Le Coran a tranché. Il a stipulé que le souverain devait être musulman : « Ô vous qui avez cru ! Obéissez à Dieu, obéissez au Messager et à ceux d’entre vous qui détiennent le pouvoir » (sourate IV, verset 59). Il est absurde, et cela revient à demander l’impossible, de demander à un non musulman d’assumer le dépôt [la magistrature suprême], de veiller sur la religion et la gestion des affaires d’ici-bas – ce qui est la fonction du chef de l’Etat –, et nous, dit M. Ghannouchi, pour la clarification théorique, nous affirmons l’islamité du chef de l’Etat. Car au niveau pratique, le pouvoir islamique que nous réclamons se trouve dans les pays islamiques, et la majorité de ceux qui y habitent sont des musulmans. »
Sur la laïcité :
A une question d’un quotidien algérien : « Quelle est la place de la laïcité dans la société islamique ? », M. Ghannouchi répond (3) :
«La société islamique est fondée sur l’interprétation des valeurs organisant la vie des individus et des communautés. De plus, elle organise le côté spirituel de ces derniers. C’est pourquoi on ne saurait concevoir de société islamique laïque, ou de musulman laïc que si ce n’est en renonçant à ce qui est essentiel en islam. Car la foi en Dieu n’est pas essentielle en islam ; l’essentiel, c’est la foi en l’unicité de Dieu. Par conséquent, toute législation qui s’inspire d’autres sources pourrait porter atteinte à cette unicité. Une société ne saurait être islamique qu’à condition de ne pas être laïque et d’accepter l’unicité de Dieu. » (Interview accordée par M. Ghannouchi au quotidien algérien Algérie actualité du 12 octobre 1989).
Ennahda est-il un parti d’extrême droite ? :
Dans un retentissant article « Ennahda, l’extrême droite modérée », publié dans Charlie hebdo (16 novembre 2011), l’intellectuel Mohamed Sifaoui met les pieds dans le plat. Selon lui, Ghannouchi est d’extrême droite. Il utilise cette classification en reprenant les caractéristiques qui définissent en Occident un parti d’extrême droite : ultraconservatisme religieux, nationalisme exacerbé, suprématie d’un groupe ethno-religieux sur un autre, lois liberticides, homophobie, etc…. Même si cette classification accolée à Ennahda risque de prêter à confusion, classification que nous contestons, nous sommes d’accord avec la conclusion de Sifaoui. Il est hasardeux de croire que Ghannouchi aurait « évolué ». Sifaoui, rappelle à cet égard, les obsessions de Ghannouchi qui s’escrime à affirmer que la femme musulmane ne doit pas épouser « un infidèle ».
Nous observions avec intérêt la révolution tunisienne, maintenant -hélas- nous regardons avec effroi ce réveil de l’obscurantisme et de l’intolérance. Espérons que les démocrates tunisiens se réveilleront, avant qu’il ne soit trop tard.
Notes :
1.2.3. : Observatoire de l’islamisation et postedeveille.ca.
Photo : D.R.